Qui a assassiné Catherine Schott à Saint-Gorgon ?
Lorsque vous quittez Ottrott-le-Haut pour monter à Sainte-Odile, après quelques centaines de mètres parcourus dans la forêt, vous atteignez une croisée de chemins. L’endroit est soigné, vous pouvez vous asseoir un instant sur un banc, devant une croix de pierre. Peu de gens s’arrêtent, le Mont est encore loin, et moins encore tentent de déchiffrer le texte gravé
Voici que vous pourriez y lire :
Monument de piété érigé à la mémoire de la malheureuse Catherine Schott assassinée lâchement à cet endroit le 2 août 1840 à l’âge de 20 ans. Un De Profundis.
Qui était Catherine et pourquoi est-elle morte, assassinée à cet endroit ?
Si j’en crois l’acte de décès de Catherine, enregistré à la Mairie d’Ottrott, Catherine était née à Dabo. Elle était la fille de Joseph Schott, fermier et de sa femme Catherine, domiciliés à Saint-Gorgon.
Nous avons sur ce même site raconté l’histoire du ‘Prieuré de Saint Gorgon’. La chartre, par laquelle Herrade dotait cette fondation des Prémontrés d’Etival est datée de 1178, et puis, bien plus tard, les récits de Hugo Peltre et de Dyonisius Albrecht décrivent la fin du prieuré lors de la Guerre de Trente Ans. Nous avons aussi cité la petite chapelle évoquée par l’abbé Hanauer…. Mais, le meurtre de Catherine a lieu en 1840, et Saint-Gorgon a bien changé. La chapelle n’est plus qu’un vieux souvenir, et seul le petit oratoire élevé par Dyonisius en 1746 rappelle encore la vocation religieuse des lieux. (Pour plus de précisions, lire sur ce site ‘Un Prieuré à Saint Gorgon ?’
L’aquarelle de Nicolas Eck montre le site de Saint Gorgon à cette époque : au dessus d’Ottrott et de la plaine d’Alsace, une ferme isolée sur des terres agricoles que n’ont pas encore dévorées les terribles machines de la Carrière de Saint-Nabor. La métairie des Prémontrés a été vendue comme Bien National lors de la Révolution. En 1840, Joseph Schott est alors le fermier des lieux, le Kolishof ou le Kolisacker, quelques ares au creux du vallon. Dans sa ferme, Joseph fait également débit de vin. Les temps ne doivent pas être faciles. Louis-Philippe est le roi des Français, Monsieur Thiers est son premier ministre… Joseph Schott le sait-il seulement ?
La croix de la forêt porte la date du 2 août, étrange ! Le certificat de décès porte celle du 10 août. Tenons-nous en à la date officielle ! Que s’est-il passé, cette journée du 10 août ?
Catherine est âgée d’une vingtaine d’années. Elle est célibataire, juste fiancée à Antoine Schiro, valet à Saint-Gorgon, et vit, simplement, chez ses parents, dans la ferme perdue sur le chemin du Mont Sainte-Odile. Le 10 août 1840, au début de l’après-midi, Catherine quitte la ferme pour descendre au village : elle veut assister aux vêpres. Peut-être s’est-elle arrêtée un instant devant l’oratoire de Saint Gorgon, le temps d’un chapelet devant le tableau représentant le supplice du Saint. On ne sait.
Arrivée à la moitié de son chemin, un peu au dessus du calvaire de 1790, Catherine est frappée par une première pierre, jetée du sous-bois par son agresseur. Une deuxième pierre l’atteint à la tempe et Catherine tombe, sans comprendre, sur le chemin désert.
Par hasard, un pâtre, Gaspard Schreiber, passe par là un peu plus tard. Gaspard est attiré par des gémissements, il trouve et relève Catherine et il se met en demeure de la ramener chez elle, à Saint-Gorgon. Une troisième pierre jaillit de la forêt sans les atteindre. Catherine appuyée sur l’épaule du jeune pâtre, ils arrivent, enfin, à la ferme de Catherine. Ses parents et son promis Antoine Schiro, se précipitent, l’entourent, essaient de comprendre ce qui a bien pu se passer dans le bois. Catherine n’a rien vu, pourtant, bien vite, un nom est prononcé… celui d’Antoine Seegmuller. Les Seegmuller avaient loué les services de leurs deux filles à Saint-Gorgon, et puis, elles n’y avaient plus trouvé d’ouvrage. Antoine Seegmuller, le frère de mauvaise réputation, avait juré de se venger des Schott. Déjà, plusieurs fois, à la ferme, pris de boisson, il avait menacé les uns et les autres.
Les époux Schott couchent leur fille et la veille. En pleine nuit, des coups sont frappés à la porte, Joseph Schott ne veut pas ouvrir. Il est passé minuit ! L’intrus est vite reconnu, c’est bien Antoine Seegmuller, accompagné d’un de ses amis, Georges Uhring. Ils veulent boire du vin ! Et savoir pourquoi la lumière luit à Saint-Gorgon dans la nuit ! On imagine la terreur qui devait régner dans la ferme. Les deux hommes repartis, les Schott retournent veiller Catherine qui meurt à l’aube, vers sept heures du matin, dans d’atroces souffrances.
Voilà un fait divers terrible qui voit une jeune fille mourir de la rage d’un forcené, sur les flancs du Mont-Sainte-Odile.
Un an plus tard, la Cour d’Assises du Bas-Rhin, prononce son jugement sur l’assassinat de Saint-Gorgon. C’est l’audience du 12 juin 1841. Antoine Seegmuller, journalier, âgé de 25 ans, est condamné à 20 ans de travaux forcés ! Nous n’en savons pas plus sur Antoine Seegmuller, ni le lieu où il a purgé sa peine, ni ce qu’il est devenu ensuite… Si un lecteur ottrottois pouvait nous éclairer…
Nous avons déjà souligné une erreur de date sur la Croix de Catherine Schott. Il s’agissait du jour de l’assassinat : deux août sur la stèle, dix août sur les registres. Bon, pas grave ! Mais les quelques mots gravés sur le petit monument comportent une deuxième erreur, nous y lisons que Catherine était âgée de vingt ans. L’acte de décès de la mairie d’Ottrott souligne pourtant que Catherine avait 22 ans. Et son acte de naissance, enregistré à Dabo, contredit ces deux affirmations : Catherine serait née à Dabo en 1816 ! Catherine aurait donc eu 24 ans…. Ah ! l’état civil de la Monarchie de Juillet n’était pas des plus efficaces !
Une dernière remarque, quelques centaines de mètres au-dessus de la croix de Catherine, une pierre gravée rappelle le décès d'un certain Scott, mort accidentellement à cet endroit. Les chemins n'étaient décidément pas sûrs, au dessus d' Ottrott !
- Aquarelle de Saint-Gorgon, N. Eck, fond BNU
- Photographies Ottrott, Croix Schott, Saint Gorgon, PiP
- Oratoire de D. Albrecht, Aquarelle de Karth,1840
- Oratoire de Saint-Gorgon, dessin de Silbermann, ~1835
- Les blasons gravés d’Ottrott-le-Haut, H. Sauter, 1979
- Plan de situation, PiP
- Article du Courrier du Bas-Rhin, 16-juin-1841
- C. Jérome, L’assassinat de Saint-Gorgon, SHABDO, 1988
Les informations que nous donnons de ce fait divers proviennent de l’article de monsieur Jérome. Les personnes intéressées se reporteront à ce texte pour plus d’informations.
Article écrit sur une idée de Gaby, pour Gaby !