L’abri sous roche de l’Elsberg
Au départ d’Ottrott, le marcheur qui souhaite rejoindre le couvent du Mont Sainte-Odile se dirige tout d’abord vers les châteaux de Rathsamhausen et de Lutzelbourg, ces deux burgs affrontés. Ensuite, la pente se fait plus raide et le sentier serpente dans la forêt pour atteindre le kiosque de l’Elsberg. La maisonnette de bois du Club Vosgien est comme posée sur un immense rocher et domine la plaine d’Alsace. Par beau temps, le regard s’étend jusqu’à la Forêt Noire. Les visiteurs sont nombreux à profiter de l’abri pour pique-niquer ou simplement faire une pause.
Plus rares sont ceux qui se risquent à descendre l’à-pic jusqu’à la base du rocher ! Et pourtant, l’exercice se trouve grandement récompensé. Un bel abri sous roche, profond, vaste, s’ouvre dans le grès rose.
En fait, le bas de la falaise comporte plusieurs renfoncements plus ou moins aménagés. Certains laissent apparaître des murets de pierre sèche, destinés à fermer des brèches. Ils sont peu profonds et semblent avoir été de simples ‘annexes’ de l’abri principal.
Les abords de l'abri
Celui-ci est de dimensions appréciables : il forme comme un long couloir sous une voûte impressionnante. Longueur environ sept mètres, largeur trois mètres, hauteur sous roche quatre mètres environ. Voici quelques images de l’accès et de l’intérieur de l’abri.
L'abri sous roche
Cette petite pièce ‘troglodyte’ a été aménagée comme l’indique plusieurs encoches creusées dans la roche. A l’entrée, on peut supposer qu’elles maintenaient une porte ou un vantail de protection, à l’intérieur, on pense plutôt à un banc et à la suspension d’un hamac.
Loin d’être un connaisseur des périodes paléolithique, mésolithique ou néolithique, ni même des suivantes d’ailleurs, je ne me prononcerai pas sur l’âge des humains qui ont habité les lieux. Ce qui est certain c’est que ces personnes avaient une vue superbe sur la plaine.
Nous n’avons pas trouvé dans la littérature de trace de fouilles éventuelles et d’analyse des lieux, hormis le livre de Félix Voulot. Voyons ce que nous dit Félix.
Notre ami Félix est décidément incontournable, pour peu que nous recherchions des images du passé. Dans son livre ‘Les Vosges avant l’Histoire’, outre le récit de ses fouilles sur nos tombes mérovingiennes, Félix propose deux images de notre abri sous roche.
La première image est une vue du sud-est de l’abri. L’endroit était beaucoup plus dégagé de végétation que de nos jours, plus accessible. Le dessin de Félix est réaliste et donne une bonne idée des lieux.
Le deuxième dessin présente l’entrée opposée de l’abri sous roche. Si les proportions sont bonnes, la silhouette de personnage dans l’abri n’est pas proportionnée, ou alors il s’agit d’un jeune enfant. Là où Félix annonce une hauteur sous abri de huit mètres, je n’en mesure qu’à peine quatre.
Pour Félix Voulot, l’abri est une création humaine! Le bloc à terre n’est pas tombé, il a été détaché par l’homme, puis glissé sur le sol afin de créer l’abri (sic). Nous avons, comme souvent, un peu de mal à suivre notre Félix : visiblement le bloc s’est simplement détaché de par son poids. La grotte nous semble naturelle, elle a seulement été adaptée par l’homme pour pouvoir s’abriter.
Dans son texte, Félix voit dans le rocher tombé la forme d’une enclume, il porterait la gravure d’une hache (?). Félix en tire des conclusions étonnantes : l’abri est placé sous la protection du dieu du soleil, le dieu Hell, d’où son nom l’Elsberg. Bigre. La plupart des autres auteurs considère que le mot Elsberg est une contraction d’Elsasserberg, ce qui paraît plus raisonnable.
Malgré nos divergences de lecture du site, un grand merci à Félix de s’être le premier intéressé à cet abri et de nous avoir laissé ces deux images.
Le Club Vosgien a édifié un petit kiosque sur les rochers qui dominent l’abri. C’était en 1881. Le sommet était alors dénudé, sans forêt avoisinante. La vue sur le plaine d’Alsace et sur les châteaux d’Ottrott devait être magnifique.
Le kiosque est entretenu par les Amis du Mont Sainte-Odile, comme les sentiers qui permettent son accès. Récemment une coupe de châtaigniers a été effectuée à leur demande par le Groupement Forestier : le panorama est splendide. Merci au G.F.Serva et aux A.M.S.O.
Voici quelques images anciennes du kiosque publiées dans le livre des messieurs Le Minor et Troesler. (vivement recommandé aux amateurs)
Cartes postales ~1910, le kiosque
Et voilà, le kiosque aujourd’hui, images de notre dronodidacte Etienne. (Vous trouvez plus d’images sur notre article consacré à l’Hexenplatz.).
Photographies par drone du kiosque de l'Elsberg
Charles Emile est un illustrateur reconnu, il publie en 1891 un volume illustré par ses soins. ‘L’Alsace et les alsaciens à travers les siècles’ est une fresque historique fortement romancée et écrite, entre autres, pour prouver l’attachement des alsaciens à la France, dans une période où l’Alsace est allemande. Le livre commence par ces mots : ‘ Il y a quelques années, par une belle soirée du mois d’août, je descendais le versant sud-est de l’Elsberg...’. Bigre !
Dans ce premier chapitre ‘ La maison forestière’, Charles Emile raconte l’histoire d’un certain Martin Fantaleyron, périgourdin, natif des Eyzies. Martin aurait perdu son fils lors de la guerre de 1870, il se rend en Alsace où il apprend le drame. Effondré, Martin se réfugie alors sur l’Elsberg et habite notre abri sous roche, où il restera plus de six années. Surnommé ‘Steinmartel’ par les Ottrottois, Martin vit de la vente de peaux de renards, fouines, martres piégés sur le Mont. Il découvre et vend aux visiteurs des armes et autres objets préhistoriques : haches de pierre, pointes de lances, flèches en silex, pierres polies. Charles Emile cite également des monnaies gauloises ornées d’une tête de cheval cornu (sic).
Son abri est sommairement aménagé, l’entrée est fermée par un panneau couvert d’écorces et assujetti à de longues perches ancrées dans le rocher. Un hamac est suspendu, un petit poêle en fonte complète le mobilier. Martin partage cet abri (précaire) avec une petite chèvre qui lui fournit du lait.
Voici le dessin de Matthis représentant l’ermite de l’Elsberg, devant son abri.
Charles Emile a visité et bien observé l’abri avant d’écrire son texte. Il devait également avoir lu le livre de Félix Voulot. Quant à la réalité de l’occupation effective de notre abri à la fin du XIXème siècle, nous ne saurions nous prononcer. Tout ceci n’est peut-être que le fruit de l’imagination de l’auteur.
Un lecteur ottrottois pourrait-il nous éclairer ?
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F. Voulot, les Vosges avant l’histoire, 1874, page 175 et suivantes
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C. E. Matthis, l’Alsace et les alsaciens à travers les siècles,1891
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J.M. Le Minor, A. Troestler, Album Mont Sainte-Odile, 2016
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Le plateau de Fées, Hexenplatz, sorcellerie sur le Mont Sainte-Odile
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Félix Voulot, le Mur Païen dans les livres du XVIIIème et XIXème siècle
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Photographies, Etienne et Théo
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Schéma de situation, PiP
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Dessins de Félix Voulot, extraits de son livre sus-cité
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Cartes postales anciennes, extraites de l’album de messieurs Le Minor et Troestler
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Dessin de Matthis, l’ermite de l’Elsberg