1466 & 1470 Paix Castrales des Châteaux d’Ottrott
Dans cette deuxième moitié du XVème siècle, le roi de France Louis XI est en lutte avec Charles le Téméraire, duc de Bourgogne. Charles viendra guerroyer jusqu’en Alsace.
A Strasbourg, l’autorité se trouve en la personne de l’évêque Ruprecht. L’empereur Frédéric est un Habsbourg, autrichien. Menacé par les Hongrois, puis par les Suisses, il ne s’intéresse guère à l’Alsace.
A Ottrott, l’Hinterlützelburg (aujourd’hui Rathsamhausen) est à la famille de Hohenstein. Henri a transmis en 1444 sa superbe forteresse à son fils Jacques.
A moins d’une centaine de mètres, le Vorderlützelburg (aujourd’hui Lutzelbourg) est à la famille de Rathsamhausen. Le château remis à neuf par Egenolf et Hans au début du siècle, est passé à Henri, puis à ses trois fils.
Visiblement, les relations entre les deux familles sont tendues… Jacques de Hohenstein va jusqu’à occuper la forteresse voisine. L’évêque Ruprecht joue les bons offices et tente de réconcilier les deux familles, si proches des couvents du Mont Sainte-Odile.
Voici le document rédigé en 1466.
Le texte débute ainsi :
‘Nous, Ruprecht, par la grâce de Dieu évêque de Strasbourg et Landgraf d’Alsace, reconnaissons et faisons savoir à tous par cette lettre les faits suivants. Alors que des errements et conflits se sont révélés et ont eu lieu, entre d’une part notre cher et fidèle Jacques de Hohenstein et d’autre part, les frères Egenolf, Jacques et Hans de Rathsamhausen, le château de Vorderlützelburg a été pris aux dépends des dits frères de Rathsamhausen, nous réunissons les deux parties avec leur bonne conscience et leur bonne volonté, avec leurs bons conseillers. Nous faisons savoir qu’entre les parties, tous les descendants, leurs servants et leurs copropriétaires, est conclue une paix castrale, bonne, stable, fidèle et durable qui concerne les châteaux cités ci-après, les Hunder et Forder Lützelburg, selon les buts et les termes tels qu’ écrits plus loin.’
Transcription NiM, tentative de traduction PiP
L’instigateur du traité de paix est donc l’évêque Ruprecht (1440-1478). Il semble servir d’intermédiaire et de sage entre les seigneurs des deux châteaux d’Ottrott, distants de moins de cent mètres, et visiblement en conflit : les Hohenstein et les Rathsamhausen.
Jacques de Hohenstein est un personnage haut en couleurs. Il est le seigneur de l’ Hinter Lützelburg (aujourd’hui Rathsamhausen).
Dans ce traité de paix, Ruprecht qualifie Jacques de ‘cher et fidèle’. Ceci est plutôt piquant : les démêlés entre Jacques et Ruprecht seront nombreux et Jacques finira emprisonné dans les geôles de l’évêque à Dachstein quelques années plus tard, suite au complot du Guirbaden. (voir la liste des nombreux articles que nous avons consacrés à Jacques de Hohenstein en fin de page)
Egenolf, Jacques et Hans sont les fils de Henri de Rathsamhausen. Ils sont les seigneurs du Vorder Lützelburg (aujourd’hui Lutzelbourg) et ils possèdent également les châteaux de Dreistein.
Comme moi, vous pouvez lire sur la première ligne : ‘Wir, Ruprecht von Gottes Gnade Bischoff zu Strasburg und Landgrav zu Elsas ...’
Voici les limites du traité, telles qu’elles apparaissent dans le deuxième alinéa du texte.
‘Tout d’abord, du HinderLützelburg jusqu’au BernhoertsBurg, du Bernhart Burg jusqu’à Sant Leonhardt, de Sant Leonhardt à Ottenrode, de Ottenrode à Sant Nabur, de Sant Nabur à Niddern Monster, de Niddernmonster à Hohenburg, de Hohenburg au Birckenfels, du Birckenfels à Hohenburgwiller, de Hohenburgwiller aux Drijen Steinen, des Drijen Steinen en descendant la vallée jusqu’au Berenbach et jusqu’à Sant Leonhart, et de Sant Leonhardt jusqu’au FordernLützelburg ; ainsi que tout ce qui est compris dans ces lieux et aux alentours : Ottenrode et Sant Nabur avec leurs bans, le village du haut et le village du bas, les forêts, et toutes leurs dépendances, Hohenburg et Nieddernmenster, avec leurs forêts et dépendances, les Drije Steine et leurs forêts et dépendances, Walspurg avec ses forêts et dépendances, les deux Lützelburg, celui de derrière et celui de devant, ainsi que leurs forêts et toutes dépendances.’
Transcription NiM, tentative de traduction PiP
Nous avons conservé dans notre traduction les noms de lieux avec leurs orthographes d’alors. Voici les noms actuels des divers points cités.
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HinderLützelburg : château de Rathsamhausen. En 1466, le château est à la famille des Hohenstein. Le seigneur des lieux est Jacques de Hohenstein.
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BernhoertsBurg, Bernharstburg. Ce nom de Bernharsburg ne peut que surprendre. En fait, il nous était inconnu avant la lecture de cette paix castrale. Si nous nous laissons guider par le contexte, il ne peut s’agit que de la ruine du Koepfel. Nous ne faisons là que rejoindre l’hypothèse déjà émise par Nicolas Mengus dans son article publié dans la revue ‘Recherches Médiévales’.
Située à quelques centaines de mètres des châteaux d’Ottrott, la ruine du Koepfel n’apparaît pas dans les sources historiques. Les quelques éléments encore en place, base d’une tour et mur d’enceinte, semblent indiquer une édification entre le Xème et XIIème siècle. -
Berenbach : rivière, l’Ehn qui a porté bien des noms :Argitia, Ergisa, Argens, Argenza, Erger...
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Sant Leonhardt : abbatiale de Saint Léonard
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Ottenrode : village d’ Ottrott
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Sant Nabur : village de Saint Nabor
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NiddernMonster : abbaye de Niedermunster
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Hohenburg : abbaye du Mont Sainte-Odile
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Birckenfels : château de Birkenfels. En 1466, le château est fief de la famille Beger. Il est encore occupé, son landvogt est alors Fritsche de Nideck.
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Hohenburgwiller : village disparu, il était situé à l’emplacement de l’actuelle maison forestière de Willerhof. En 1466, ce village devait déjà être à l’abandon.
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Drijen Steinen : châteaux de Dreistein. Dès 1442, l’empereur Frédéric accorde son investiture à Heinrich de Rathsamhausen sur les Dreistein. Les châteaux restent dans la famille jusqu’à la Révolution bien qu’ils soient abandonnés avant la Guerre de Trente Ans.
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FordernLützelburg : château de Lutzelbourg. Le château est passé de Henri De Rathsamhausen à ses trois fils Egenolf, Jacques et Hans.
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Walspurg : château de Waldsberg, aujourd’hui nommé Hagelschloss. En 1466, le Waldsberg est déjà une ruine. Il était tombé aux mains d’un chevalier brigand Walther Erb. Il fut démantelé en 1406 par la Ville de Strasbourg après un siège. Lors de notre paix castrale, les Rathsamhausen ne sont, en fait, que les détendeurs des droits sur la forêt avoisinante.
En gros, voici sur un schéma la surface concernée :
Le territoire ainsi délimité couvre l’ensemble du Mont Sainte-Odile.
Les lieux cités appartiennent pour la plupart aux domaines des deux familles de Hohenstein et de Rathsamhausen, ce qui est bien naturel.
Nous noterons cependant deux exceptions notables :
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Lorsque le texte parle de Saint Léonard et du Birkenfels, il semble qu’il fasse plutôt référence à la limite des terres de l’abbaye et du château des Beger. Le domaine lié au traité devait s’arrêter à la rive du Vorbach en direction de Birkenfels et à l’Ehn en direction de Saint-Léonard.
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La deuxième exception est d’un autre ordre : sont inclus dans le traité, Hohenbourg et Niedermunster ainsi que leurs forêts et leurs dépendances. Ni les Hohenstein, ni les Rathsamhausen n’ont de droits sur les terres des deux abbayes du Mont Sainte-Odile. Nous voyons ici la main de l’évêque Ruprecht : l’évêque souhaitait créer une zone de tranquillité durable sur le Mont, il lui a paru de bonne politique d’y inclure les domaines des deux couvents qui trouvaient ainsi des protecteurs proches et puissants : les Hohenstein et les Rathsamhausen.
La paix castrale des châteaux d’Ottrott diffère des autres documents de ce type. En effet, la plupart des paix signées à cette époque évoquent le partage d’un seul château entre plusieurs seigneurs ou familles. Elles prennent alors la forme d’une sorte de ‘règlement de copropriété’ en listant les devoirs et les droits de chacun. On y aborde les questions d’entretien du château, du financement des travaux à effectuer. On parle de l’accueil d’éventuels visiteurs, invités par l’une ou l’autre des parties. On fixe les prix pour le séjour des visiteurs. On nomme un intendant pour organiser la gestion commune du château où on cohabite...
A Ottrott, la problématique est bien différente : il ne s’agit pas de partager devoirs et tâches puisque chaque famille vit dans son propre château , où elle fait ce que bon lui semble. Le but du traité est d’assurer la bonne entente entre les deux familles et d’éviter les conflits, comme celui évoqué dans le préambule du texte : les Rathsamhausen avaient été tout simplement spoliés de leur château par leur voisin.
Les différents articles du texte visent à fixer des règles de bon voisinage. Sécurité des châteaux eux-même, mais aussi garantie sur les chemins d’accès, respect des champs, annonce d’éventuels visiteurs… Le traité met en place une entraide entre les deux châteaux en cas d’attaque de l’un d’entre eux, il interdit de se solidariser avec l’éventuel assaillant du burg voisin. Les manquements graves peuvent être punis d’une amende de quatre mille gulden. Bigre !
Pour vérifier que le traité est bien respecté et pour régler les éventuelles discordes, l’évêque nomme un arbitre (der Obman). A Ottrott, il s’agit de Stephan de Uttenheim zu Ramstein. En cas de problème important, Stephan a un délai de quatorze jours et peut s’appuyer sur les conseils des villes d’Andlau, Oberehenheim (Obernai), Rosheim et Molsheim. La mort de l’Obman est même envisagée dans le traité : il doit alors être remplacé dans le mois qui suit son décès.
Le traité est signé et porte les sceaux des principaux intéressés : l’évêque Ruprecht, Jacques de Hohenstein, Egenolf, Jacques et Hans de Rathsamhausen, Stephan de Uttenheim.
Un dernier signataire doit être mentionné, il s’agit de Engelhart de Nipperg, chevalier. Sa sœur était la première épouse de Jacques de Hohenstein. On peut supposer qu’Engelhart résidait en 1466 souvent au château, chez son beau-frère. Il était donc partie prenante du traité de paix.
Quatre années plus tard, une deuxième paix castrale est signée à Ottrott. Nous sommes en 1470. Le texte des articles est très proche, voire identique à ce que nous venons de lire. La seule différence notoire concerne les signataires.
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L’évêque Ruprecht n’a pas eu à intervenir pour ce nouveau texte, il ne figure plus dans le traité
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Le nom de Jacques de Hohenstein a disparu du traité au profit de celui de son beau-frère Engelhard de Nipperg.
Les trois frères Rathsamhausen restent les représentants de leur château de Lutzelbourg. Stephan de Uttenheim est reconduit dans son rôle d’arbitre, l’Obman. Les limites des territoires concernés restent les mêmes, au mot près. Le montant des amendes est inchangé.
Qu’est-il advenu ? Jacques de Hohenstein s’est visiblement retiré au profit de son beau-frère. On peut s’interroger sur ce retrait. Il peut s’agir des conséquences d’un partage, suite au décès de son épouse et son remariage.
Jacques reste alors seigneur du Guirbaden et du Kagenfels. Il possède à Obernai une demeure. Jacques était prévôt d’Obernai, malgré ses nombreux démêlés avec la ville impériale.
Jacques savait où se loger….
Nous publions ci-dessus une aquarelle qui doit être contemporaine des paix castrales d'Ottrott. Elle représente le château de Rathsamhausen tel qu'il était lorsque Jacques de Hohenstein y demeurait. ( Nous l'avons étudiée par ailleurs, article sur ce site).
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1475 Le complot du Guirbaden
et bien d’autres sur notre site…. www.autour-du-mont-sainte-odile.fr
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Manuscrit de la paix castrale d’ Ottrott en 1466 – ABR 76J N°37
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Manuscrit de la paix castrale d’ Ottrott en 1470 – ABR 76J N°38
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Nicolas Mengus, Aspects de la vie quotidienne dans les châteaux forts au travers des Burgfrieden, Recherches Médiévales N°43
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Nicolas Mengus, Les paix castrales dans les villes et châteaux alsaciens au Moyen Age, Revue d’Alsace N°118, 1992
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Sceaux apposés à la Paix castrale de 1466, photographies SaB
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Paix castrale de 1466, photographie SaB
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Photographies des châteaux d’Ottrott, EtF
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Schéma des limites de la paix castrale, PiP
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Aquarelle, manuscrit Ms 491, Bibliothèque Municipale de Colmar
Un immense Merci à Nicolas Mengus
pour sa retranscription du texte de la paix castrale
Merci à Etienne et Sandrine pour leur aide précieuse