Connaissez- vous, vraiment, le Mont-Sainte-Odile ?
Hommage à Michael Herbig
Récemment, un mien ami m’a donné à lire un opuscule rédigé par Michael Herbig en 1904. Livret d’une soixantaine de pages dédiées aux promeneurs qui, partant de Barr, allaient se promener sur le Mont-Sainte-Odile au début du siècle dernier. Ce petit recueil proposait de multiples promenades le long des sentiers du Mont, et surtout éclairait les sorties conseillées par une foule d’anecdotes aujourd’hui oubliées. Détails de l’histoire, endroits méconnus, Michael avait une véritable passion pour nos Vosges. Nous allons tenter, par quelques exemples, de vous intéresser au travail de Michael.
Michael est né en 1841 dans l’Odenwald. Il était instituteur, plus exactement Oberlehrer, et c’est à ce titre qu’il vient s’installer à Barr avec son épouse Augusta Magdalena. Visiblement passionné par les forêts avoisinantes, Michael fait preuve d’une curiosité étonnante pour chacun des endroits qu’il visite : recherche minutieuse des moindres historiettes, recoupements, lecture des textes anciens ! un précurseur !
Voici la carte du Mont-Sainte-Odile qui accompagne le livret de Michael.
Combien de fois Michael et Augusta se sont-ils promenés le long du Mur Païen ? Je ne sais. Je monte moi-même chaque semaine plusieurs fois sur le Mont ! Pourtant le livre de Michael m’a fait découvrir des détails que je ne soupçonnais pas…. Voici la légende qui accompagne la carte. Les connaisseurs les plus chevronnés y découvriront vraisemblablement des lieux ‘nouveaux’.
Qui d’entre nous connaît le ‘Schlupfloch’ ou le ‘Lottelfelsen’ ? Cette roche branlante pourtant toute proche du chemin balisé. Qui sait retrouver la ‘grotte de la Hache’ ou, encore plus étonnante la ‘Gangloffhöhle’ ? Vraiment Michael connaissait chaque mètre du Mur ! Cette carte est un trésor et nous vous laisserons la joie de ‘redécouvrir’ les lieux à l’occasion de votre prochaine balade sur le Mont. Nous allons nous contenter de commenter quelques fragments du texte qui nous ont surpris et qui méritent votre attention.
- Le Maennelstein est connu de tous pour le panorama étendu sur la plaine d’Alsace et la forêt Noire. La table d’orientation a été restaurée, il y a peu, par les Amis du Mont Sainte-Odile. Mais saviez-vous que son nom serait une déformation de ‘Menhirstein’. Qu’il était dans le passé appelé ‘Einstein’. Michael nous rappelle la légende liée à l’anneau de fer du rocher : ‘La légende des anneaux de fer sur le Maennelstein, où les bateaux venaient s’arrimer, ces bateaux qui traversaient alors le grand lac de la plaine d’Alsace, cette légende a traversé le Moyen Age et perdure jusqu’à aujourd’hui’. ( cf. notre article consacré à la carte de la Bloss de Müller)
- La Heidenbrunnen, la fontaine des païens, semble bien mal nommée. Proche du Maennelstein, il s’agit en fait d’une citerne ‘récente’. Michael nous apprend qu’elle fut creusée par les forestiers vers 1850. Saurez vous la trouver ? Pas évident ….
- La Wildsaulache, la flaque du sanglier, est, elle aussi, recouverte de végétation, mais plus facile à déceler, plus proche du chemin, et située sur la carte avec précision. C’est également une citerne creusée par les forestiers pour pouvoir faire face aux incendies.
- Le Beckenfelsen est connu de tous. Michael nous rappelle, sans y donner foi, qu’ en 1874, le professeur Voulot voyait dans ce rocher à cupules, ‘des autels pour sacrifices avec des vasques pour recueillir le sang des victimes’. Bigre !
- La Grotte des Druides a connu, elle aussi, bien des explications plus ou moins farfelues. La grotte est citée à la fin du XVIIème par le botaniste Mappus. Mais c’est Schweighauser qui lui donne son nom en 1825, il y voit des monuments druidiques. Jakob Schneider croit être en présence d’une sortie secrète de l’enceinte du Mur Païen ! Quelle imagination ! Le professeur Pfister déclare doctement et sans preuves qu’il s’agit de tombes datant d’avant la période gauloise. Plus proche de nous, et plus sérieux, Forrer décrit ces roches, comme ‘certes remarquables, mais totalement naturelles’….
- Toute proche, la Grotte de la Hache présente un bel abri sous roche. Le plafond est marqué d’un triangle qui peut représenter une hache et a donné son nom à l’endroit.
- Les Tumulis du Chemin des Gaulois ont été découverts et ouverts par Voulot en 1874. Ils étaient alors au nombre de sept. Michael nous donne une description précise des lieux. Chaque tombe renfermait un sarcophage de pierre, certains étaient encore recouvert de deux dalles. Certaines portaient les fameuses queues d’aronde du Mur Païen et étaient donc des réemplois de notre vieille muraille. Voulot y découvre outre des ossements, des boucles d’oreilles en argent, un collier de pierres de couleurs, une urne de verre de couleur verte, un couteau de pierre taillée, deux boucles de manteau en argent, un anneau d’or au doigt d’une main gauche portant des signes non lisibles, une chaînette de perles, une boucle de bronze, les gobelets de verre, un récipient en brique, …. Le tout aurait été déposé au Musée de Mulhouse. Les bijoux de nos ancêtres seraient à Mulhouse !
Lors de la visite, en 1879, de la Société d’Anthropologie d’Allemagne, deux tombes d’enfants sont fouillées. Dans l’une d’elle, celle d’une jeune fille, les savants trouvent deux pendentifs d’argent, un petit bijou en argent et des fils d’or sur la poitrine de l’enfant. La datation proposée : VI ème siècle. Nous approchons du temps d’Odile !
- La croix portant de nom de ‘Anton Kuehe’, à proximité du Hagelschloss a disparu.
- La fontaine Wolfstahl, qui porte des armes de Barr, a été aménagée en 1876 par le Club Vosgien. Le tuyau de fer qui captait la source serait d’une longueur de 40 mètres.
- Le lieu-dit ‘Handschab’ était appelé par nos anciens ‘Handschuh’ ! Alors, pas de rapport avec cet outil servant à écorcer les arbres ?
- La Grotte d’Etichon ne prit ce nom qu’ à la fin du 19ème siècle.
- Michael nous décrit la Maison Forestière du Landsberg en tant que ‘Wirtschaft’. Comme c’est dommage !
- Gangloff était instituteur à Gertwiller. Il a trouvé ce passage ‘secret’ en 1894 : la Grotte de Gangloff. Située à un mètre cinquante du sol, la grotte s’ouvrirait par une fente en forme de porte. ‘On peut s’y glisser, et grimper dans l’obscurité jusqu’au plateau’, nous dit Michael. Personnellement, je n’ai pas trouvé ce passage secret !
- Pour terminer avec le Mont, Michael nous explique curieusement le pourquoi des occupations successives du sommet du Mont Sainte-Odile. Selon lui, sous le sommet, à une profondeur de 24 pieds se trouverait une source souterraine, pas la citerne que nous connaissons, mais une source ! Et ce point d’eau inattendu serait la cause du choix du lieu pour l’enceinte du Mur Païen, le kastell romain, puis le château du duc Adalric, puis enfin, du couvent d’Odile ! Bigre ! A la première lecture, je suis resté plutôt sceptique… bien que la source de Sainte Odile puisse avoir des prolongements souterrains sous le rocher. Alors je me suis replongé dans mes grimoires ! Voyons ce que nous dit le père Dionysius Albrecht en 1751, dans son History von Hohenburg.
‘Cet endroit connaît deux éminence et au centre, un léger creux, en fait à l’endroit de la première porte du couvent. C’est là que se trouvent deux fontaines. La première, dans la cour d’entrée, la deuxième dans le bâtiment même du couvent. La profondeur de la première est de deux ‘Klasster’ et d’un demi pied. Mais l’eau ne coule guère ; et elle n’est pas aussi bonne que dans la deuxième qui est située entre les bâtiments du couvent. En fait, l’eau de la fontaine du couvent, telle qu’elle coule du rocher, est utilisée pour la cuisson et pour boire, elle est suffisante pour les milliers de pèlerins qui chaque année viennent ici. La profondeur n’a pas été mesurée à ce jour, elle serait d’environ quatre ‘Klasster’. Beaucoup ont parlé d’une citerne. Mais l’expérience le prouve, lors des périodes de sécheresse, alors qu’on asséchait la fontaine, elle revenait la nuit suivante, comme s’il le fallait, pour parer aux besoins du lieu.’
Comme Michael, je reste sans voix. Je ne connais pas la correspondance d’un Klasster… Mais, une source accessible dans la cour du couvent et susceptible de subvenir aux besoins en eau des pèlerins de Sainte Odile ? Perplexité ! Et mon ami Dionysus écrit en 1751… Grande perplexité !
Au hasard des pages de Michael, quelques autres notes surprenantes...
- Le Homburger Kopf recèlerait la trace d’un mur d’enceinte. Ah ?
- La Chapelle du frère Léon dans la vallée de la Kirneck est ainsi qualifiée : ‘Bruder Kunos Kapelle, ganz unbedeutende Reste’. Seul et profond désaccord entre Michael et moi, la chapelle, même oubliée, reste superbe !
- La Welschbruch est alors le point de rassemblement des Welches qui venaient chercher du travail dans la forêt. La maison forestière date de 1842.
- Le nom de la Kirneck serait déjà cité dans un poème latin du VIIème siècle : ‘quirnea’. La poésie raconte la mort d’un duc de ‘Friaul’, Hericho, écrit par un patriarche nommé ‘von Aquilea’ !
- La Rothlach, point de passage des travailleurs et des pèlerins était déjà citée en 1059 sous le vocable ‘Floudelen’ Dés 1393, on trouve le nom ‘Rothlach’.
- Le Rocher de Rathsamhausen, ‘Mal- und Grenzstein’. Point frontière des terres de cette famille bien connue de par chez nous, le rocher est déjà nommé ainsi dans un texte de 1059 lors d’un conflit pour la chasse, réglé par l’empereur Henri IV. Puis viennent d’autres conflits entre les Rathsamhausen et la Ville d’Obernai. La roche porte une aigle : les armes d’Obernai. La légende raconte qu’un chevalier de Rathsamhausen fut tué à cet endroit lors d’un duel.
- Le Champ du Feu. Michael se penche sur l’étymologie du nom du lieu. ‘Grosse Viehweide’, puis ‘Viehfeld’, puis ‘Vehfeld’…. Les francophones de la région auraient alors retranscrit : Champ do fé….. puis, Champ du Feu…Le champ qui aurait brûlé là-haut ne serait qu’une bêtise… En 1690, on trouve encore ‘Hochfeld’ dans les textes… ‘Il y a deux cents ans, le nom ‘Champ du Feu’ était inconnu’ : conclut Michael.
Terminons par un mont emblématique de notre belle région, l’Ungersberg
La fière montagne est toujours admirée, considérée comme un ‘Wetterprophet’ Si le mont est dégagé, beau fixe, sinon, pluie ! Le mont aurait en ses flancs une immense caverne pleine d’eau, et un jour, ces eaux se déverseront et inonderont tous les alentours ! Alors, de tout temps, les gens seraient venus poser des rochers et des pierres pour que le mont soit plus solide et éviter le pire. Et c’est pour cette raison que les flancs sont couverts de rochers et que les ruisseaux sont si puissants au pied du mont !
Le nom ‘Unger’ provient des hongrois, qui ont envahi le pays vers 950….
Le Ungersberg fut le lieu de conseil pour les premiers partisans du Bundschuh, révolte des Paysans contre les nobles et le clergé. En 1493, le premier drapeau avec la chausse à lacets fut hissé sur le Ungersberg ! Cette montagne mérite le respect !
Le livret de Michael fut publié grâce aux dons de plusieurs familles commerçantes, proches des lieux cités. Nous en avons retenu deux.
Le restaurant de monsieur Adolf Willm à Barr, propose une cuisine bourgeoise et sert des vins de ses terres.
L’hôtel d’Auguste Dubs, à Obernai, est situé sur la place du Marché, en face de l’église. Il est reconnu pour sa bonne cuisine et ses vins naturels. Le Rouge d’Ottrott est cité ! La chambre pour un mark soixante, avec lumière électrique ! Bigre ! Table ouverte de midi à sept heures trente ! Le petit déjeuner pour 50 pfennigs. Il semble que les prix aient bien évolué depuis ces temps bénis… Auguste était un précurseur, voyez plutôt : son annonce cite une remise pour garer les bicyclettes !
Vive August et vive le vélo !
- Michael Herbig, Führer für Barr und Umgebung, 1904
- Dionysus Albrecht, History von Hohenburg, 1751
- Photographies du Mont, PiP
- Cartes tirées du livret de Michael Herbig
Lisons, lisez,
Relisons, relisez nos anciens !
Et Grand Merci à Edy, qui m’a prêté ce livre !