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Autour du Mont-Sainte-Odile, le Mur Païen

La carte du Mont Sainte Odile de Johann Peter Müller

7 Mars 2013 , Rédigé par PiP,vélodidacte Publié dans #petits riens

Le plan le plus ancien du Mont Sainte Odile à notre disposition fut dessiné en 1603 par un certain Johann Peter Müller. Ce document mérite notre attention, il couvre l’ensemble du Mont et soulève bien des questions.

Le Plan Müller

Ce plan est aux archives de la Ville de Strasbourg. Réalisé sur un taffetas encollé de pâte à papier, il présente l’ensemble du Mont-Sainte-Odile, comme vu d’un avion qui viendrait de la plaine d’Alsace et se rapprocherait des Vosges. La vue est belle : au premier plan, on distingue le plateau de la Bloss avec forces détails. Plus loin, le couvent de Hohenburg est dessiné et présenté sous ce nom. L’arrière plan figure le fond du massif où les château-forts sont mentionnés.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le plan a été réalisé pour la Ville de Strasbourg qui souhaitait un relevé des forêts des fiefs seigneuriaux de la région de Barr. Ceci explique la présence des petits écussons armoriés.
Ce plan est ‘découvert’ en 1781 par J.A. Silbermann qui en fait une copie de sa main. Puis il en publie une version plus sophistiquée dans son ouvrage dédié au Mont Sainte Odile. Par la suite, on trouve plusieurs autres copies faites à partir du travail de Silbermann. Elles sont assez proches les unes des autres. Nous présentons la copie de 1811 de G. Pitz. La troisième version du plan se trouve dans le livre de J. Pfeffinger daté de 1812.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dés 1835, l’éditeur W.Strobel ajoute en note de la réédition de Silbermann: ‘Plan aux Archives de la Ville, mais déjà au temps où Silbermann écrit, ce plan est totalement passé’. Le mot allemand utilisé est : verblichem. La question est alors posée. Le plan en dépôt est-il l’original de Müller ou l’esquisse de Silbermann ? Sans vouloir pendre parti entre les spécialistes, nous ne reconnaissons pas le style de Silbermann dans le plan Müller. Et puis, pourquoi Silbermann aurait-il utilisé un support de taffetas ?
Penchons nous sur ces documents.

Le Couvent de Hohenburg, vu par Müller

Le plan Müller nous présente, sur un plateau extrêmement escarpé, les divers bâtiments attendus. L’église Saint Pierre et Paul, alors ruinée, la chapelle Saint Jean et les bâtiments annexes. Plus inattendue, au centre de Hohenburg, on discerne un bâtiment élevé et à base circulaire. Quel est-il? Plusieurs lectures nous sont proposées. La mention d’un tel bâtiment se trouve chez Hugues Peltre (1699). Selon lui, elle daterait du Duc Adalric et serait une chapelle consacrée aux Saints d’Alsace. Peltre, comme Pfeffinger, pense qu’il s’agirait d’un réemploi des vestiges d’un temple païen, trouvé en haut du Mont par Adalric.

Au lieu d’une église qu’il (Adalric) s’estoit d’abord proposé de bâtir, il y fit élever deux Chapelles, une dressée à l’honneur des bien-heureux Apôtres Pierre et Paul Patrons de la Ville d’Ober-Ehenheim. L’autre qui estoit une Rotonde fut consacrée par Saint Léger évêque d’Authun sous l’invocation des saints patrons d’Alsace. Elle est construite auprès de la grande porte de l’abbaye et soutenue de six colonnes, la structure en fait connoître d’abord l’antiquité, sa forme feroit croire qu’elle avait esté l’endroit du Panthéon, où les Gentils adoroient autrefois leurs idoles.

H.Peltre, Vie de Sainte Odile


Ce petit ‘panthéon’ apparaît également sur une représentation datée de 1646, conservée à Copenhague et éditée récemment par M.T. Fischer. Ce dessin aurait été effectué lors du passage des Suédois en Alsace pendant la Guerre de Trente ans et confirme l’implantation des différents bâtiments. Notre Johann Peter a bien travaillé ! ( Mabillon décrit, lui aussi, cette rotonde en 1681. )
Les chapelles circulaires qui ont été conservées sont rares. Elles suivent la tradition des premières églises romaines de Constantin. Citons Altötting en Bavière, Würzburg, et Saint Michel de Cuxa. Ces trois édifices sont datés du IXème. La Chapelle Ronde du Mont-Sainte-Odile pouvait être fort ancienne. Elle a été détruite en 1713 pour faire place à l’hôtellerie.

La Bloss

La partie qui nous paraît la plus intéressante est la figuration au premier plan du plateau de la Bloss.
Sur le plan Müller, on voit distinctement le tracé du Mur Païen. Deux de ses rochers emblématiques sont nommés: le Schaeffstein et le Wachtelstein. Sur les copies, le nom du Maennelstein est également mentionné. Détail amusant, sur toutes les cartes, l’anneau de fer du Maennelstein est dessiné.
Plus surprenants sont ces fragments de murs disséminés sur tout le plateau. De nos jours, il n’y en a aucune trace sur la Bloss. Voici l’explication qu’en donne Pfeffinger.

Un plan de la Bloss a été élaboré en 1603 par Johann Peter Müller. Il a été conservé par le relevé qu’en a fait Silbermann. Outre le fait qu’il représente l’état des bâtiments du Mont Sainte Odile avant leur reconstruction suite à l’incendie de 1546, ce plan représente également de singulières longues lignes de murs, qui parallèlement au mur d’enceinte se situent à l’intérieur du camp. Selon toute vraisemblance, il s’agit de fragments d’une seconde ligne de défense et peut-être aussi les restes des fondations d’écuries, d’entrepôts, de casernes, et cetera… Peut-être s’est-il tenu sur cette montagne des procestria : en fait, l’endroit où se tenaient les vivandiers et les autres gens utiles pour le camp.

Pfeffinger, Hohenburg oder der Odilienberg

La dernière phrase peut paraître obscure, relisons la définition du mot ‘procestria’ telle qu’elle apparaît dans l’encyclopédie de Diderot, article de Louis de Jaucourt en 1765.
On nommoit procestria chez les Romains les camps fixes ou de quartier, dans lesquels demeuroient les étrangers, vivandiers, approvisionneurs, & autres qui suivoient l'armée, & auxquels il étoit défendu de se mêler avec les soldats.’

Pfeffinger avait beaucoup d’imagination ! Et il était un farouche tenant d’une occupation importante du Mont à l’époque romaine. Mais nous ne trouvons nulle trace de cette deuxième ligne de défense derrière le mur païen. Quant au camp de vivandiers et aux étables, pas une pierre taillée sur les lieux. L’explication ne tient pas. D’ailleurs Silbermann se montrait plus prudent quelques années plus tôt.

La Bloss
C’est le nom que porte la partie supérieure de la surface de la montagne. On le retrouve sur un plan peint en 1603 par Peter Müller. Des restes de murs, indiqués sur ce plan, rendent vraisemblables que des bâtiments aient autrefois été présents sur cette montagne. Cette vaste surface, pour ce qui est à l’intérieur du Mur Païen, est aujourd’hui totalement dénudée, parce qu’en 1766 la forêt naturelle qui la couvrait a été brûlée par un feu allumé intentionnellement.

Silbermann, Beschreibung von Hohenburg

Gageons que Silbermann qui a séjourné longuement sur les lieux aurait été plus affirmatif s’il avait trouvé des éléments tangibles sur une surface décrite comme totalement nue.
Plus vraisemblablement, Johann Peter a mal situé les éléments du mur transversal qui délimite le secteur de la Bloss à hauteur de la porte de Barr. Il n’en a pas compris la logique et les a dessinés sans les situer précisément.

Les alentours

Tout en haut des copies du plan Müller, juste derrière le Couvent, se dresse une forteresse avec trois donjons. Il s’agit des Châteaux de Dreistein, l’ancienne avouerie des couvents. Si la position est correcte, ces trois donjons surprennent, les Dreistein n’en comportent que deux. Peut-être l’imposant mur bouclier du Château du milieu était-il plus élevé que maintenant. Silbermann aurait alors interprété.
Un peu plus à gauche, le château de Birkenfels est représenté. Devant le burg, une tour ronde séparée de la forteresse. Nous n’avons retrouvé aucune trace de cette tour.
Dans le coin à droite, le Hagelschloss n’est pas bien distinct. Il est bizarrement situé sur la rive droite de l’Ehn ! L’erreur est flagrante. Tout au fond, le Kagenfels est mentionné.
En contrebas d’Hohenburg, déjà sur le plan Müller, Niedermunster et les bâtiments conventuels sont représentés. La chapelle Saint Nicolas est entourée d’une enceinte rectangulaire.
La chapelle Saint Jacques ressemble à une petite maison dont le toit se serait effondré.

Promenade

Rangeons le plan de Johann Peter et allons sur place admirer la Bloss. Celle-ci est sillonnée par plusieurs sentiers balisés du Club Vosgien. On posera son automobile ou son vélo au petit parking d’accès du Landsberg, au dessus de Saint Jacques, pour se diriger vers le kiosque Jadelot. (Vue sur les châteaux d’ Andlau et de Spesbourg). Ensuite, il est aisé de rejoindre les rochers emblématiques du Mur Païen. Dans l’ordre, on admirera Wachstein, Schaeffstein et Maennelstein. Les photos proposées sont été prises en contrebas du Mur. Cet accès hors sentier n’est pas des plus faciles, attention pour les enfants. Du Maennelstein, la vue sur la Forêt Noire est unique. Juste sous la table d’orientation, le Landsberg. Le promeneur peut poursuivre par le rocher du Panorama et rejoindre le couvent de Sainte Odile, ou bien revenir par le Rocher Canapé et la porte romaine de Barr. Marchez, respirez !

Sources
  • Hugues Peltre, Vie de Sainte Odile,1699
  • Johann Andreas Silbermann, Beschreibung von Hohenburg oder dem Odilienberg, samt umliegenender Gegend, 1781
  • Johann Pfeffinger, Hohenburg oder der Odilienberg samt seinen Umgebungen, 1812
  • Robert Will, L’architecture et la topographie du monastère du mont Sainte Odile, SHABDO 1980
  • Christian Guthmann, Etude critique des documents anciens du mur païen, SHABDO 1985
  • Marie Thérèse Fischer, La Vie de Sainte Odile, 2006
Illustrations
  • Fragment du plan de Johann Peter Müller, 1603
  • Plan de G.Pitz, 1811
  • Fragment du plan de J.Pfeffinger, 1812
  • Wachtelstein
  • Schaeffstein
  • Maennelstein
  • Mur Païen de la Bloss
  • Maennelstein- Lithographie de Rothmuller, 1829
  • L' anneau de fer du Maennelstein

 

  

La carte du Mont Sainte Odile de Johann Peter Müller
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F
Le nom du chemin qui monte à la Blos sur le dessin de Muller est amusant: Weg der an die Blos geht.<br /> Quelle hardiesse dans le propos ;)
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P
Un de mes lecteurs s'intéresse à un article complexe.... c'est bien.<br /> Il s'amuse d'une dénomination ancienne... on en déduit trois choses<br /> 1 il a de l'humour<br /> 2 il lit l'allemand<br /> 3 il a regardé le vieux plan de Muller avec attention <br /> Merci !