Escapade romane dans les Vosges du Nord
Le soleil brille à nouveau sur l’Alsace. C’est l’occasion de quelques kilomètres à vélo dans l’Alsace du Nord et le Palatinat. C’est aussi l’occasion de découvrir quelques églises romanes, et de belles pierres sculptées.
N’hésitez pas, lancez-vous et découvrez les pistes et petites routes du nord de l’Alsace !
Proche de la Lauter, au cœur du village, l’église Saint Ulrich mérite une visite approfondie.
D’emblée, le regard est attiré par la haute tour romane qui domine le porche de l’édifice. Fine baie à colonnette, frise lombarde sur les deux niveaux inférieurs, discrètes lésènes. Magnifique !
Un large portail doté d’une vaste voûte romane donne accès au sanctuaire.
Eglise d'Altenstadt, près de Wissembourg
Sous le porche, la porte monumentale est la partie la plus intéressante de l’édifice. Montant monolithe d’un coté, de deux blocs de l’autre. Ces deux ensembles portent un large linteau d’un seul tenant qui porte des sculptures de toute splendeur. Les sept médaillons rappellent ceux de la porte de l’abbatiale d’Andlau, ainsi que la sculpture de l’église de Bourgheim. Frise de feuilles trilobées, une main bénissant, deux agneaux, motifs géométriques et floraux. Selon les spécialistes, ces sculptures datent de la première partie du douzième siècle.
Linteau de l'église Saint Ulrich d'Altenstadt
Au dessus, une pierre de grès jaune présente un Agnus Dei, de facture plus récente.
A l’intérieur de l’édifice, la nef en trois vaisseaux serait plus ancienne, encore, que le portail, onzième siècle. Les piliers de sections carrées, ne comportent pas de socles, et sont simplement ornés de tailloirs, ce qui est peu courant. Près de chez nous, on n'observe le même décor en ‘arête de poisson’ qu’à Eschau et à Sainte Marguerite d’Epfig. Ceci confirme la datation des experts.
La ville de Wissembourg est une agréable cité, cernée de remparts et de jardins bruissants du chant des eaux claires de la Lauter. Il faudrait un livre pour en décrire le charme. Fidèle à notre but premier, nous nous limiterons aujourd’hui aux éléments romans de la vieille ville de la Décapole.
L’abbatiale Saints Pierre et Paul est citée dès le VIIème siècle et dépendait alors du diocèse de Spire. Si l’édifice que nous admirons aujourd’hui est essentiellement de style gothique, il comporte néanmoins deux ensembles plus anciens :
- La tour romane
Une pierre sculptée nous explique que ‘L’abbé Samuel a fait construire cette tour’. (Samuel, abbé de Wissembourg, 1056-1098). La tour est ornée de baies simples sur les trois étages inférieurs, de baies doubles pour les deux autres niveaux. L’ensemble est élégant.
- La chapelle romane
A l’extrémité de la galerie du cloître gothique, la petite chapelle de l’an mil ne compte que quelques dix mètres carrés. Splendide ! Dix colonnes encastrées dans les murs, six colonnes libres au centre de l’édifice. La légèreté de la construction, sa simplicité ne peut que vous enchanter. Même si le site a été plusieurs fois remodelé, vous serez séduits.
Chapelle Romane de l'abbatiale de Wssembourg
Note insolite : La forme excavée de plusieurs colonnes peut surprendre ! Sachez que des barriques furent stockées dans la chapelle lors de la Révolution Française, et les ‘sans-culottes’ ont adapté les lieux pour soutenir les foudres révolutionnaires !
Les origines de l’abbaye dédiée à Saint Arbogast nous ramènent au VIème siècle, lorsqu’ Arbogast était évêque de Strasbourg… Arbogast aurait vécu dans la forêt toute proche et ses restes furent translatés à Surbourg au Xème siècle.
L’église, telle que nous la voyons aujourd’hui, date essentiellement du XIème. Plan d’ensemble, nef triple, succession alternée de colonnes et de piliers, comme on le voit aussi dans l’église de Rosheim. L’abside centrale est ornée d’une belle frise, les baies de la tour comportent, au nord et au sud, deux fines colonnes avec des chapiteaux cubiques et des astragales coniques.
Au dessus d’une petite porte, au nord, une dalle sculptée présente trois médaillons sculptés d’une croix ancrée ornée de fleurons. On retrouve les motifs présents au Dompeter, ou bien à la chapelle Rimlen, près d’Ergersheim.
Surbourg
Walbourg était, comme Hohenburg sur le Mont-Sainte-Odile, une abbaye richement dotée par les Hohenstaufen. Son origine est pourtant moins ancienne que notre couvent : 1074 par le comte Thierry de Montbéliard selon les textes anciens. De la période romane ne subsistent que peu de traces, dans l’abbatiale fortement modifiée lors du passage au gothique. Côté sud, sous les baies romanes, plusieurs sculptures anciennes semblent provenir de l’église primitive. Voici les personnages, plutôt frustres, représentés à cet endroit.
A l’intérieur de l’église, côté nord, un bloc sculpté est présenté, à même le sol. Il s’agit d’un linteau joliment sculpté. A gauche, un serpent semble manger un sarment de vigne. A droite, le personnage ressemble étrangement à la fameuse sculpture de la façade de l’abbatiale de Marmoutier ! (XIIème siècle). Saisissant ! Admirable ! Mais où était placé ce linteau, originellement ?
Le linteau de Walbourg
L’église abbatiale de Walbourg est dédiée à Sainte Walburge (vierge). Que savons-nous de cette sainte ?
Selon l'abbé Hunckler, dans son Histoire des Saints d’Alsace, Walburge était anglaise ! Fille de Richard, roi des Saxons, sœur de saint Guillebaud et de saint Gombaud, apôtres de la Frise et de l’Allemagne du Nord, Walburge est élevée au monastère de Winburn, en Angleterre. Envoyée par son père pour évangéliser les germains, elle vécut d’abord à Bischoffsheim. Non, pas le notre, à deux pas d’Obernai ! Il s’agit ici de Bischoffsheim près de Mayence. Walburge devient ensuite l’abbesse du couvent de Heidenheim en Bavière. Elle est reconnue pour ses talents, et à la mort de son frère Gombaud en 760, Walburge lui succède à la tête du monastère d’hommes d’ Heidenheim ! Fait rarissime ! Peut-être unique ! Une femme à la tête d’une communauté d’hommes ! Walburge, féministe avant l’heure, meurt le 25 février 779 et est enterrée à Eichstaedt.
Bizarrement, le nom de Walpurge est associé à une fête païenne, qui tombe le soir du 1er mai. La Nuit de Walpurgis, depuis des temps reculés, malgré les interdits, les buchers et les excommunications de l'Église Catholique, correspond au sabbat des sorcières. Embrasements de grands feux dans les lieux retirés, plantation de l’arbre de Mai, la nuit de Walpurgis est surtout un symbole de la fin de l'hiver ! Selon la tradition, la nuit du premier mai, les sorcières se réunissaient sur le Bocksberg, proche d’Heidenheim, pour un gigantesque sabbat.
Deux anciennes communes de l’Orne portaient le nom de Sainte-Gauburge, traduction francophone de notre Walburge
Ne quittons pas Walbourg sans nous attarder sur un vitrail du chœur. Nous y voyons Salomé recevoir, sur un plateau, la tête de Jean Baptiste… c’était justement le thème de notre article précédent. Etonnant, non ?
Nous le disions plus haut, Wissembourg est le centre rêvé pour des excursions cyclistes ! Petite ville agréable, cernée de parcs et d’eau, idyllique. Aux quatre églises romanes que nous vous présentons, ajoutez un petit crochet vers Minfeld et Kandel, dans le Palatinat, vous ne serez pas déçus !
Après les remparts de Wissembourg, voyez ceux de Landau. Et puis, si vous possédez de solides mollets et un bon vélo, grimpez au Trifels, où fut enfermé Richard Cœur de Lion.
Vous ne le regretterez pas !
(De plus, les vins du Palatinat sont forts respectables, croyez moi, faites comme-moi, testez !).
- Merian, Topographia Germaniae, Elsass 1663
- Hunckler, Histoire des Saints d’Alsace, 1837
- Robert Will, Répertoire de la sculpture romane de l’Alsace, 1953
- Robert Will, Alsace Romane, 1965
- Suzanne Braun, Alsace Romane, 2010
- Photographies des églises, PiP
- Schéma de situation, PiP
- Lithographies de Landau et Wissembourg, Merian, 1663
(Merci à Véro, qui m’a confié
son précieux livre de Merian !)