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Autour du Mont-Sainte-Odile, le Mur Païen

Mur Païen : les travaux de Robert Forrer – 1898-1899

1 Décembre 2022 , Rédigé par PiP vélodidacte, Etienne dronodidacte Publié dans #lieu

Nous avons dernièrement publié deux articles consacrés au Mur Païen dans les textes. Les citations du Mur les plus anciennes commencent dans la Vita Odiliae, nous avons ensuite parcouru plusieurs siècles pour terminer par l’étude de C. Pfister publiée en 1892. Jusqu’à cette date, tous les auteurs sont soit des religieux qui ont habité le Mont, soit des chroniqueurs, des historiens alsaciens. Ils travaillaient le plus souvent dans leur bibliothèque, sur documents.

Avec Robert Forrer, l’optique va complètement changer. Robert est un homme de terrain qui va passer de longs mois sur le Mur. Avec son équipe, il va examiner les rochers, chercher à comprendre comment ils ont été taillés, déblayer les abords, observer, découvrir des détails alors inconnus, se poser des questions pratiques, chercher à apporter des réponses pragmatiques. Son livre, publié en 1899, est passionnant : ‘die Heidenmauer von St Odilien, ihre praehistorischen Steinbrüche und Besiedlungsreste’. Il est illustré par de nombreux croquis explicatifs de l’auteur, mais aussi par des dessins magnifiques de Charles Spindler.

Mur Païen - Versant ouest - proche de la Felsentor - Charles Spindler

Mur Païen - Versant ouest - proche de la Felsentor - Charles Spindler

Nous présenterons les divers sujets et arguments de Robert Forrer dans l’ordre où ils sont présentés dans son livre.

Robert Forrer, archéologue, écrivain, collectionneur

Robert Forrer (1866-1947) a passé sa vie à collectionner, étudier et publier. Sa curiosité portait sur les domaines les plus éclectiques. La liste des articles qu’il a publiés dans de nombreuses revues fait rêver : le Mur Païen bien entendu, la période du moyen-âge, les armes anciennes, les monnaies, mais aussi les bijoux coptes ou égyptiens, et même les éléments de décoration des tonneaux de vins d’Alsace.

Robert a créée la Revue Alsacienne Illustrée. Il est à l’origine du Musée Alsacien et du Musée Archéologique de Strasbourg. Dans toutes ses activités, Robert fait montre de sa capacité à organiser, à réaliser, à conduire ses projets avec méthode et beaucoup d’engagement. Nous allons retrouver ces qualités tout au long de son ouvrage sur le Mur Païen.

Nous encourageons toutes personnes passionnées par le Mur à lire le livre de Robert Forrer. (On le trouve sur Internet et aussi, comme il se doit à la BNU. Bien entendu, Robert en 1899 écrit en allemand).

La Wachtstein - Charles Spindler

La Wachtstein - Charles Spindler

Die Heidenmauer von St Odilien

Dès l’introduction, Robert nous explique qu’il a débuté son étude persuadé comme beaucoup, que le Mur était romain, mais qu’il la termine convaincu que notre enceinte est gauloise. Bigre ! Témoin cette vignette sur la page de garde du livre.

Mur Païen : les travaux de Robert Forrer – 1898-1899

Forrer commence par un bref récapitulatif des traditions et légendes qui entourent le Mur, et dit quelques mots sur les textes qui ont précédé son ouvrage. Heidenmauer (mur païen), Hexenplatz (plateau des sorcières), Teufelpflaster (pavé du diable), cupule de la chapelle des larmes, légende du Wilden Jäger, voilà pour les traditions abordées. Quant aux textes, Robert a tout lu et tout étudié : la bulle de Léon IX, la Vita Odiliae, la chronique de Koenigshoven, Specklin, Marcus Mappus, et tous les auteurs du XIXème. Nous ne sommes qu’au début, Robert cite les noms sans se prononcer sur ces écrits.

Le Rocher d'Oberkirch, Charles Spindler

Le Rocher d'Oberkirch, Charles Spindler

Descriptif du Mur dans sa généralité

Suivent la description et les caractéristiques du Mur. Robert a lu Schweighaeuser et se base sur le plan Thomassin publié par celui-ci en 1825. Le Mur mesure 10 502 mètres de longueur, il enserre une surface supérieure à 100 hectares sur le Mont Sainte-Odile. Le Mur court tout autour du plateau, il sinue au dessus des a-pics et s’appuie sur les rochers. L’enceinte est divisée en trois parties grâce à deux murs transversaux qui coupent le plateau aux endroits les plus resserrés.

Plan Forrer

Plan Forrer

Robert nous propose ici un plan simplifié du Mur. Son intérêt principal est le système de numérotation qui va nous permettre par de situer tous les exemples donnés dans le texte du livre.

Voici un résumé de la présentation de Robert Forrer.

  • Le mur est construit à l’aide de blocs de grès qui ont la forme de parallélépipèdes rectangles. Le grès utilisé est le même que celui des rochers du Mont.

  • Le mur est construit sans fondations. Les blocs inférieurs sont simplement posés sur le rocher ou, par endroits, sur le sable.

  • Les blocs utilisés, ont en moyenne, les dimensions suivantes : longueur 80 à 100 cm, largeur 60 à 70 cm, en hauteur 50 cm environ. Certains blocs sont beaucoup plus gros, la longueur maximale relevée par Robert est de 170 cm. Lorsqu’il s’agit de combler un vide entre deux rochers, les blocs peuvent être de bien plus petites dimensions.

  • La largeur moyenne du Mur est de 170 cm. Les façades intérieures et extérieures sont soignées, bien alignées. Les deux parements sont de qualité. Dans l’épaisseur du mur, on a établi un blocage avec des pierres de plus petites dimensions.

  • La hauteur du Mur relevée par Forrer en 1898 est variable en fonction de l’état de conservation. Robert annonce une hauteur maximale relevée de 3 mètres 70.

  • Aucune trace de mortier sur l’ensemble du Mur. Les blocs sont solidarisés par le système de tenons et mortaises déjà décrits par d’autres auteurs. (Voir les dessins de Laguille et Schoepflin, par exemple). Le croquis de Robert est plus précis, plus réaliste.

Mur Païen : les travaux de Robert Forrer – 1898-1899
  • Les tenons retrouvés sont rares. Ils sont en bois de chêne, mesurent 20 à 30 cm de longueur, 3 à 6 cm de largeur, environ 2 cm de hauteur. Ils sont en forme de queue d’hirondelle. Robert se base sur les tenons dont il a connaissance ; Bibliothèque du Mont Sainte-Odile et musées de Strasbourg, de Colmar et de Nancy.

  • Les mortaises sont présentes sur la plupart des blocs. Elles sont le plus souvent au nombre de quatre par bloc. Le nombre est plus important sur les pierres de grandes dimensions : jusqu’à six encoches.

  • Les encoches et les tenons ne sont présents qu’à l’intérieur du mur. Ils ne sont pas visibles sur les parements. Lorsque c’est, exceptionnellement, le cas, Robert propose trois hypothèses. Primo, un petit bâtiment aujourd’hui disparu aurait pu être adossé au Mur à cet endroit. Deuzio, lors de la construction, l’ouvrier a préféré changer la position initialement prévue de la pierre, pour mieux l’adapter. Tertio, le Mur a pu être réparé localement suite à un effondrement.La première proposition ne semble pas pleinement convenir à Forrer qui lui préfère les deux autres.

  • Robert note le nombre important de roches à cupules à proximité du Mur.

Tenons de bois du Mur Païen - Musée archéologique de Strasbourg

Tenons de bois du Mur Païen - Musée archéologique de Strasbourg

Robert Forrer conclut en insistant sur la solidité du Mur. Son poids énorme et le système de verrouillage des blocs ont fait sa résistance au temps et aux intempéries. Les rares endroits où la destruction est notoire, sont liés à deux explications :

  • La proximité des châteaux forts ou du Couvent : le Mur a servi de carrière de pierres aux bâtisseurs du moyen âge.

  • Là où le Mur repose directement sur le sable et non sur le rocher, l’écoulement des eaux pluviales a sapé l’assise, et les blocs ont roulé en aval.

Laissons Robert conclure cette première partie : ‘Le Mur doit à ses dimensions et son architecture robuste un état de conservation rare et superbe.

la Felsentor - Charles Spindler

la Felsentor - Charles Spindler

Anciens chemins, portes et accès

Lorsque Forrer effectue ses travaux, les portes à couloir du Mur Païen ne sont pas découvertes et gisent encore sous une épaisse couche d’humus. (porte de l’Elsberg, porte Zum Stein, porte Eyer). Robert s’attache donc à décrire les accès qu’il connaît. Nous reviendrons sur les portes du Mur dans un article à venir.

Forrer décrit l’accès du promontoire qui porte le couvent et qui a été fortement modifié lors du tracé des routes modernes : nous ne saurions rien reconnaître de ce qu’il décrit.

Robert cite en outre trois voies d’accès.

  • la voie dite ‘romaine’, le Roemerweg, qui monte d’Ottrott au Mont Sainte-Odile en passant par Saint-Gorgon et le Stollhafen. Pour Robert, sans qu’il apporte une explication bien probante, cette voie existait bien avant les romains. Elle comportait plusieurs zones où les charrois pouvaient se croiser, comme vous pouvez le voir sur son schéma. Sur le plan publié plus haut, Robert indique quatre zones de croisement proches du Mur. (Nous reviendrons plus précisément sur cette voie dans un prochain article).

Mur Païen : les travaux de Robert Forrer – 1898-1899
  • la voie de Barr, elle aussi était encore dallée par endroits lors de la rédaction du livre de Forrer.

  • une troisième voie située à l’ouest rejoignait selon lui la source de la Badstub à la porte Koeberle. Cette voie étroite aurait également été couverte de dalles au moins par endroits. (sic)

Ces deux dernières voies ne sont que mentionnées brièvement.

Porte Koeberle - Charles Spindler

Porte Koeberle - Charles Spindler

Les monuments dits mégalithiques et la Hexenplatz

Robert se montre bien sévère envers les auteurs qui ont repris les croyances et traditions, qui ont trop souvent vu dans les pierres ravinées et dans leurs cupules des autels païens. Il tente d’apporter un peu de rigueur.

  • Le bas des rochers de grès qui cernent le Mont sont souvent érodés, de petites cavités se creusent au pied des a-pics. Schneider,Voulot et d’autres y ont vus des abris sous roche des hommes de la préhistoire. Pour Forrer ces cavités sont bien trop exiguës, trop basses pour pouvoir être nommées ainsi. De plus, ses recherches n’ont pas apporté de mobilier, rien de tangible.
    En effet, mis à part le cas de l abri de l’Elsberg, nous serions bien en peine de contredire monsieur Forrer.

  • La Grotte des Druides a souvent été décrite comme un lieu de culte, certains même ont cru y voir une entrée secrète dans l’enceinte du Mur Païen. Pour Robert, que nous rejoindrons, tout ceci tient du rêve. Ni dolmen, ni tombe, cet amoncellement naturel de rochers, fort typique certes , n’est, au mieux, qu’un ‘abri pour les chasseurs ou des promeneurs’ surpris pat l’orage.

La Grotte des Druides - Charles Spindler

La Grotte des Druides - Charles Spindler

  • Quant à la Hexenplatz, Robert n’y voit pas la main de l’homme. Rochers naturels, cupules naturelles… Quelques rochers ont cependant retenu l’attention de notre archéologue, Robert signale une taille en escalier qui montre, selon lui, que la Hexenplatz avait intéressé les bâtisseurs du Mur. Le projet initial du Mur Païen envisageait peut-être d’inclure la Hexenplatz dans l’enceinte… Je ne sais que penser, je vais demander à Etienne.

Pourquoi a-t-on construit le mur païen ?

Forrer réfute la thèse soutenue par Baehr, Voulot, Schweighaeuser et Levrault qui voyaient dans le Mur uniquement une enceinte sacrée. L’argumentation tient essentiellement en deux points :

  • Pourquoi construire pour un lieu de culte une muraille d’une telle ampleur et d’une telle solidité ? Ceci parait disproportionné et inutile.

  • Et puis, si comme le disent ces auteurs, les bâtisseurs du Mur voyaient dans ces pierres des autels, si les cupules et les entailles servaient aux sacrifices, alors comment ont-ils pu scier, tailler, malmener ces pierres ‘sacrées’ pour en faire un simple matériau de construction ?

Robert Forrer pense, comme Christian Pfister, que l’enceinte du Mur Païen était essentiellement un refuge temporaire pour les gens de la plaine et leur bétail lors de guerres sporadiques. Il juge que la proximité des sources, Sainte-Odile, Badstub, Saint-Jean, Lucie ainsi que les nombreuses cupules permettaient l’approvisionnement en eau pour un repli de courte durée derrière l’enceinte. Pour asseoir son propos, Robert cite la Guerre des Gaules : Jules César décrit en effet des camps de repli similaires.

S’il privilégie le rôle de refuge du Mur, Forrer n’exclut en rien la possibilité de cultes sur le Mont. Nous y reviendrons dans le dernier chapitre de son livre.

Le Mur Païen - Charles Spindler

Le Mur Païen - Charles Spindler

Les carrières et les ateliers

Robert Forrer a accompli un pas de géant en se posant une question fort simple : d’où proviennent les milliers de blocs qui composent le Mur Païen ? Selon ses calculs, plus de 40 000 mètres cube de grès ont été nécessaires. (Je pense que cette évaluation est un minimum, nous serions plutôt aux alentours de 55 000 mètres cube pour environ 300 000 blocs de pierre.)

Robert découvre par hasard une première carrière située entre la Felsentor et le rocher du Stollhafen. En voici le plan relevé par J. Heizmann, un des collaborateurs.

Relevé de la carrière 12

Relevé de la carrière 12

Carrière 12 ( détail)

Carrière 12 ( détail)

Cette carrière est un véritable atelier d’extraction des blocs. De profondes rainures ont été creusées dans le rocher, elles permettront de détacher les blocs par simple éclatement de la roche. Il sera inutile de les retailler : les blocs sont directement utilisables pour le mur tout proche.

Fort de cette première découverte, Robert fera étudier par son équipe tout le pourtour du mur : sur toute la longueur, il découvrira de nombreuses carrières-atelier du même type. (pour retrouver cette trentaine de carrières, se reporter au plan Forrer en début d’article. Chaque petit rectangle noir représente un lieu d’extraction.).

Le chapitre du livre de Forrer consacré aux carrières est épais et fort riche en enseignements. Nous nous contenterons aujourd’hui d’en lister les points principaux.

  • Les carrières étaient cachées par les broussailles, les genêts, les fougères. Les rainures emplies de terre et de racines. Arbustes et mousses recouvraient l’ensemble : le travail réalisé par l’équipe de Forrer est énorme.

  • Les blocs du Mur ne sont pas des pierres trouvées çà et là, retaillées pour avoir cette forme de parallélépipède. Les blocs ont été extraits de rochers plus importants avec la forme et les dimensions souhaitées, grâce à un système de rainures et d’encoches.

  • Les carrières sont à proximité directe du Mur pour minimiser les efforts lors du transport des blocs.

Relevé de différentes carrières du Mur - Robert Forrer

Relevé de différentes carrières du Mur - Robert Forrer

  • La qualité des rochers bruts est variable suivant le lieu d’extraction. Soit on est sur du grès fin, facile à travailler : les blocs seront alors de plus petite taille, plus faciles à transporter. Soit on est sur du poudingue plus grossier, beaucoup plus difficile à travailler, tracer et creuser les rainures se révèle plus difficile : on extrait alors des blocs plus gros. Le travail des carriers est simplifié, celui du transport et de la mise en place des blocs plus difficile.

  • Sur toutes les carrières d’importance, Robert découvre de profondes cupules. Ces cavités ont été creusées afin de garder l’eau de pluie. L’eau pouvait servir à rafraîchir les hommes, à aiguiser les outils, à mouiller les rainures.

  • Pour obtenir l’éclatement de la roche, en l’absence de découverte d’outils, Robert suppose qu’on utilisait de longues et fortes perches insérées dans les rainures, ou bien de gros coins de bois avec marteau.

Exemple de carrières abandonnées suite à un éclatement défectueux de la roche - Robert Forrer

Exemple de carrières abandonnées suite à un éclatement défectueux de la roche - Robert Forrer

Les rainures ont également intrigué Robert. Les plus profondes d’entre elles dépassent les dix centimètres de profondeur. Comment ont-elles été creusées ? Sur les nombreuses carrières observées, on trouve tous les étapes d’avancement du creusement de la roche. Il semble que le rocher ait été tout d’abord martelé sur quelques millimètres de profondeur afin d’obtenir un tracé.
Pour la suite, Robert exclut toute utilisation de scie puisque certaines rainures sont loin d’être rectilignes. Au vue de la profondeur atteinte l’utilisation d’herminettes ou de burins semble impossible. De plus, Forrer n’a pas trouvé de traces que ce type d’outil laisse forcément sur la roche. La technique de découpe imaginée par Robert est la suivante : un outil en forme de coin, très effilé, est poussé et tiré, en va et vient, le long de la rainure ébauchée au burin. Entre cet outil et la roche, on glisse du sable fin, et c’est le mouvement de ce sable qui érode la roche et crée la rainure, profonde et sans trace de coups. Robert a fouillé les abords de la carrière 12 jusqu’au niveau du rocher. Il n’a trouvé tout d'abord qu’une couche de sable, puis une couche épaisse de cendres de bois : pas le moindre outil métallique ou autre ustensile, pas de datation possible. (On peut imaginer que l’outil utilisé pour mouvoir le sable dans les rainures était de bois.)

Carrière 5 - la Kreuzstein

Carrière 5 - la Kreuzstein

 Carrière 5 - La Kreuzstein - vue de dessus

Carrière 5 - La Kreuzstein - vue de dessus

Robert Forrer termine ce chapitre par une question fort opportune. Toutes ces carrières montrent des blocs en phase d’élaboration, certains sont prêts à l’emploi, les rainures sont profondes, terminées. Il semble que le travail soit en cours et que, soudain, tout se soit arrêté. Pourquoi ? Ces carrières ont-elles été abandonnées par ce que le Mur était terminé ? Alors pourquoi tant de blocs encore en cours d’élaboration ? Ou bien, un événement extérieur, imprévu a-t-il mis fin au chantier ? Robert opterait plutôt pour le déplacement des équipes de carriers vers de nouvelles carrières lorsque le mur était suffisamment élevé à un endroit. 

Le mur est-il romain ou plus ancien ?

En 1899, Forrer n’a pas connaissance des recherches et datations des tenons de bois avec nos méthodes modernes. Ses prédécesseurs se sont posé la même question que lui : romain ou pré-romain ? Robert traite longuement du sujet, il rejette l’hypothèse romaine avec force arguments. Nous ne citerons que quelques points de ce long argumentaire.

  • Le Mont Saint-Odile a été visité et occupé de tout temps : les débris et objets retrouvés datent aussi bien de l’âge de pierre, que de la Tène, des romains, des mérovingiens, du moyen âge. Ces différents objets, ainsi que les monnaies romaines, montrent la présence sur le Mont à tous les âges, mais ne disent rien des bâtisseurs du Mur.

Objets retrouvés aux abords du Mur Païen
Objets retrouvés aux abords du Mur Païen
Objets retrouvés aux abords du Mur Païen

Objets retrouvés aux abords du Mur Païen

  • Forrer réfute point par point les théories romaines de Schneider et ses approximations. Pour l’analyse des textes cités par celui-ci, il cite et conforte le texte de Christian Pfister.

  • Tous les camps romains reconnus sont situés dans la plaine. On ne connaît pas d’implantation romaine de la taille de l’enceinte du Mur situé en montagne. Sur les hauteurs, les Romains installaient des postes de surveillance beaucoup plus petits. Ces constructions sont décrites par plusieurs auteurs romains : aucune ressemblance avec notre Heidenmauer. Le Mur enserre une surface bien trop vaste, il est bien trop puissant pour être un simple poste de vigie. Les Romains, de plus, ne construisaient pas de refuges pour se cacher en cas d’agressions : ils se battaient !

  • Le Mur ne comporte aucune inscription latine, aucun bas-relief comme c’est le plus souvent le cas dans une construction de cette importance.

Datation du Mur

Après l’étude du mur et le rejet de l’hypothèse d’une construction romaine, Robert Forrer en vient à la conviction qu’il a acquise lors de ses travaux : le Mur est une construction gauloise.

L’argumentation de Robert est structurée.

  • On trouve sur le territoire de la Gaule des places-fortes gauloises de mêmes dimensions, de même envergure que le Mur Païen : Bibracte, Alésia, Autun, Mursceint.

  • L’utilisation de camps peu accessibles, servant de refuge aux femmes, enfants, vieillards, est attestée par plusieurs textes romains, entre autres dans les Commentaires de la Guerre des Gaules. (par exemple, lire César, II, 29-33)

  • Les murailles de ces refuges étaient de pierres et de bois : poutres croisées, reliées par des crochets de fer. L’utilisation de tenons en queue d’aronde est certes inattendue mais tiendrait du même esprit : bois et pierres liées.

Robert Forrer propose comme période de la construction du Mur : -250 à -100 avant J.C. Nous sommes à la fin de la Tène, bientôt les Romains débuteront la conquête de la Gaule (et de l’Alsace).

On le voit, pas de preuve formelles, mais un faisceau de présomptions sérieuses et bien présentées.

Les implantations préhistoriques du plateau du Mont Sainte-Odile

Le dernier chapitre du livre de Forrer est pour le moins surprenant. On a vu plus haut Robert battre en brèche les idées ‘celtiques’ de ses prédécesseurs. Les abris sous roche ne sont que des cavités naturelles, les dolmens n’en sont pas. Où d’autres ont vu des autels païens, Forrer ne trouve que des carrières… Cependant, de par des objets néolithiques retrouvés, Robert accepte l’idée d’une occupation plus ancienne que le Mur et envisage la pratique de culte au sommet du Mont. Ce qui l’amène à cette hypothèse est la découverte d’un cercle de pierres dans la prairie de la Grossmatt. (référence N°50 sur le plan Forrer). Voici les schémas publiés par Forrer.

Cercle de pierres - Robert Forrer

Cercle de pierres - Robert Forrer

Vous voyez à gauche une vue de dessus, et à droite une coupe du site. Sous une couche de 60 cm de terre et d’humus, Robert a trouvé un cercle de pierres d’un mètre soixante dix de diamètre. Dans ce périmètre, Robert va relever des pierres taillées de petites dimensions. Deux cent quatre vingt huit petites colonnes (Säulchen) en grès fin. Les plus grandes, au nombre de vingt, mesurent entre 15 et 21 cm de hauteur, avec une section carrée de 2 à 5 cm de côté. Elles sont disposées plutôt au centre du cercle. Viennent ensuite une soixantaine de pierres de moindre longueur : 10 à 13 cm. Le reste de longueur inférieure à 10 cm. Au centre du cercle, Robert découvre des restes de poteries qu’il date de l’âge de pierre.

Robert Forrer propose l’explication suivante. Nous serions en présence d’un jeu d’enfants de la préhistoire. L’ensemble aurait été recouvert d’une couche de sable et serait de par cette protection arrivé jusqu’à nous. Bigre !

Jusque là, nous pourrions suivre Robert Forrer. Dans la suite du chapitre, Robert va tout d’abord se perdre dans des comparaisons avec Stonehenge et d’autres monuments mégalithiques, sans nous convaincre.

Mur Païen : les travaux de Robert Forrer – 1898-1899

Ensuite, en se basant sur la forme du cercle, et sur les images anciennes de la chapelle circulaire du Mont Sainte-Odile, Robert va imaginer un temple païen qui aurait dominé le Mont. Une chapelle circulaire a bien existé sur le Mont, elle a été décrite par les anciens, puis dessinée par Johan Peter Muller, et d’autres. On a retrouvé ses fondations à l’entrée actuelle du couvent. Mais, je ne vois pas à part sa forme, le lien qu’il pourrait y avoir entre cette chapelle et un hypothétique jeu d’enfants du néolithique.

Mur Païen : les travaux de Robert Forrer – 1898-1899

Note : Après la parution de son livre, Robert Forrer revint sur cette dernière partie de son texte et reconnut s’être fourvoyé sur ce point.

Conclusion

Les travaux de Robert Forrer nous ont beaucoup appris sur la construction du Mur Païen. Le texte de son livre fourmille de détails et d’analyses fort doctes et souvent percutantes. Lisez-le.

Le XXème siècle va de nouveau changer la donne. Les nouvelles méthodes de travail des archéologues vont ouvrir des voies inexplorées et proposer des hypothèses insoupçonnées.
Nous y reviendrons prochainement. (à suivre!)

Illustrations
  • Les dessins du mur païen, Charles Spindler, Copyright Adagp, Paris, 2022

  • Les relevés, J. Heizmann

  • Photographies, Etienne

Sources

R. Forrer, die Heidenmauer von St Odilien, ihre praehistorischen Steinbrüche und Besiedlungsreste, 1899

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F
Ça alors, Stonehenge au mont Sainte Odile !<br /> Je lance une pétition pour qu'on le remonte : on est sûr d'avoir des touristes, c'est de l'argent mieux investi que pour un téléphérique :)
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P
On a raconté beaucoup de bêtises à propos du Mur. Je vous conseille, François, l'article sur les runes du %aennelstein, c'est aussi gratiné. J'ai en réserve d'autres surprises... A suivre !
I
Merci Mr PIP pour ce travail.<br /> A elle toute seule, cette construction mégalithique dite cyclopéenne mériterait bien plus d'attention qu'elle n'en a aujourd'hui. Je suis convaincu qu'elle est d'une grande importance pour l'histoire de notre région. Mais aussi au-delà. Vous participez à une prise de conscience de ceux qui la côtoient si souvent... Mais aussi à d'autres qui ne manqueront pas de venir la voir grâce à vous :-) . Cette fois, en connaissance de cause. Et ça, c'est super! Bravo!
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P
Merci de l'intérêt porté! Le prochain article parlera du Maennelstein, puis un nouvel article de fond avec les travaux de Zumstein.
G
Passionnant ! plus je tourne autour de ce Mur Païen, plus j'en apprends ! et Dieu sait si je l'ai arpenté ,Merci Pip.
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P
Merci mon Gaby! Le prochain article de fond sera consacré aux travaux de Hans Zum Stein. Tu y liras des belles découvertes auxquelles tu as participé.
E
Mais c'est vrai que c'est passionnant ! On ne me dit jamais rien à moi... Magnifique travail Pierre. A part ça évidemment que ça n'est pas romain, il n'y a pas de colonne...
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P
Chère Elsa, si tu veux connaître la suite.... il suffit de t'abonner ! Page d'accueil, en haut à droite. Tu recevras un courriel t'annonçant le prochain article. <br /> Sinon, bises à toutes les filles, PiP
R
Merci M Pip pour cet article captivant, c'est amusant de penser qu'à la préhistoire, des enfants jouaient déjà avec des Kapla ....en pierre. Vivement la suite!
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P
hypothèse
P
Ceci reste une hypyhèse... <br />