Des runes sur le Maennelstein ?
Un - Le Maennelstein est un promontoire gréseux qui domine la plaine d’Alsace. Ce belvédère du Mont Sainte-Odile offre une vue saisissante sur le Rhin, sur la Forêt-Noire. Les jours de grande clarté, le regard porte, au sud, jusqu’aux Alpes. On y verrait même le Mont Blanc !
Deux - Les ‘runes’ forment un jeu de caractères, un alphabet ancien utilisé par les Celtes.
Quel rapport entre une écriture celtique et le Mont Sainte-Odile ? Voilà ce que nous dit un savant reconnu : « Une dalle de grès, au pied du Maennelstein, porte une inscription en caractères runiques ». Bigre !
Nous allons étudier cette déclaration de l’archéologue J.G. Schweighaeuser.
Commençons par nous rendre sur le Maennelstein. L’endroit est vraiment exceptionnel. Allez-y ! Le belvédère est situé sur le sentier du Club Vosgien qui longe le Mur Païen sur toute sa longueur. (10,5 kms - balisage : chevalets jaunes). Les ‘Amis du Mont Sainte-Odile’ y entretiennent un bel abri pour le cas, improbable, d’intempéries. Voilà quelques années déjà, ils ont réhabilité la table d’orientation qui avait été vandalisée. Vue exceptionnelle !
Le rocher du ‘petit homme’ s’appelait dans les textes anciens non pas ‘Maennelstein’ mais ‘Einstein’, terme souvent utilisé pour désigner les monolithes, genre menhirs. Il est situé sur le tracé du Mur Païen, en bordure de la Bloss. Outre la table d’orientation, le sommet du rocher présente de nombreuses cupules. Voici quelques images.
Avec l’ami Etienne, notre dronodidacte, prenons un peu de hauteur et admirons tout d’abord les cupules du sommet du rocher et la vue sur le voisinage.
Le Maennelstein, vu du ciel
Avant de descendre au pied du rocher, notons deux détails étonnants.
La légende raconte qu’il y a bien longtemps, lorsque la plaine était encore envahie par la mer, les bateaux naviguaient et venaient parfois s’amarrer aux rochers des Vosges qui seuls dépassaient des eaux. L’anneau du Maennelstein en serait la preuve…. La légende est bien belle, et je ne trouve pas d’explication à cet anneau fixé, à cet endroit dans le rocher. Saviez-vous que sur la première carte de la Bloss, dessinée en 1603, un tel anneau était déjà représenté ? Alors, il était accroché au flanc de la Wachtstein.
Autre particularité. Lorsque vous quittez le kiosque en direction du Mont Sainte-Odile, à quelques centaines de pas, enfoncez vous dans la forêt, sur la gauche du chemin. Cherchez, vous retrouverez peut-être le puisard d’une ancienne citerne aménagée par les forestiers : la Heidenbrunnen.
Les plus audacieux de nos lecteurs, ceux qui n’ont pas mal au genou, se laisseront tenter par l’aventure suivante : à gauche du belvédère quand on regarde vers la plaine, enjambez le Mur Païen, et laissez vous glisser sur la sente étroite et pentue qui mène au pied du rocher. L’endroit est tout aussi beau que le sommet du rocher. Voici quelques images.
Et puis, voici le superbe dessin qu’en fit Louis Laurent-Atthalin en 1836.
Maintenant que nous vous avons fait découvrir les lieux, venons en à cette étrange histoire d’inscription runique.
Johann Gottfried participe à Strasbourg au Congrès Scientifique de 1842 et y présente une ‘énumération’ des monuments les plus remarquables de l’Alsace. Fichtre ! C’est à cette occasion qu’il écrit et publie le court paragraphe qui suit :
On a découvert , il y a quelques années , au bas du Mannelstein , grosse roche à laquelle s'appuie l'extrémité sud-est de cette enceinte, une inscription en caractères runiques, dont la traduction est : ‘Pour cela, Prince des nations Sygge, ta gloire durera autant que le cours des temps.’ On sait que Sygge est le nom que porta Odin pendant le cours de sa vie terrestre, et dont le nom de la ville Sigtuna en Suède a conservé le souvenir. Mais rien jusqu'ici n'indiquait que ce héros divinisé ait eu le moindre rapport avec nos contrées. C'est aussi la seule inscription runique dans toute cette partie de l'Europe. Que peut-on conclure de cette mention du héros et comment expliquer cette singularité?
Bigre ! Voilà une découverte qui interpelle ! Une inscription à proximité immédiate du Mur Païen, et qui plus est écrite en runes, cette écriture des Celtes. Au moment où la querelle entre les tenants d’un mur romain et ceux d’un mur celtique bat son plein, voilà un élément nouveau qui mérite d’être étudié.
Malheureusement, Johann Gottfried ne nous dit pas où se trouve exactement cette inscription, qui l’a découverte, et il n’en publie pas le relevé…. Juste cette traduction, une phrase à la gloire d’Odin !
Quelques années plus tard, Louis Levrault revient sur cette découverte.
Schweighaeuser reconnaît ne pas s’être rendu sur site mais simplement avoir été informé, alors Louis s’est rendu sur place. Il cherche et ne se montre pas convaincu.
Tout au plus est-il possible d’apercevoir quelques traits qui s’ils ne sont pas la trace de lichens, ont en effet certaine apparence d’analogie avec les lignes droites des caractères runiques…
'Une certaine apparence d’analogie’… bon, j’ai connu des enthousiasmes plus marqués.
Louis fait également remarquer que l’écriture à l’aide de runes ne date que du IIème ou IIIème siècle de notre ère. L’Alsace est alors romaine. Et Louis se pose, avec raison, bien des questions sur la présence de cette écriture et du culte d’Odin sur le Mont.
Vingt ans plus tard, Félix Voulot mène l’enquête. Et bien entendu, nous ne sommes jamais déçus des travaux de notre ami Félix. Tout d’abord, il se rend sur le site où il ne voit rien du tout. Pas la moindre gravure. Alors, pas vraiment découragé, Félix se tourne vers le pasteur Ringel qui travaillait avec Schweighaeuser. Félix obtient de lui le document suivant : ce n’est pas moins que le relevé de l’inscription par le découvreur inconnu qui a informé l’archéologue. Voici ce relevé, publié par Voulot.
Un premier texte en caractères que Félix juge ‘cunéiformes’, un deuxième en caractères runiques et un beau dessin d’oiseau, une cigogne peut-être. Les runes mesuraient de 18 à 25 cms de hauteur, l’oiseau mesurait plus d’un mètre d’envergure.
Si Monsieur Voulot publie ce relevé, il reste cependant fort prudent sur son authenticité et mesuré sur les conclusions à tirer.
C’est avec son esprit d’analyse, précis et curieux, que Christian Pfister va aborder ce document. Il va s’intéresser au texte même de l’inscription.
Les deux lignes de runes sont d’après Christian quatre vers d’une edda, un poème épique islandais. Je donne les références aux personnes intéressées : Gripisspa, strophe 45, vers 5 et suivants. Ce poème a été écrit au XIIIème siècle. Sa traduction a été éditée par Jacob Grimm en 1815 dans un livre titré ‘Lieder der alten Edda’.
Selon Christian, la traduction exacte des quatre vers est la suivante : ‘C’est pourquoi, aussi longtemps que l’humanité vivra, prince des peuples, ton nom sera célébré’
Christian conclut ainsi son analyse. Un faussaire-farceur a abusé Schweighaeuser, il a créé de toutes pièces, un alphabet pour y transcrire quatre vers d’un texte ancien suffisamment abscons pour être crédible. C’est cet alphabet que Voulot a cru cunéiforme. Et puis, le faussaire est simplement passé à une transcription runique , que Christian juge d’ailleurs bien imparfaite. Tout est faux ! Bidonné !
Des runes sur le Maennelstein ? Pfff… Tout au plus une blague d’étudiant, pour rigoler.
Comme Louis et Félix, nous avons passé des heures, Etienne et moi, au pied du Maennelstein sans rien y trouver d’autre à admirer que la beauté des lieux. J’en suis ressorti avec une forte conviction.
Les archéologues disent parfois n’importe quoi!
- Le Maennelstein, dessin de Louis Laurent-Atthalin, 1836
- Le Mennelstein, par N.Schir, 1859
- Le Mennelstein celtique, par Tanconville, 1884
- Le Mennelstein, par E. Assmus, 1876
- Photographies, Etienne
- Plan de situation, PiP
- J.G. Schweighaeuser, Enumération des monuments les plus remarquables du Département du Bas-Rhin, 1842, page 9
- L. Levrault, Sainte Odile et le Heidenmauer, 1855, pages 94 et 95
- F. Voulot, les Vosges avant l’histoire, 1875, pages 41-42
- C. Pfister, le Duché mérovingien d’Alsace…, 1892, pages 202-204
- D. Demenge, Louis Laurent-Atthalin Au Pays deSainte Odile, 2007