Frédéric II et les faucons des châteaux d’Ottrott
Frédéric II de Hohenstaufen (1194-1250) était un personnage hors du commun. Fils de Henri VI le Cruel et de Constance de Sicile, Frédéric n’est qu’un tout jeune enfant à la mort de son père, et peu de gens lui accordent alors un quelconque avenir. Il grandit à Palerme, presque abandonné de tous. Pourtant Frédéric va devenir le plus puissant des monarques du treizième siècle.
Jeune roi de Sicile par sa mère, Frédéric conquiert de Saint Empire Romain Germanique face à Othon de Brunswick. Il devient Roi de Jérusalem suite à son entente avec le sultan d’Egypte Malik Al Khamil. Frédéric règne alors de Hambourg à Syracuse, de Lyon à Vienne, d’Arles à Danzig, sur la Corse, la Sardaigne et sur le Royaume de Jérusalem.
Malgré sa ‘croisade’ et la reconquête des lieux saints, Frédéric devra toute sa vie s’opposer puis combattre les quatre papes qui se succéderont à Rome lors de son règne. Frédéric sera excommunié par deux fois, mis au ban de la chrétienté, frappé de toutes les formes d’interdit. Les papes du XIIIème siècle n’appréciaient guère celui qui osait contester la suprématie de l’Église !
Frédéric était plus italien qu’allemand. Ses voyages dans la partie nord de l’Empire seront peu nombreux et somme toute de courte durée. Ils ont cependant marqué les esprits par leur faste. Mais, Frédéric préférait sa Sicile, où il vivait entouré d’une cour de savants, avec qui il dissertait de philosophie, de sciences, de médecine et de poésie.
Ses ennemis l’accusaient de s’être rallié à l’Islam. Sa garde personnelle n’était-elle pas composée de cavaliers musulmans ? Ne se déplaçait-il par avec un véritable harem ? Grégoire IX l’appelait ‘l’Antéchrist’.
Note : les ouvrages consacrés à Frédéric sont nombreux, nous conseillons le livre de Jacques Benoist-Méchin.
Frédéric s’est marié à quatre reprises, il a eu de nombreux enfants. On ne compte pas ses maîtresses et leurs enfants illégitimes… Parmi toute sa descendance, Frédéric fera une place toute particulière à Manfred, fils de Bianca Lancia, sa troisième épouse. Contrairement à ses aînés Heinrich et Konrad, Manfred grandit et vit proche de son père. Comme lui, il parle l’italien, le latin, l’arabe et l’hébreu. Avec lui, il rencontre les savants de son époque. Enfant, Manfred accompagne Frédéric lors de ses nombreuses chasses. Manfred, comme son père, se passionne pour la fauconnerie. A son intention, Frédéric rédige alors ‘De arte venandi cum avibus’. ‘L’art de chasser avec des oiseaux’ est un traité de fauconnerie rédigé par un empereur pour son fils.
Frédéric chassait fréquemment ; ses châteaux de Sicile étaient situés sur les promontoires dégagés qui permettaient la chasse au faucon. C’est Frédéric qui, suite à son séjour à Saint Jean d’Acre, a introduit en Sicile les capuchons à aigrettes qui coiffaient ces oiseaux en Orient.
Le traité a été rédigé vers 1245. Il est écrit en latin : plus de 100 feuillets calligraphiés au format 25x36 cm, en recto-verso, avec près de mille enluminures pour la version déposée à la Bibliothèque Vaticane. Un véritable monument de la connaissance des oiseaux au XIIIème siècle.
Entouré de savants comme il l’était, Frédéric s’est basé sur les traités connus à l’époque. ‘De animalibis libri’ d’Aristote a été traduit à partir d’un manuscrit arabe par Michael Scottus, philosophe, médecin et astrologue à la cour de Frédéric. L’empereur s’est également basé sur le traité de Moamin, fauconnier arabe, traduit pour lui par un certain ‘magister Theodor’ pour Frédéric.
Le livre débute par un point sur les connaissances ornithologiques de l‘époque. De nombreuses espèces d‘oiseaux sont représentées, soit au sol, soit en vol. Dans ce cas, les différentes positions des ailes sont présentées. On dénombre la description de plus de 80 espèces.
Dans la suite, le travail des fauconniers, leurs outils, les phases de dressage sont étudiées et illustrées.
Frédéric s‘est, certes, basé sur les textes anciens, mais sa lecture est critique et certains détails proviennent bien de sa pratique personnelle de la chasse. Contredire Pline ou Aristote ne génait guère Frédéric!
Comme il le dit dans le prologue : „Intentio vero nostra est manifestare ea quae sunt sicut sunt“ Notre intention est de décrire les choses qui sont, telles qu‘elles sont.
Le manuscrit original du traité de Frédéric a malheureusement disparu lors du siège de Parme. Nous sommes en 1248. L‘empereur assiège Parme, il a installé un vaste camp retranché devant la ville qui ne devrait plus résister bien longtemps. Comme à l‘accoutumée, Frédéric voyage avec son trésor, ses coffres, ses bijoux, sa couronne, ses manuscrits précieux… Lors d‘une sortie surprise, les assiégés s‘emparent du butin précieux! Le manuscrit de ‚De arte venandi cum avibus‘ disparait lors de cette échaufourrée… Bigre !
Fort heureusement, une deuxième version du traité subsite. Celle qui était dédiée à Manfred, le fils préféré. Ce manuscrit, rédigé sur parchemin, est aujourd‘hui propriété de la Bibliothèque Vaticane, il est annoté de la main de Manfred (addidit Rex).
Note - Les images proposées dans cet article sont des copies du manuscrit de Manfred. Les images originales sont plus belles, mais protégées par un droit de recopie. Nous n’avons pas obtenu l’autorisation de les reproduire ici . Nous en enverrons une sélection, par courriel, sur simple demande, aux lecteurs intéressés.
Certaines images sont étonnantes, témoin celle-ci montre un fauconnier qui rejoint son faucon à la nage dans un lac.
A ma connaissance, Frédéric II n’est jamais venu à Ottrott. Il en a cependant marqué l’histoire ! Si l’actuel château de Rathsamhausen date de quelques dizaines d’années avant son avénement, l’érection du château voisin de Lutzelbourg suit de peu la fin de son règne. Le long Interrègne qui suit la mort de Frédéric a entrainé tant de changements sur le Mont Sainte-Odile !
Aujourd’hui, dans nos châteaux, le faucon crécerelle est toujours présent, comme en souvenir de Frédéric II. Les AmChOtt qui travaillent sur les lieux sont accompagnés chaque semaine par les cris et les vols de ce rapace somptueux et élégant. En 2020, un seul couple a investi le donjon-palais du Rathsamhausen. Nous avons eu une belle nichée de cinq fauconneaux. Cette année, ce sont quatre couples qui nichent chez nous. Deux couples sont restés sur le donjon du Rath. Deux autres ont préféré le château de Lutzelbourg.
Les AmChOtt ont restreint les visites à l’intérieur des ruines, évité le bruit pendant la période de nidification. Nous ne voulons pas importuner ces seigneurs du ciel !
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Jacques Benoist-Mèchin, Frédéric de Hohenstaufen, Le rêve excommunié, 2006
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Anne Paulus, Baudouin Van den Abeele, Frédéric II de Hohenstaufen, L’art de chasser avec les oiseaux, traduction intégrale du traité, 2000
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Bibliothèque Vaticane, Manuscript Pal. Lat. 1071
lien : https://digi.vatlib.it/view/MSS_Pal.lat.1071
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Photographies des faucons d’Ottrott, AmM et PLG (AmChOtt)
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Aquarelles du manuscript, copies du codex de Manfred, Internet