Escapade à Baume-les Dames, sur les traces de Sainte Odile
Le baptême d’Odile eut lieu à ‘Palma’ nous dit le manuscrit de Saint-Gall. Ce texte est le récit le plus ancien que nous possédions, relatif à la vie de Sainte Odile. Dans ce manuscrit du Xième siècle, ‘Palma’ n’est pas localisé. Juste un nom dans le texte latin.
Sans doute en quête de pèlerins et de leurs dons, plusieurs monastères ont cherché à être reconnus comme le ‘Palma’ d’Odile. Moyenmoutier et Etival, outre Vosges, Regensburg en Bavière, et Baume-les-Dames en Franche Comté. Nous avons, dans un article paru précédemment sur ce site, visité Moyenmoutier et Etival, et montré le peu d’arguments jouant en leur faveur. Aujourd’hui, nous nous penchons sur le cas de Baume-les-Dames.
Résumé des épisodes précédents : Odile, née aveugle, est protégée de la colère meurtrière de son père le Duc Adalric par sa mère qui la cache loin de son mari. La nourrice, qui avait sauvé la petite fille en l’éloignant de Hohenburg, ne la sent plus en sécurité chez elle. Elle en réfère à Bereschwinde, mère d’Odile, qui lui conseille de l’emmener plus loin encore, à Palma, dans un monastère où une ‘tante’ saurait protéger l’enfant.
Loin de là, l’évêque bavarois Erhard a une vision, il doit partir à Palma, y baptiser une enfant aveugle et lui donner le nom d’Odile. Ce qu’il s’empresse de faire. Parvenu à Palma, Erhard baptise Odile qui recouvre la vue, puis il rentre chez lui. Le Manuscrit de Saint-Gall ne dit rien de plus.
La question reste ouverte : où est Palma ?
Rédigée, peu après le Manuscrit de Saint-Gall, le moine Valcandus propose sa Vie de Saint Hidulphe. La vie du fondateur de Moyenmoutier est décrite longuement, seul un court paragraphe raconte en quelques mots le baptême d’Odile par Hidulphe. Son frère Erhard, en visite, servirait de parrain à l’enfant.
‘Alors la fille du duc Etichon qui était née aveugle fut présentée à ces hommes de Dieu, pour qu’ils soient pris de pitié pour celle qui jusqu ‘à présent était restée une païenne et qu’ils lui enseignent le catéchisme afin que, par la prière, ils demandent la clémence de Dieu pour le salut de cette jeune fille. Alors, éduquée dans la foi catholique, Saint Hidulphe la baptisa, et Saint Erhard l’accueillit des fonts baptismaux, d’esprit et de corps, et lui donna le nom d’Odile.’ Prima Vita Hidulphi
Cette version des faits qui donne le beau rôle à leur abbé fondateur, a toujours été défendue par les moines de Moyenmoutier. Le monastère de Palma serait Balma, un des établissements secondaires de Moyenmoutier situé sur la rive droite du Rabodeau, à la Malfosse.
Curieusement, le texte de Valcandus n’en dit pas plus. D’autres passages de la vie d’Hidulphe sont décrits avec plus de détails. Le lecteur reste surpris par ces quelques lignes, isolées dans un texte plus disert. Il ne peut penser à qu’un ajout tardif.
En ce qui concerne Etival, les allégations des Prémontrés sont encore plus simples à écarter : pas de textes anciens, et la présence d’un couvent de nonnes près d’Etival, où Odile aurait été éduquée, est une légende non fondée.
Pour les velléités de Ratisbonne, située que les rives du Danube en Bavière, elles proviennent du fait qu’Erhard était évêque du lieu et qu’il aurait donc baptisé Odile dans son diocèse. Là encore, les textes anciens contredisent ces assertions. La Vie d’Erhard a été écrite par un moine Paulus. Il y est bien question d’un voyage d’Erhard ‘ad Rheni fluminis partem’, près du Rhin. Le nom du monastère de Palma est cité, sans le situer plus avant. ( Livre I chapitre III). Paulus, qui semble avoir lu Valcandus, nous explique qu’Hidulphe était présent lors de la cérémonie et se serait ensuite rendu à Hohenburg. Mais ceci ne nous dit toujours pas où se situe Palma.
L’histoire de l’Abbaye de Baume est mal connue. Sur place, il ne reste que peu de souvenirs des temps passés. Les monuments de l’Abbaye-Sainte-Odile qui subsistent sont, comme à Moyenmoutier, de style baroque. Ils datent de la rénovation du monastère par Nicolas Nicole vers 1750. Nous sommes bien loin de la petite Odile. Pourtant la visite de la crypte permet de découvrir des vestiges beaucoup plus anciens : l’abbaye existait bien avant la date du baptême d’Odile !
Nous n’avons pas trouvé de textes anciens et francs-comtois relatant le baptême lui même, ni Hidulphe, ni Ehrard ne sont cités dans les chromiques locales. Seul souvenir d’Odile, un voile qui lui aurait appartenu a été conservé à l’abbaye de longues années avant de disparaître lors de la Révolution. Cette relique est citée dans plusieurs textes des Bréviaires de Besançon.
‘L’abbesse regrette sensiblement l’éloignement d’Odile et pour conserver d’elle un souvenir plus sensible, elle garda soigneusement et avec le plus grand respect un voile violet, mêlé de soie et de filets d’or, que la sainte avait travaillé de ses mains et qui fut vénéré dans l’abbaye de Baume jusqu’au siècle dernier.’
Vie des Saints de Franche Comté
Les anciens de Baume se souviennent encore de l’avoir vu exposé, nous dit ce texte qui date de 1856.
En fait, à Baume-les-Dames, c’est seulement dans l’église Saint Martin que se perpétue le souvenir d’Odile. Dans l’édifice baroque, un des vitraux du chœur retrace la cérémonie du baptême et un médaillon, son départ lors de son retour à Hohenburg.
On le voit, les preuves du baptême d’Odile à Baume ne sont pas plus flagrantes qu’ailleurs. Pourtant, la plupart des historiens vont dans ce sens, Bussières, Peltre, Albrecht…. Seul monastère de femmes parmi les prétendants, pas trop éloigné de l’Alsace, ce nom de Palma qui fut celui de Baume-les-Dames dans le passé… un faisceau de présomptions qui semble l’emporter.
Sur le Mont-Sainte-Odile, dans la chapelle d’Odile, au dessus du tombeau, le bas-relief baroque va dans ce sens. Hidulphe, le parrain, et Erhard, qui officie, sont représentés. Le texte, bien tardif, entérine la présence des deux évêques et la localisation de Palma : ‘at Palmae in Burgundia’. A Palma en Bourgogne !
Bien sûr, le visiteur ira, à l’église, contempler les vitraux, puis fera le tour de l’abbaye ( rarement ouverte au public). Et puis, il profitera du site magnifique de la petite cité au bord du Doubs.
Pas bien loin, le Val de Cuisance est un endroit retiré où vivait un ermite bien sympathique Ermenfroi… Mais ceci est une autre histoire. ( Ne me poussez pas ! )
Les cyclistes profiteront, comme moi, de la piste cyclable qui longe le Doubs de Besançon à Mulhouse ! Cette voie verte est un parcours des plus recommandables !
Roches blanches, clochers comtois, accueil et repas inénarrables et pas chers !
Nous avons dit plus avant que le monastère de Baume était fort ancien. Il aurait été fondé par Saint Germain, au quatrième siècle ! Bigre ! Détruit pat Attila en 451 ! Fichtre ! Avant d’être réhabilité par Gontran, roi de Bourgogne, peu avant l’an 600. A ce sujet court une bien belle histoire que nous allons vous rapporter.
‘Or, le roi Gontran, étant un jour à la chasse, s’égara à la poursuite d’une biche avec Garnier, le comte de son palais. Après une longue course, ils s’arrêtèrent pour se désaltérer aux bords d’un ruisseau qui baignait les ruines d’un monastère, et le prince fatigué s’endormit sur les genoux du courtisan. Garnier, pendant le sommeil de son maître, aperçut une belette qui courait le long du ruisseau, comme si elle eut cherché à le traverser. Il prit son épée et la glissa sans bruit de l’un à l’autre bord. La belette, après plusieurs allées et venues, trouva ce pont nouveau, le franchit et alla se perdre dans un trou à quelque distance de la source. Le Roi, s’étant éveillé sur ces entrefaites, raconta à son favori un songe qu’il avait eu : il avait vu une belette essayer inutilement de passer un fleuve, lorsqu’un pont de fer s’était éleva miraculeusement devant elle. L’animal l’ayant traversé était entré dans une caverne où le Roi l’avait suivi en rêve, et où il découvrit un trésor. Sur cela, le comte fit à son tour le récit de son aventure, en ajoutant que puisque le songe s’était vérifié en partie, il fallait voir sil ne se réaliserait pas entièrement. On creusa donc à l’endroit où la belette avait disparu et on y trouva un trésor considérable.
En même temps, ils aperçurent sur les ruines de l'abbaye un nuage d'où sortait une main, les doigts étendus et la paume tournée de leur côté, comme pour leur indiquer l'usage qu'ils devaient faire du trésor qu'ils venaient de découvrir. Adoncques ils relevèrent l'abbaye et la dotèrent moult richement.’
Cette légende nous vient du Chroniqueur Amoin. On la retrouve dans les textes de Chifflet.
Le dessin du tombeau de Garnier publié par Chifflet retrace la légende de la petite belette Le tombeau lui même est perdu.
Selon cette belle histoire, le trésor découvert par Gontran et Garnier est employé à relever le monastère de Baume. Et c’est là, que notre Odile se serait réfugiée !
J’entends le loup, le renard et la belette, j’entends le loup et le renard chanter.
Cet article est dédié à mon ami franc-comtois Gérard et à Marianne, mon seul amour.
- J.J. Chifflet, Vesontio civitas imperialis, 1618
- J. Bollandus, Acta Sanctorum, 1643
- Don Belhomme, Historia Mediani Monasterii in Vosago, 1727
- F. Dunod de Charnage, Histoire du Comté de Bourgogne, 1740
- Vie des Saints de Franche Comté, 1856
- M.T. Fischer, La Vie de Sainte Odile, 2006
- Belzacq, Histoire Illustrée de l’Abbaye de Baume les Dames, 2008
- Bas relief du baptême d’Odile, Mont-Sainte-Odile, PiP
- Crypte de l’abbaye de Baume, photo Document Renaissance du Vieux Baume
- Photographies de Baume-les-Dames, PiP
- Tombeau de Garnier, publié par Chifflet en 1618
La vie de Sainte Odile selon la tapisserie de Saint-Etienne et le manuscrit de Saint-Gall.
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