Mur Païen : la porte Koeberlé
Eugène Koeberlé était un chirurgien, spécialiste des interventions sur l’abdomen. Natif de Sélestat, Eugène obtint tout au long de sa carrière des résultats qui lui valurent le respect de ses pairs. Il permit de nombreuses avancées en appliquant l’asepsie sur ses patients et un suivi post-opératoire rigoureux.
Lorsqu’il prit une retraite bien méritée, Eugène se piqua d’archéologie et s’intéressa au Mur Païen du Mont Sainte-Odile. En 1877, il découvrit et dégagea sur le mur, au nord-ouest, dans son tronçon vers le Hagelschloss, la porte que nous vous présentons aujourd’hui et qui porte son nom.
Nota : Eugène fut également le propriétaire du château de Lutzelbourg, où il entreprit des travaux d’importance. Nous parlons ici de Lutzelbourg sur la Zorn, à proximité de Phalsbourg.
Au dessus du mur transversal nord, le Mur Païen, versant ouest, a été démonté au moyen âge pour participer à la construction des châteaux de Dreistein. Sur plusieurs centaines de mètres, vous ne trouverez que la trace du Mur. La porte Koeberlé se situe un peu plus au nord, là où le Mur retrouve de sa prestance.
Les ‘constructeurs’ ont tiré profit d’une faille et de la présence d’énormes blocs de grès pour aménager une entrée dans l’enceinte du Mur Païen. Versant est, ils se sont appuyés sur un rocher imposant. A l’ouest, ils ont élevé le Mur ménageant ainsi un passage fort étroit, facile à défendre. La trouée est resserrée : 90 centimètres ! Pas question de charroi, juste le passage pour un homme, rien de plus.
Cette configuration est bien différente des autres portes du Mur qui seront étudiées presque cent ans plus tard par Hans Zumstein. (Nous traiterons des autres portes du Mur dans un prochain article.). Hans proposait d’ailleurs le terme de ‘poterne’ pour caractériser la porte Koeberlé.
Voici deux photographies de notre porte. La première est prise de l’intérieur du mur, la seconde de l’extérieur.
Et puis, en voici deux autres, avec des angles différents, moins attendus. Merci Etienne !
Située à cet endroit du Mur, sur le versant ouest, face à la forêt et aux Vosges, cette porte étroite ne pouvait servir, à mon sens, qu’au passage des hommes chargés d’approvisionner en eau l’enceinte du Mur. La Badstub coule abondante toute l’année en contre bas. D’autres petites sources, intermittentes, proches, sont plus aléatoires l’été au cœur du vallon du Herzthal.
La porte était couverte d’un linteau monolithe : une seule pierre couvrant l’entrée. Ce linteau est aujourd’hui jeté à terre à l’extérieur de la porte. Il est malheureusement scindé en deux parties. La pierre mesurait 2 mètres 10 dans sa longueur. Elle présente une feuillure en U et deux orifices distant d’un mètre environ. Un vantail de bois d’une seule pièce assurait la fermeture en cas de péril, il était maintenu solidement par deux pieux insérés dans les deux opes du linteau et bloqués en force au sol.
Ce panneau de bois prenait appui sur les côtés directement sur le Mur Païen. Côté oriental, le rocher a été creusé, côté occidental un chambranle vertical a été mis en place, il est marqué d’une feuillure et d’un système de verrouillage par une poutre transversale.
Et voici un schéma de l’ensemble de la porte Koeberlé, vue de dessus.
Nous avons retrouvé dans nos archives deux dessins de notre porte effectués peu après sa découverte .
Nous sommes redevable du premier à Touchemolin qui est venu sur le Mont à de nombreuses reprises, Alfred s’est tout naturellement intéressé à la découverte d’Eugène qu’il a retracée dans son style si caractéristique. L’ajout d’un fumeur de pipe portant un chapeau nous va droit au cœur ! Merci, Alfred !
Le second est un dessin de Charles Spindler, notre artiste de la Leonardsau. Les deux dessinateurs ont choisi le même angle de vue : ils étaient à l’extérieur du Mur Païen.
On trouve également deux cartes postales anciennes de la porte dans le livre d’Alphonse Troestler, Album Mont Sainte-Odile, 2016.
Les promenades au long du Mur Païen réservent tant de surprises à qui saura s’éloigner de quelques mètres, s’attarder, errer, jeter un œil sous la fougère ou le myrtillier. A quelques mètres de la porte, laissez-nous vous faire découvrir quelques merveilles…
Commençons par une des carrières d’où furent tirés les blocs qui font notre Mur. Robert Forrer en 1898 publia un plan des carrières qu’il avait longuement étudiées. Nous y reviendrons sous peu. La carrière C5 présente plusieurs rochers aux entailles bien tracées et une superbe cupule. Les blocs sont prêts à être détachés et utilisés… Le site semble figé. Comme si les carriers étaient partis en pause et allaient revenir. Pourquoi le travail s’est-il soudainement arrêté ?
Terminons par deux photographies d’Étienne à quelques mètres de la porte. L’une propose une vue du mur côté oriental : les blocs sont de grandes dimensions, l’effet impressionnant. La deuxième présente une énigme de plus, pourquoi avoir inséré cette pierre de petite taille entre ces deux énormes blocs ?
Le Mur Païen est un lieu enchanteur, allez-y, regardez et rêvez !
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Gravure représentant le docteur E. Koeberlé en 1880, par Ringel d’Illzach
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Dessin de la porte Koeberle, Charles Spindler, ~1890
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Dessin de la porte Koeberle, Alfred Touchemolin, 1880
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Dessin du mur proche de la vieille croix à la Grossmatt, Alfred Touchemolin, 1880
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Photographies (superbes) , Etienne
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Schémas (approximatifs) , PiP
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R. Forrer, der Odilienberg, 1899
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H. Zumstein, les portes du Mur Païen, 1992
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F. Pétry, R. Will, Le Mont Sainte Odile, 1988