Le Rosenmeer de Rosheim
Dés le passage de Frédéric le Borgne en 1114, dés la construction de la Maison Romane, Rosheim a connu un rapide essor. La petite cité des Hohenstaufen a dès lors un problème que n’ont pas ses voisines. Molsheim est sise sur la Bruche, Obernai sur l’Ehn, et la petite cité de Boersch dispose des eaux de la Weidasch pour remplir ses fossés et alimenter ses habitants. A Rosheim, la source du Hellerbach s’est vite révélée insuffisante. Comment alimenter la ville ? Alors est né le ‘grand projet’ du Rosenmeer : amener les eaux vives de la Magel au centre Rosheim.
Le Rosenmeer est un aqueduc du moyen âge : capter une rivière des Vosges, la canaliser sur une vingtaine de kilomètres pour approvisionner la ville des Hohenstaufen.
Point de source importante dans les vallons voisins de Rosheim, il a fallu chercher plus haut, une rivière avec un débit suffisant. La Magel semble la solution la meilleure, mais elle coule à Mollkirch pour rejoindre la Bruche, plus au nord. Il a fallu la capter plus en amont, à hauteur de la Fischhutte, lui faire contourner les collines du Eichwald, retomber sur Rosenwiller, avant de rejoindre Rosheim. Les eaux, en aval de la ville, traversent alors Griesheim avant de se jeter dans l’Ehn, près d’ Innenheim.
Le projet est d’importance : douze kilomètres entre la captation à la Fischhutte et Rosheim, vingt et un kilomètres pour l’ensemble du tracé. Le canal court sur ses premiers kilomètres à flanc de montagne et l’ ouvrage a du être maçonné. Les traversées de Rosenwiller et de Rosheim étaient dallées avec des ponceaux pour accéder aux habitations. Le canal a une largeur moyenne d’un mètre, et la hauteur d’eau devait atteindre environ soixante à soixante dix centimètres.
A la sortie de Rosenwiller, le Rosenmeer recevait l’apport de la Gingersbrunnen, source aujourd’hui disparue.
On trouve la première ‘trace’ écrite du Rosenmeer dans la narration du grand incendie de Rosheim de 1385. Voici le texte de Specklin.
A la Saint Hadulphe, un enfant de Rosheim est parti chercher du feu chez un voisin. Il le laissa tomber dans la ruelle, sur de la paille. Alors le feu fut tel que toute la ville, d’abord trente maisons puis toutes, fut en flammes. Il atteignit l’église et ses cloches. Les portes et les ponts étaient aussi embrasés, alors les gens sautèrent du haut des remparts et plus de quatre-vingt personnes en périrent. L’eau qui coule dans la ville, les fontaines, et les fossés de la ville étaient si chauds qui personne ne pouvait ni le supporter si l’utiliser pour éteindre les flammes. Quelques jours plus tard, deux personnes montèrent dans un puits où ils avaient jeté quelque objet, ils y laissèrent la vie, telle était encore la chaleur de l’eau. Beaucoup furent d’avis que c’était un feu infernal, qui n’avait rien de naturel.
Outre le récit coloré de l’incendie qui détruisit la ville, Specklin nous apprend que l’eau coulait dans Rosheim et que les fossés baignaient les remparts. Nul doute, le Rosenmeer coulait déjà dans Rosheim en 1385.
Un siècle plus tard, en 1474, un conflit entre Jacques de Hohenstein et la ville de Rosheim concerne le partage des eaux de la Magel. Voici la note de Schoepflin.
Il y eut autrefois une contestation entre les nobles de Hohenstein et la ville de Rosheim au sujet de la Magel. En 1474, le questeur de la Landvogtey en assigna le tiers à Jacques de Hohenstein. Les deux autres tiers devinrent la propriété de la ville avec le droit de chasse dans les forêts.
La formulation de Schoepflin laisse penser qu’un accord antérieur était remis en cause. On cherchait un nouvel arbitrage. Les Hohenstein étaient alors sires de Guirbaden, le château qui domine la Magel au dessus de Mollkirch.
Par la suite, les archives sont celles de la vie ‘normale’ d’un canal.
- 1751 - alignement du canal dans la rue principale de Rosheim
- 1829 - le cadastre montre le partage des eaux en trois bras, rempart nord, rempart sud, et au milieu de Rosheim
- 1840 - chantier d’une nouvelle écluse de la Fischhutte
- 1940 - couverture du Rosenmeer à Rosheim
- 1950 - mise hors service du Rosenmeer à Rosheim
Autour du canal, toute une industrie locale est née.
- Irrigation des près
L’eau court à flanc de colline, entre le Bildhauerhof et Rosenwiller, les terrains situés en dessous du canal ont été déboisés et mis en cultures grâce à l’irrigation permise par le canal. Plusieurs centaines de parcelles profitaient des eaux de la Magel.
- Réserve d’eau incendie
- Lavoirs publics, eau claire
Les lavoirs étaient munis de vannes et deux hauteurs pour le lavage et le rinçage étaient proposées. L’eau du canal était claire et il était interdit d’y jeter des détritus et autres rejets.
- Roues hydrauliques des moulins
Au dix-huitième siècle, on ne compte pas moins de onze moulins en fonction le long du Rosenmeer.
- Trois sur le ban de Rosenwiller : Obermuhl, Untermuhl et Schliffmuhl.
- Sept sur le ban de Rosheim : Schliffmuhl 2, Langmuhl, Schaeffersmuhl, Schnegelmuhl, Blaeselmuhl, Moulin municipal, Oehlmuhl.
- Un dernier moulin à Griesheim.
L’Oehlmuhl produisait de l’huile de noix et de l’huile de pavot.
Au début XXème siècle, l’eau du canal est encore d’excellente qualité : le Rosenmeer alimente alors les bains publics et la piscine.
Désaffecté et hors service depuis 1950, le Rosenmeer n’est plus que souvenirs. Un projet de remise en eaux réapparaît de temps à autres. Il semble que le niveau des eaux de la Magel ait beaucoup baissé depuis les temps glorieux des moulins du Rosenmeer. Cette situation préoccupante semble condamner l’idée de revoir l’eau courir autour du Eichwald. Dommage !
La promenade la plus attrayante concerne la portion amont du Rosenmeer. Nous conseillons de longer le canal de la Fischhutte jusqu’à Rosenwiller. Parcours plat, non balisé, il convient de se munir de la carte du Club Vosgien.
- Fischhutte, directement sous le pont de la Magel, on découvre l’écluse de partage des eaux. Contrairement au texte de Schoepflin, 2/3 des eaux semblaient aller vers Mollkirch et non le contraire. Erreur de transcription ou modification ultérieure de l’écluse ? Au vu de la largeur du canal, nous pencherions pour une erreur de Schoepflin.
- Lauterbach, directement sous la départementale, prise d’eau et écluse de répartition des eaux. A partir de ce point, le canal est en eau jusqu’après Bildhauerhof. Belles bordures en grès et stèle commémorative d’un chantier datée d’août 1909.
- Traversée du hameau de Bildhauerhof, le canal est dallé par endroit. Ensuite, il court à niveau, et en limite des prairies en aval, et de la forêt du Eichwald en amont ( cèpes en saison ). La balade offre de larges vues sur Mollkirch et la chapelle de Kloesterle, la promenade est agréable. Après une large courbe sous couvert, le canal rejoint Rosenwiller à nouveau en bordure des prés. Il passe au dessous du cimetière israélite de Rosenwiller, un lieu étonnant et plein de charme.
Les amateurs de vieux burgs monteront au château de Guirbaden. Ils admireront le magnifique arc de décharge. ( Pour retrouver la trace des Hohenstein, le château éponyme de cette famille se trouve au dessus d’Oberhaslach ).
A Laubenheim, la petite chapelle du Kloesterle présente un linteau roman de toute beauté.
Ne passez pas sans admirer les vitraux de l’église de Rosenwiller. Et demandez à voir l’étonnante clef de voûte du clocher : un seul œil pour trois poissons .
Dans Rosenwiller, en bas du village, près du Rosenmeer, reposent les trois meules de l’Untermuhl.
Le Langmuhl, à mi chemin entre Rosenwiller et Rosheim, est occupé par la fromagerie Siffert qui propose un Munster AOC, que nous apprécions beaucoup.
- Tracé du Rosenmeer, PiP
- Ecluse de la Fischhutte
- Ecluse du Lauterbach
- Canal empierré, près de la prise d’eau du Lauterbach
- Rosenmeer dans Bilderhof
- Meules de l’Untermuhl, à Rosenwiller
- Sortie di village à Rosenwiller
- Lavoir à Rosheim
- Plan de l’écluse - 1839
- Collectanées de Specklin, Notule 1682
- Alsatia Illustrata de Schoepflin, Tome V, paragraphe 750
- C.Jérôme, Annuaire d’Histoire de la Ville de Molsheim, 1984