La chapelle de Frère Léon, près de Barr
Ne cherchez pas sur vos cartes ! Vous ne la trouverez pas. La chapelle ne figure sur aucun des documents édités récemment par l’ I.G.N.. Inutile de relire les chroniques anciennes, le Frère Léon n’est pas plus mentionné. Inconnu ! Dans la forêt qui borde la Kirneck, au dessus de Barr, pas d’indications non plus. Pas un panneau, rien. L’humble ermitage et la petite chapelle oubliée sont si retirés du monde qu’ils ne reçoivent guère de visites. Nous allons tenter de faire revivre, un instant, le Frère Léon.
Vue d'ensemble de la chapelle de Frère Léon
La chapelle, jamais citée, dormait dans la forêt barroise. En 1863, C.F. Oppermann, membre de la Société pour la Conservation des Monuments Historiques d’Alsace, termine son exposé sur les ‘Antiquités de la Montagne de Sainte Odile’ par une brève note, qui mentionne la trouvaille du Brigadier Girolt. Le brigadier a ‘découvert’ une chapelle ! Voici, in extenso, le texte de C.F. Oppermann.
…. Je ne puis m’arrêter sans vous avoir entretenu, un moment, d’une découverte récente faite au fond de la vallée de la Kirneck, canton de Schwartzenberg, par un homme du concours duquel vous appréciez depuis longtemps la valeur, Monsieur Girolt, brigadier de la ville de Barr.
Il existe, au fond de la vallée de Barr, à huit ou neuf kilomètres de cette ville, dans un endroit très sauvage, un emplacement que les bûcherons désignent sous le nom de Bruderhaus. Un tertre couvert de gros arbres, entouré d’un fossé pour l’écoulement des eaux, indiquait seul l’emplacement de cette demeure. Monsieur Girolt a fait enlever la terre, les nombreux débris qui formaient le tertre, et il a découvert, à une assez grande profondeur, les restes d’une chapelle solidement construite, formée d’un chœur et d’une petite nef, et de deux bâtiments adjacents.
La chapelle est orientée à l’est ; ses murs ont un mètre d’épaisseur ; des nervures, des fûts de colonne, des chapiteaux ont été retrouvés en assez grand nombre. Le bénitier est encore à sa place intact, mais l’autel est en partie détruit et ne s’élève plus qu’à cinquante centimètres de hauteur. Quelques débris de poterie se font remarquer parmi les décombres.
Oppermann situe la chapelle, mentionne l’ermitage, signale les colonnes, les nervures et les chapiteaux. Un autel et un bénitier. Il ne prétend pas dater l’édifice et ne lui donne pas de nom autre que ‘Bruderhaus’, la maison du frère. Par contre, il publie un plan précis, avec un schéma de chapiteau et de nervure.
Pendant de longues années, plus rien ne se passe à la ‘Bruderhaus’…. La chapelle retrouve son calme et la nature reprend ses droits.
Note : les rapports forestiers de la fin du XVIIIème siècle citent pour ces parcelles les noms de ‘Bruderleyhaustal’ et ‘Bruderlachhaustal’. S’il n’était pas décrit dans les textes, l’ermitage du frère n’était pas totalement oublié dans la tradition populaire !
Cent ans après le relevé Oppermann, un chantier est entrepris par les lycéens de la Ville de Barr. Si les colonnes, les voussures et les chapiteaux ont disparu, vraisemblablement réutilisés par des entrepreneurs peu scrupuleux, les enfants réussissent à dégager la base des murs. Dans la petite nef envahie par les ronces, le bénitier est toujours en place. Les photos publiées dans l’article de André Stehle nous le montrent ainsi qu’une partie du sol dallé toujours présent à cette époque.
Difficile de dater l’édifice ! Si les voûtes étaient bien de style gothique, le bénitier semble roman. Stehle dit avoir vu les pierres de l’encadrement de porte, et rapproche celles-ci des soutiens du linteau de la chapelle d’Epfig. La chapelle serait alors beaucoup plus ancienne et aurait été remaniée au XIVème siècle.
Lors de cette campagne, le bénitier a été déposé au Musée de la Folie Marco à Barr. Nous nous sommes rendus sur les lieux, mais en vain ! Le personnel présent n’a pu nous renseigner sur le sort du bénitier de frère Léon.
Fort heureusement, Madame Wentzinger en avait effectué le croquis que nous vous proposons ci-dessous.
La chapelle perdue dans la forêt comporte une petite salle attenante, il est naturel de penser à un ermitage. Selon le plan d’Oppermann, l’ermite disposait royalement de 10 m². Une cellule exiguë, à quelques mètres du Schwarzenbergbroennel, petit affluent de la Kirneck, à quelque distance du chemin qui longe le fond de la vallée. Le lieu est des plus retirés, mais peut-être la petite vallée voyait plus de passage à cette époque.
Mais pourquoi Frère Léon ? Et comment ce nom est-il parvenu jusqu’à nous, alors qu’aucun texte ne parle de la chapelle ? André Stehle nous dit que les cartes anciennes portaient ce nom. La carte de Cassini (1750) ne dit rien, par contre, nous avons retrouvé une carte du Club Vosgien datée de juin 1927, où la chapelle apparaît sous ce nom ! ( Notre conseil : Toujours garder les vieilles cartes du Club Vosgien ). La voici !
Le nom de Léon nous est, sans doute, venu par tradition orale.
André Stehle attire notre attention sur le poème écrit en 1868 par J.F. Wenninger. Wenninger y retrace joliment la vie du Chevalier Bruno de Stein qui part à la croisade, laissant derrière lui sa fiancée Cunégonde de Rathsamhausen. A son retour, Cunégonde est mariée, et Bruno, dépité, se fait ermite. Il se retire dans la forêt de la vallée de la Kirneck. Voici les quelques vers qui décrivent le lieu de la retraite du pauvre Bruno.
‘Dort oben am Quell Là haut, près de la source
Wo’s murmelt so hell là où on entend un clair murmure
Am Fels, an nächtlicher Stelle près du rocher, dans un lieu sombre
Baut er die friedliche Zelle’ il construit la paisible cellule.
Nul doute que Wenninger pensait à la chapelle découverte quelques années plus tôt par Oppermann. S’il a choisi le nom de Bruno von Stein pour sa fiction, la tradition a préféré le frère Léon !
La chapelle a été vraisemblablement abandonnée au moment de la Réforme, puis oubliée.
Aujourd’hui, la végétation a repris ses droits dans ce petit coin perdu et fort humide. La mousse épaisse recouvre les pierres. Dans quelques années, les forestiers viendront abattre les grands sapins qui cernent la chapelle. Souhaitons que les restes de l’humble édifice soient alors respectés.
Choeur de la chapelle de Frère Léon
Balades à proximité de la chapelle du Frère Léon
- Fontaine Laquiante et Chemin de fer forestier de la forêt de Barr
- Le Sentier des Chameaux ( cliquez sur le lien )
- Photographies de la chapelle et environs, PiP
- Plan de la chapelle, Oppermann
- Le Bénitier de Frère Léon, C. Wentzinger
- Carte du Club Vosgien, juin 1927
- C.F. Oppermann, Bulletin de la Société pour la Conservation des Monuments Historiques d’Alsace,1863
- J.F. Wenninger, ‘Bruno von Stein, nach einer Volkssage’, 1868
- A. Stehle, ‘Dans la forêt barroise ; l’ancienne chapelle du "frère Léon", Les Vosges, 1966
Pour plus de détails, n’hésitez pas à consulter l’article d’André Stehle, très complet, dans la revue Les Vosges N°4-1966