Le Paradis selon Herrade de Landsberg
Herrade de Landsberg termine l’ Hortus Deliciarum en nous proposant sa vision du Paradis. Comme le fait le Nouveau Testament, l’abbesse de Sainte-Odile conclut son œuvre, par l’ Apocalypse selon Jean. Trois images présentent successivement l’Enfer, la chute de la Grande Babylone et la Femme de l’Apocalypse. ( Nous avons déjà traité de l’ Enfer selon Herrade, cliquez sur le lien ).
Vient ensuite une image du Paradis. La voici.
L’image peut surprendre. Chacun a sa vision de ce lieu, où les justes devraient se retrouver après la mort. Je doute que beaucoup d’entre nous se représentent le Paradis comme Herrade nous le dessine.
L’aquarelle comporte deux aspects : au centre, un vieil homme portant l’auréole accueille sur ses genoux ceux qui doivent être les justes. La légende nous indique qu’il s’agit d’Abraham.
Aux quatre coins de la feuille, de jeunes hommes aux cheveux longs portent de larges amphores d’où s’écoulent des flots abondants.
Herrade juxtapose deux visions du Paradis : l’Eden de la Genèse et le Sein d’Abraham de l’évangile de Luc.
Tout au début de la Bible se trouve une brève description de l’Eden, le jardin merveilleux qui accueille Adam et Eve. Voici les versets consacrés à ce thème :
Un fleuve sort d’Eden pour arroser le jardin
Et de là se divise en quatre.
Un des fleuves s’appelle Pishôn
Il embrasse tout le pays d’Hawila
Où se trouve l’or.
Avec cet or si bon,
Le bdellium et le lapis-lazuli.
Un deuxième fleuve s’appelle Guihôn,
Et ceinture tout le pays de Koush.
Le troisième d’appelle le Tigre
Et descend à l’est d’Assour.
Enfin le quatrième, c’est l’Euphrate.
L’Eden est donc un jardin, avec de l’or, arrosé par un fleuve qui se subdivise en quatre. Les jeunes hommes d’Herrade symbolisent les fleuves de l’Eden, et arrosent le Paradis avec l’eau de leurs amphores. Les quatre noms cités dans la Genèse sont portés sur le dessin d’Herrade. Parmi eux, deux que nous connaissons bien : le Tigre et l’Euphrate qui coulent en Mésopotamie. Pour les deux autres, le Pishôn et le Guihôn, les exégètes proposent plusieurs solutions.
Pour le Pishôn, vous pouvez trouver le Gange, le Nil et même le Danube…. Pour le Guihôn, on parle du Nil Bleu, voire de l’Amou Daria. ( On note que les savants précités écrivent avant Christophe Colomb : ni l’Amazone, ni le Mississipi ne sont cités, pas plus que le Yang-Tse Kiang, d’ailleurs.)
Selon d’autres ‘spécialistes’, le Pishôn et le Guihôn auraient tout simplement disparu… lors du Déluge. Bigre !
Les Fleuves du Paradis, Hortus Deliciarum
Quelques explications sur deux termes employés dans les versets de la genèse précités.
Le bdellium serait une gomme, une résine, proche de la myrrhe et produite par le balsamier. Il viendrait d’ Inde, d'Afrique ou d'Arabie. Selon Pline, ce produit était utilisé pour soigner les maux de poitrine, d'intestin et les problème de vessie. Mais on trouve bien d’autres explications à ce terme….
Le lapis-lazuli est une pierre semi-précieuse de couleur bleue. Parfois le lapis est confondu avec le saphir, il fut longtemps utilisé, en poudre, comme aphrodisiaque…
Vous seriez bien en peine de trouver dans les Evangiles une description du devenir des élus, après le Jugement dernier. Le seul indice que nous ayons trouvé, figure dans la Parabole du Pauvre Lazare, citée par Luc. Herrade connaissait bien ce passage de l’évangile : elle en a tiré trois belles miniatures que nous détaillerons peut-être un jour.
Mais voici le texte de Saint Luc :
Un homme était riche. Il s’habillait de pourpre et de lin fin. Il donnait chaque jour des fêtes splendides.
Un pauvre, nommé Lazare, gisait à sa porte, le corps couvert de plaies. Il espérait calmer sa fin avec ce qui tomberait de la table du riche. Les chiens venaient lui lécher les plaies. Mais voilà que le pauvre meurt. Les anges l’emportent auprès d’Abraham. Le riche meurt aussi et on l’enterre.
Dans les douleurs du séjour des morts, levant les yeux, il voit dans le lointain Abraham, et, dans ses bras, Lazare.
Vous voyez, le lien est ténu. Après sa mort, le juste Lazare se retrouve dans les bras d’Abraham, dans un lieu qu’Herrade suppose être le Paradis. Alors que le mauvais riche brûle, assoiffé, dans les flammes de l’Enfer, Abraham siège sur un vaste trône richement décoré. Sur ses genoux se pressent les élus. Mes plus fidèles lectrices remarqueront, comme moi, que les Justes sont tous des hommes. Le texte d’Herrade nous dit ‘ Les Justes seront en paix dans le giron d’Abraham, le père de tous les croyants’.
Les seuls autres éléments du décor sont des couronnes suspendues et deux palmiers.
Le Paradis d’Herrade se révèle un rien austère et totalement masculin.
Notre propos n’est pas de rappeler ici l’histoire et la place d’Abraham dans la Bible. Alliance avec Dieu, naissance d’un premier fils Ismaël, deuxième alliance, deuxième fils Isaac, Sodome et Gomorrhe, … les épisodes, souvent dramatiques, sont nombreux et montrent l’importance de ce prophète, qui sera le père de tous les croyants.
Le plus connu des évènements de la vie d’Abraham est le sacrifice d’Isaac. Dieu demande à Abraham de lui sacrifier son fils Isaac, Abraham accepte d’immoler son fils et est arrêté dans son geste par un Ange.
Mais savez-vous que dans le Coran, Dieu met également Abraham en demeure de lui sacrifier son fils ? Par contre, selon le Coran, l’épisode se passe à la Mecque et le fils concerné est l’aîné : Ismaël. Isaac ne naîtra que parce qu’Abraham s’est soumis à la demande de Dieu.
Voici, extraites de la sourate 37, les lignes qui traitent du sujet. C’est Ibrahim, qui parle.
Il dit : ‘J’émigre vers mon Seigneur. Lui me guidera, ô mon Seigneur, accorde moi quelques justes’. Nous lui fîmes donc l’annonce d’un garçon longanime. Quand ce dernier parvint à l’âge actif, il lui dit :‘ Mon enfant, je me suis vu en rêve t’égorger. Examine quel parti prendre.’ Le fils dit : ‘ Père , faîtes de dont vous avez reçu le commandement. Vous me trouverez, si Dieu veut, patient entre tous’.
Ayant tous deux manifesté leur soumission, il le jeta à terre sur la tempe. Alors nous l’appelâmes : Abraham ! Tu as ainsi avéré la vision. Ainsi les bel-agissants, nous rétribuons. Ce n’était là que preuve d’élucidation.’ Nous le rachetâmes comme une prestigieuse victime.
….
Nous lui fîmes l’annonce d’Isaac, en tant que prophète d’entre les justifiés. Nous le bénîmes, Isaac et lui.
Voici une image issue d’un parchemin, qui représente le ‘Sacrifice d’Ismaël’.
Quant au Paradis, il est cité et décrit dans plusieurs sourates ( 13, 21, 39, 43, 66, 133…). Nous avons retenu un passage étonnant de la sourate 47, où on retrouve l’idée de quatre rivières, bien différentes, des fleuves de la Genèse : ruisseaux d’eau, de lait, de vin et de miel.
‘ Semblance du Jardin dont les prémunis ont reçu la promesse : il y a là des ruisseaux d’une eau toujours courante, et des ruisseaux de lait au goût inaltérable, et des ruisseaux de vin, délice des buveurs, et des ruisseaux de miel épuré. Ils y ont des fruits de toutes sortes, avec l’indulgence plénière de leur Seigneur : (serait-ce) comme de s’éterniser dans le Feu ?’
Nota : Les personnes intéressées par les fameuses ‘houris’ se reporteront aux sourates 37, 38, 44, 55, 56 et 78. A mon avis, elles devraient être déçues.
Retrouvez l'Hortus Deliciarum ( cliquez sur le lien )
- Le Coran, essai de traduction par Jacques Berque
- La Bible, nouvelle traduction de Frédéric Boyer
- Hortus Deliciarum, reconstitution d’Auguste Christen
- Herrade de Landsberg, Hortus Deliciarum, Jean Claude Wey