La Tour de Babel dans l’ Hortus Deliciarum
La construction de la tour de Babel est un des épisodes les plus connus de l’Ancien Testament. Il se situe au début de la Genèse. Après le Déluge, Dieu bénit Noé et ses fils et les envoie peupler la terre. Tout de suite après ces versets, on voit Noé planter la vigne. Puis, la Bible retrace la généalogie des fils de Noé. L’histoire de la Tour de Babel vient ensuite. Voyons tout d’abord le texte de la Bible, puis la lecture qu’en fait Herrade dans son codex, l’Hortus Deliciarum.
Commençons par les versets de la Genèse qui concernent la Tour.
Toute la terre, une seule bouche, les mêmes mots.
On lève le camp de l’Orient, on trouve une plaine où s’installer, dans le pays de Shinear.
Chacun dit à l’autre : ‘Ah, fabriquons des briques et des fours pour les enfourner’.
La brique est leur pierre, le bitume leur mortier.
Ils disent : ‘Ah , construisons-nous une ville et une tour. Sa tête touchera le ciel.
Faisons nous un nom ! Et nous ne serons jamais dispersés sur toute la terre.
Yhwh descend pour voir la ville et la tour, construites par les fils d’Adam
Yhwh dit : Tous ensemble, ils commencent à ne faire plus qu’une seule bouche et qu’une seule communauté.
Rien ne leur sera impossible. ‘Ah, descendons tout brouiller dans leur bouche, que chacun ne comprenne plus la bouche de l’autre.’
Yhwh les disperse sur toute la terre. Ils arrêtent de construire la ville. On l’appelle Babel. Car ici, Yhwh a tout brouillé, dans la bouche de toute la terre, et de là, a fait se disperser tout le monde sur toute la terre.
Ce texte est bref, et ne donne que peu de détails. Les hommes, unis, parlant une seule langue, construisent une ville et une tour. Ils espèrent ainsi rester unis. Dieu semble s’inquiéter de cette entente entre les hommes. Il crée diverses langues et ainsi sépare les hommes, qui se dispersent sur toute la terre.
La Bible ne distingue pas la ville de la tour, dans la décision de Dieu. La hauteur de la tour ‘qui touchera le ciel’ ne semble pas être mise en cause. Les hommes ne semblent pas défier Dieu par un orgueil démesuré. C’est simplement leur unité et leur entente qui engendrent le courroux et la décision divine.
Par la suite, les textes apocryphes complètent le récit de la Genèse et nous donnent l’explication commune de la Tour de Babel. C’est alors Nemrod, arrière petit-fils de Noé, également cité dans la Genèse (10,9-11) comme un excellent chasseur, qui serait l’initiateur du projet de la Tour de Babel. Nemrod veut que le sommet de la tour atteigne le ciel, et ainsi il entend défier le Créateur. Nemrod et les siens sont punis par Dieu de leur audace. Dieu les ‘confond’ à travers leur moyen d'expression : la langue.
Les lectures et les interprétations érudites de ce passage de la Bible sont fort nombreuses et nous ne nous avancerons pas plus avant.
Restons un instant sur les quelques détails donnés dans la Genèse. Shinéar désigne la province de Sumer en Mésopotamie. Dans cette région, plusieurs tours immenses ont été construites bien avant l’ère chrétienne, il s’agit des ziggurat. Les plus anciennes dateraient de trois mille ans avant le Christ. Dans cette plaine argileuse, les constructions étaient bien de briques cuites et le bitume tenait lieu de ciment. Les Hébreux connaissaient Babylone et, sans doute, ont-ils admiré la grande ziggurat de Babylone et ont-ils été étonnés par ces techniques de construction inconnues chez eux, aussi les ont-ils décrits dans les textes. La ville de Babel de la Genèse se confond très vraisemblablement avec Babylone.
Au Vème siècle avant Jésus-Christ, le voyageur grec Hérodote visite la Mésopotamie. Voici la description qu’il nous fait de la Tour de Babylone.
Au milieu se dresse une tour massive, longue et large d'un stade, surmontée d'une autre tour qui en supporte une troisième, et ainsi de suite, jusqu'à huit tours. Une rampe extérieure monte en spirale jusqu'à la dernière tour ; à mi-hauteur environ il y a un palier et des sièges, pour qu'on puisse s'asseoir et se reposer au cours de l'ascension. La dernière tour contient une grande chapelle, et dans la chapelle on voit un lit richement dressé, et près de lui une table d'or. Mais il n'y a point de statue, et nul mortel n'y passe la nuit, sauf une seule personne, une femme du pays, celle que le dieu a choisie entre toutes, disent les Chaldéens qui sont les prêtres de cette divinité. Ils disent encore (mais je n'en crois rien) que le dieu vient en personne dans son temple et se repose sur ce lit comme cela se passe à Thèbes en Égypte, à en croire les Égyptiens
Nous sommes loin de la description de la Bible. Cependant, les fouilles effectuées sur place ont permis de proposer des reconstitutions étonnantes de la Tour de Babylone. Voici celle proposée par le Musée du Proche Orient de Berlin.
L’antique monument cité par la Bible serait un monument historique.
Notre chère Herrade nous propose sa vision fort personnelle de la Tour de Babel. Tout d’abord, briques et bitume sont fort vite oubliés. Soyons clairs, les bâtisseurs de la Tour d’Herrade maçonnent des blocs de grès des Vosges avec du mortier ! N’oublions pas que du temps de l’abbesse Herrade tout le Mont-Sainte-Odile est en chantier : reconstruction de Hohenburg et de Niedermunster, commencée par Relinde, mais aussi le prieuré de Saint Gorgon, la prévôté de Truttenhausen, la chapelle Saint Nicolas de Niedermunster, Saint Jacques. Herrade n’a pas eu à aller bien loin pour trouver carriers et maçons et au travail. C’est le modèle qu’elle a choisi pour illustrer l’épisode de la Genèse.
A droite de l’image, les tailleurs de pierre débitent la roche tout simplement avec une masse et un pic. A gauche, le mortier est gâché dans une auge. Mortier et pierres sont portées à dos d’homme. Les deux maçons utilisent l’équerre, la truelle et le fil à plomb pour positionner et fixer les blocs. Nul doute, couvents, églises, chapelles et châteaux des alentours de Sainte-Odile ont été érigés avec ces modestes outils. ( Note : Les moyens de levage ne sont pas représentés. )
Deux phrases rédigées en latin accompagnent la miniature d’Herrade.
‘Soixante-douze géants ayant entrepris de construire une tour contre Dieu, se mirent à parler subitement des langues différentes et furent dispersés sur toute la terre.’
Herrade a préféré au texte de la Bible, un récit apocryphe qui attribue à des géants la construction de la Tour. Ainsi, Herrade mettait en garde ses chères moniales contre toute velléité de s’opposer à Dieu. Obéissance ! obéissance !
‘Cette tour est appelée Babel, car c’est là qu’il y eut la confusion des langues’.
Herrade se rapproche ici du verset 11, 9 de la Bible. Elle fait preuve de son humour et de sa compréhension des textes : Babel et confusion peuvent être traduits par le même mot hébreu. Selon certaines étymologies, le doux ‘babil’ de nos jeunes enfants aurait la même source.
- La Bible, traduction et édition de F. Boyer, 2001
- Hérodote, l’Enquête, Vème siècle avant J.C., traduction A. Barguet, Gallimard, 1964
- Hortus Deliciarum, présenté par les éditions Braun, 1945
- Hortus Deliciarum, présenté par Auguste Christen, 1990
- Hortus Deliciarum, présenté par Jean-Claude Wey, 2004
- La tour de Babel, Herrade de Landsberg, Hortus Deliciarum
Nous proposons trois restitutions du dessin d'Herrade : le premier est une copie sur calque effectuée par Bastard d'Estang peu avant la disparition du manuscrit d'Herrade. Le second est la version redessinée par l'Atelier de l'OEuvre Notre-Dame. Le troisième est la restitution en couleurs proposée par Madame Claudia Tisserant-Maurer.
- Maquette de la Ziggourat de Babylone, Vorderasiatisches Museum, Berlin
- La tour de Babel, Bruegel l’Ancien, 1564
La tour de Bruegel est bâtie avec les méthodes de la Renaissance, comme celle d’Herrade avec celles du douzième siècle.
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