La grande brèche du Rathsamhausen
Dernièrement, notre ami Patrick, AmChOtt confirmé et confiné, nous a envoyé une superbe photographie qui semble dater des années 1890. Cette image a été prise par Henri Lanche (1850-1930). Henri était le directeur de la manufacture de colorants de Klingenthal. Cette usine occupait le site actuel des Naïades. Henri a quitté son poste et déménagé à Strasbourg en 1891.
Voyons un peu. Le mur sud du logis était beaucoup plus élevé qu’aujourd’hui. La grande brèche du Rath était encore béante et le mur ‘ouest’ n’avait pas été stabilisé par les énormes tirants toujours en place. Ces travaux datent de 1897. Il est vraisemblable qu’Henri ait pris cette vue plusieurs années plus tôt, avant son départ de Klingenthal, vers 1890.
Nous nous intéressons aujourd’hui à la grande brèche et aux travaux qui ont permis de la combler.
Historique iconographique de la brèche
Voici quelques images anciennes de la façade sud du donjon palais du Rathsamhausen.
- 1814 Aquarelle de Imlin
- 1828 Lithographie de Bichebois
- 1836 Dessin de Laurent-Atthalin
- 1841 Dessin à la plume de Matthis
- 1850 Dessin de Muller
- 1872 Dessin à la plume de Weyser
- 1880 Relevé topographique de Winckler
- 1890 Photographie de Henri Lanche
Imlin est le premier à dessiner cette brèche en 1814, elle est alors déjà bien marquée et mesure environ 3 mètres de hauteur. Bichebois confirme le dessin d’Imlin en 1828 : le mur ouest est alors intact et porte tous ses merlons. En 1836, Louis Laurent-Atthalin montre que la brèche s’est bien élargie. Sur le dessin de Matthis en 1841, l’élargissement est vraiment net, peut-être exagéré. Confirmation par Müller en 1850. Le dessin à la plume Weyser de 1872 montre l’urgence d’une intervention. Le relevé de Winckler en 1880, montre que l’ensemble du mur ouest est sur le point de s’écrouler.
Note : Si le ‘relevé’ de Winckler semble vraiment sérieux et professionnel, l’observateur avisé relèvera plusieurs erreurs. Le second étage est correctement restitué, mais les cinq fenêtres du premier niveau sont pour le moins approximatives. Les fenestrons des greniers sont mal représentés, et le ratio hauteur/largeur du bâtiment n’est pas respecté. Méfions-nous des archéologues ‘amateurs’.
La photographie de Henri Lanche confirme, s’il en était besoin, la nécessité d’intervenir sans délai.
Terminons notre galerie d’images anciennes par deux aquarelles de Fernand de Dartein, datées de 1860 et 1891. Merci à notre ami Dominique, AmChOtt lui-aussi, de nous autoriser la publication de ces deux images issues de sa collection. La brèche a vraiment impressionné notre Fernand !
1897 - Les travaux de consolidation du donjon-palais du Rathsamhausen
Le mur ouest était sur le point de s’effondrer et nous allions perdre un magnifique élément du patrimoine alsacien. Le devers du mur ouest atteint un mètre au sommet du mur !
La Société pour la Conservation des Monuments Historiques d’Alsace prend alors les choses en main. L’étude est confiée à monsieur Salomon, Architecte des Monuments historiques en 1897. Début des travaux, le 14 septembre, ils sont confiés à monsieur Naegele, maître maçon à Obernai. Ils dureront jusqu’au 7 décembre, avec une interruption lors des vendanges. (Le Rouge d’Ottrott est une merveille !)
L’échafaudage est posé d’abord à l’intérieur du donjon-palais : 19 mètres de hauteur. Le sommet est alors dé-végétalisé. Monsieur Salomon rapporte que le plus gros arbre était un pin de 43 cm de diamètre à la base du tronc. Les racines descendaient de six mètres dans la muraille.
Ensuite, les arases ont été reprises : le chemin de ronde dallé et les merlons ont été maçonnés.
Le but de l’opération était surtout de stabiliser, autant que faire se pouvait, le mur ouest. Monsieur Salomon décide de poser deux immenses tirants pour solidariser le mur ouest avec le reste du donjon. Les tirants traversent le mur et sont posés sur la ligne de corbeaux du sol du deuxième étage du donjon palais. Ils ont une section de 5 cm. A l’extérieur, deux grandes clefs en croix maintiennent le mur : les fers des clefs ont 4 mètres de longueur.
Note personnelle pour ÉtF : La même année, la petite fenêtre romane du deuxième étage du logis (mur est) est également remise en place et consolidée.
Parallèlement, le bergfried (donjon circulaire) du Rathsamhausen connaît deux campagnes de consolidation dont nous avons déjà parlé par ailleurs.
L’ensemble de ces opérations est financé par moitié par la Société pour la Conservation des Monuments historiques d’Alsace et la famille Scheidecker, propriétaire des ruines.
2020 La situation actuelle
Commençons par rendre hommage à nos aînés. Sans eux, le donjon-palais serait à terre. Merci à ceux qui ont œuvré par sa sauvegarde.
Si l’angle sud-ouest du donjon n’a pas souffert depuis la campagne de 1897, on ne peut pas dire la même chose de l’angle nord-ouest. Les tirants ont certes bien rempli leur rôle : le mur ouest est toujours debout. Mais, au nord, toute la partie haute est tombée : les merlons, ensuite le parement, puis tout l’angle nord est tombé. Nous avons perdu plusieurs mètres de hauteur, et la vaste croix nord est endommagée. De même, avec moins de gravité, le mur ‘est’ du donjon-palais est aujourd’hui menacé.
Chaque hiver, à chaque coup de vent, les AmChOtt ramassent des pierres tombées du haut du donjon jusque derrière la porte de bois du château. Nous ne le dirons jamais assez, les ruines sont encore dangereuses : merci de respecter les consignes de sécurité des AmChOtt.
Pourquoi ne pas intervenir rapidement sur le donjon-palais ?
L’Association des Amis des Châteaux d’Ottrott a aujourd’hui un peu plus de trois ans. Nous sommes tous bénévoles. De simples bénévoles qui donnent leur temps pour votre patrimoine. Nous faisons de notre mieux.
Les châteaux d’Ottrott sont ‘inscrits’ à l’inventaire des Monuments Historiques et bénéficient, pour les grands travaux, d’un taux de subvention d’environ 50 %.
Ainsi, en 2019, les AmChOtt ont du trouver 125.000 euros pour sauver le donjon circulaire du Rathsamhausen. C’est une somme énorme pour une petite association comme la notre. ( Coût Total de l’opération 250.000 euros, subventions Etat-Région-Département 125.000 euros, reste à financer 125.000 euros).
Notre prochain défi est de sauver le Palais 1400 du château de Lutzelbourg. Cet édifice, fragile, élégant, est unique en Alsace. Ce sera très difficile, surtout dans les circonstances actuelles. Les AmChOtt espèrent néanmoins intervenir en 2021.
Une intervention sur le donjon-palais serait plus onéreuse encore. Elle n’est pas, pour l’instant, envisagée par le Bureau de l’Association, faute de financement.
Les bénévoles interviennent dans les châteaux où ils accomplissent des prouesses. Entretien des jardins, maçonnerie des parties basses, mise en valeur du site, accueil des visiteurs. Nos châteaux sont magnifiques, venez les voir (après la levée du confinement, bien entendu).
Les AmChOtt travaillent pour vos châteaux !
Aidez-les ! Rejoignez-les !
Site informatique : www.amchott.fr
Sources
Bulletin de la Société pour la Conservation des Monuments historiques d’Alsace – 1899 et 1902
- Séance du comité du 14 octobre 1897
- Séance du comité du 22 décembre 1897 :
- Séance du comité du 3 mai 1898 :
- Assemblée générale du 12 juillet 1899 :
Illustrations
- Photographies par drone, EtF et PiK
- Illustrations anciennes, auteurs et dates cités dans le texte