Les fouilles de Hans Zumstein sur le Mont Sainte-Odile
Entre 1961 et 1971, Hans Zumstein et son équipe entreprennent plusieurs campagnes de fouilles dans le couvent du Mont ou bien à proximité immédiate. Le travail accompli est impressionnant, les résultats obtenus sont peu connus du grand public. Nous allons tenter de donner un aperçu des résultats de ces recherches. Nous détaillerons plus particulièrement trois questions qui nous tiennent à cœur: la Rotonde du Mont, le Mur Païen et la chapelle Saint-Pierre.
Cette année 1965, Hans Zumstein est à la recherche de la ‘Rotonde’ du Mont Sainte-Odile. Sous ce terme énigmatique de ‘rotonde’, se cache un monument étonnant figuré sur deux documents anciens.
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1603 – le plan de Johann Peter Müller. Johann Peter nous propose le premier plan connu du Mont Sainte-Odile. Son but est de visualiser les limites des secteurs forestiers. Sur la figuration du sommet du Mont, on distingue la Rotonde.
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1646 – un dessin de la Bibliothèque Royale de Copenhague. Pendant la Guerre de Trente Ans, Obernai est occupée par les Suédois, ceci peut expliquer la présence du manuscrit de la bibliothèque Royale où on a représenté le Mont et la Rotonde, munie d’une coupole.
A gauche, un détail du dessin publié par Pfeffinger en 1812 d’après le plan Müller 1603
A droite, le dessin de la bibliothèque de Copenhague.
Ce bâtiment circulaire est également décrit dans plusieurs textes anciens.
Selon Hugo Peltre (1719), cette rotonde aurait été fondée par le duc Adalric et consacrée à Saint Léger, évêque d’Autun, sous l’invocation des Saints Patrons d’Alsace. Hugo la situe à droite de l’entrée du monastère et nous précise que la coupole était portée par six colonnes. Cependant, le prieur de Sainte-Odile pense que ce bâtiment a fait suite à une construction plus ancienne encore : il évoque un ancien panthéon des païens. Bigre !
Dionysus Albrecht (1751) reprend pour sa description les termes employés par Hugo. Il ajoute que la Rotonde s’élevait toute proche de la porte principale du couvent jusqu’en 1713, année de sa destruction. En 1734, après un incendie, l’auberge du couvent a été construite sur son emplacement.
Johann Andreas Silbermann affirme pour sa part que la rotonde était encore visible en 1733, et qu’elle ne fut détruite que quelques années plus tard. Lors de ses visites au couvent, Silbermann nous dit avoir retrouvé l’emplacement de cette chapelle : une fondation circulaire, creusée dans le rocher, comparable à ce que nous pouvons voir sur le Mont Saint-Michel près de Saverne.
Nous supposons que Johan parle simplement des bases ou fondations de la rotonde.
Johann Andreas confirme la position indiquée par Hugo Peltre : à droite de l’entrée du couvent. Ceci correspond aux deux dessins cités plus haut.
Robert Forrer (1899) affirme, sans convaincre, que cette construction serait un lieu de culte néolithique. Voici la représentation que Robert donne de notre rotonde. Les deux dessins de gauche sont inspirés de J.P. Müller, ceux de droite reprennent les descriptions de Silbermann.
Aujourd’hui, la plupart des spécialistes parlent d’une chapelle romane. Pourtant, reconnaissons que les indices sont bien maigres.
En 1965, Hans Zumstein se lance donc à la recherche de notre ‘rotonde’, nous espèrons en apprendre plus ! Une tranchée est creusée dans la cour intérieure du couvent, à l’endroit où se trouve aujourd’hui la vasque de Niedermunster (cour des tilleuls, accès aux terrasses). Hans découvre plusieurs murets (Xième) et trois sépultures (XVIIème).
.Le mobilier archéologique est essentiellement roman : tessons, céramique de poêle. Hans découvre également des fragments de poteries qu’il date de la Tène et de l’âge de bronze final.
Par contre aucune trace de notre Rotonde ! Hans présume, avec raison à mon sens, qu’elle doit gésir plus proche du bâtiment d’accès au couvent, vraisemblablement sous celui-ci… comme nous le disait Dionysus Albrecht dés 1751.
La même année, Hans commence également des fouilles sur le plateau, quelques cent mètres en avant du porche, versant ouest. Le matériel archéologique est riche, il provient de toutes les époques à partir du Bronze ancien. Témoins ces deux couteaux de bronze (Bronze Final) avec un beau décor de festons et pointillés.
La fouille met également à jour deux blocs du Mur Païen avec les encoches en queue d’aronde, utilisés en réemploi.
Cette année-là, les services techniques du couvent préparent la mise en place d’une citerne à quelques cent mètres devant l’entrée du monastère. Hans Zumstein profite de cette occasion pour poursuivre ses recherches. Elles donneront lieu à une découverte des plus intéressantes : Hans met au jour un tronçon du Mur Païen.
Orienté nord-sud, le Mur est conservé sur deux assises. Il s’appuie au nord sur le rocher, au sud, il est arraché au bout d’un mètre. Commençons par un plan et une coupe du secteur concerné.
Nous discernons les différentes pierres découvertes, ainsi que les encoches en queue d’aronde, en place. Nous sommes en présence d’un tronçon du Mur Païen. Et voici la photographie publiée par Hans.
La flèche rouge indique, en place, un tesson trouvé lors de la fouille. Ce petit morceau de terre travaillée est une découverte importante. C’est la première fois qu’un archéologue trouve ‘dans’ le blocage du Mur un indice qui permettrait de dater la construction de celui-ci. Voyons de quoi il s’agit, grâce au relevé publié par Hans Zumstein.
Personnellement, je ne saurais me prononcer… Selon Hans Zumstein, il s’agit d’une ‘céramique de l’âge du bronze moyen et final’.
Pour notre ami Hans, qui se base sur ce tesson et les autres éléments de stratigraphie de la fouille, ce tronçon du Mur Païen daterait de l’Age de Bronze final.
Ceci mérite réflexion !
Avouons que ce tronçon ne mesure guère plus d’un mètre et que l’article de Hans mentionne également un fait troublant. Lors de cette fouille, on a trouvé dans les couches basses quelques grammes de mortier à la chaux. Dix grammes de mortier pour cent cinquante grammes de céramique… Alors, que penser ? Hans Zumstein, lui-même, montre beaucoup de circonspection.
Les années suivantes 1967-1969-1971, l’équipe poursuit son travail dans ce même secteur sans trouver la suite du Mur Païen. Dommage !
Ces pointes de flèche, monnaies romaines et fibule montrent la variété des objets et des époques dans le mobilier archéologique retrouvé. (La monnaie de gauche représente l’empereur Magnence, 350-353). Les rapports de Hans Zumstein décrivent un grand nombre de tessons de toutes époques d’occupation du Mont.
Le couvent du Mont Sainte-Odile est alimenté par une ligne électrique qui part de Saint-Nabor, passe par le vallon de Niedermunster, à proximité de la chapelle Saint-Nicolas. A partir du fond du vallon, la ligne est enterrée dans une tranchée qui monte pleine pente jusqu’au couvent. Cet équipement a été mis en place en 1966. Hans Zumstein semble avoir profité de ces travaux pour étudier la partie haute de la tranchée à proximité du petit cimetière des nonnes, sans doute à la recherche d’une section du Mur Païen. Il n’a malheureusement rien trouvé !
Si la Rotonde du Mont a suscité l’intérêt de plusieurs historiens et archéologues, il est une chapelle moins connue et plus discrète encore.
Jérôme de Guebwiller, en 1521, dans sa biographie de Sainte Odile est le premier, à ma connaissance à parler de cette chapelle Saint-Pierre. Il nous décrit ce qu’il peut en voir à cette date ‘ Dise Capell ist verfallen uund eine Steinhauff’. Il ne restait en 1521 qu’un tas de pierres ! Jérôme relie cette chapelle à la vie d’Odile et nous raconte une belle histoire qui sera reprise un siècle plus tard par notre ami Hugo Peltre (1698).
La chapelle aurait été construite du vivant du duc Adalric. Elle était de grande taille et semblait plutôt une église. Elle renfermait de part et d’autre de l’autel deux tombeaux qui étaient ceux d’Hugues et de Roswinde, frère et sœur d’Odile. Le prieur Peltre nous décrit une particularité étonnante de cette chapelle. Lisons ses mots.
‘ Sainte Odile (y) fit creuser deux tombeaux, les fit tailler dans le roc et l’un d’entre eux représentait parfaitement la figure du corps humain. On y mettait successivement les corps des religieuses mortes jusqu’à ce que les chairs soient consumées. Car alors on transportait leurs ossements dans des grottes ou caveaux que la sainte Abbesse avait fait accommoder de part et d’autre aux deux côtés de la nef de la chapelle...’
Selon notre cher Hugo, cent trente cinq religieuses auraient été inhumées de cette façon du vivant d’Odile. Bigre !
Quelques décennies plus tard, Dionysius Albrecht (1751) nous en apprend un peu plus. Lors de travaux entrepris en 1663 les deux tombeaux situés de chaque côté de l’autel auraient été retrouvés. Ils ne portaient pas d’inscriptions. De plus, on aurait alors mis à jour les deux ‘fosses’ creusées dans le rocher où auraient été ensevelies les nonnes, couvertes de chaux. L’ossuaire des moniales aurait également été retrouvé.
Notre chapelle Saint-Pierre fut à nouveau, remise à jour lors des travaux de 1738. Les Prémontrés construisent alors l’annexe du couvent et enserrent de murs le jardin situé au nord du promontoire. Pour ce faire, ils doivent évacuer les gravats, ce qui permet à Dionysus de situer précisément cette chapelle à l’angle du réfectoire du couvent : entre la Chapelle des Larmes (20 pas) et la Chapelle Saint-Jean (24pas).
Note : dans son Histoire de Hohenbourg, Dionysus emploie pour désigner notre chapelle les termes : Sankt Peters Capell, Sankt Peters Kirchel et Sankt Pters Kirchlein.
En 1967, Hans Zumstein est à la recherche des traces de cette chapelle Saint-Pierre. La fouille se déroule au mois d’avril 1967, à l’extérieur de l’angle nord-est du cloître. Hans et son équipe retrouvent le sol dallé de la chapelle, une dalle funéraire ornée d’une croix gravée, trois tombes, l’emplacement présumé de l’autel, un ossuaire et le mur gouttereau sud de la chapelle. La chapelle Saint-Pierre mesurait environ 10 mètres de large, environ le double de sa voisine, la Chapelle des Larmes.
Hans ne retrouve pas de mobilier archéologique autre que des céramiques variées hors contexte stratigraphique (âge de bronze jusqu’à roman). Sur la base de la croix gravée, il conclut être en présence d’une chapelle romane du XI ou XIIème siècle.
Outre les trois axes de recherches décrits plus haut, Rotonde, Mur Païen et Chapelle Saint-Pierre, Zumstein et son équipe ont également fouillé ou sondé divers points du Mont aux abords directs du couvent.
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1961-66 : la petite carrière située près du chemin de croix
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1966-68 : l’ancien potager à proximité de l’ancienne Chapelle des Roches
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1963-1964-1968 : trois cônes de déjection, éboulis situés à divers endroits du chemin de croix.
Si ces campagnes n’ont pas apporté d’éléments majeurs, le mobilier retrouvé est cependant conséquent. Il concerne plusieurs étapes de l’occupation du Mont.
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Gothique- Renaissance : fragments de vase, de carreaux de poêle de faïence, cruche de verre, fermoir de livre en bronze ...
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Roman : fragments de vases, écuelles de terre, tesson décoré
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Age du Bronze final : fragments de vases, céramiques
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Age du Bronze moyen : fragments de vases, lingot de bronze martelé, silex taillé
Les travaux d’Hans Zumtsein confirment l’occupation du Mont dès l’âge du Bronze. Les différentes périodes sont représentées. Si la recherche de la Rotonde a été infructueuse, la Chapelle Saint-Pierre a été mise à jour. La section du Mur Païen découverte avec son tesson de céramique daté de l’âge de bronze est un élément important pour la datation du Mur. (Nous y reviendrons dans un prochain article).
En parallèle avec ces fouilles proches du couvent, Hans Zumstein a travaillé sur les différentes portes du Mur Païen. Ce sera l’objet d’un article spécifique.
Rendons hommage à Hans Zumstein
qui a tant fait pour la connaissance
du Mont Sainte-Odile et
du Mur Païen
- H. Peltre, Vie de Sainte Odile, 1719, page 6 & 76-78
- D. Albrecht, History von Hohenburg, 1751, pages 24 & 75-77 & 178
- J.A. Silbermann, Beschreibung der Odilienberg, édition Strobel, 1835, page 18
- J. Pfeffinger, Hohenburg oder der Odilienberg, 1812
- R. Forrer, Die Heidenmauer von Sankt Odilien, 1899
- H. Zumstein, Contribution à la datation du Mur Païen de Sainte-Odile, Enkomi-Alasia, 1970
- Fouille d’un cône de déjection au Mont Sainte-Odile, G. Schmitt, H. Zumstein, CAAAH, tome XXXIII, 1990
- Deux campagnes de fouilles au Mont Sainte-Odile, H. Zumstein, CAAAH, tome XXXVI, 1993
- Campagne de fouilles 1966 au Mont Sainte-Odile, H. Zumstein, CAAAH, tome XXXVII, 1994
- Campagne de fouilles 1967 au Mont Sainte-Odile, H. Zumstein, CAAAH, tome XXXVIII, 1995
- Fouilles au Mont Sainte-Odile au nord-ouest du plateau du couvent (1967-1972), H. Zumstein, CAAAH, tome XL, 1997
- Dessin publié par Pfeffinger en 1812 selon le plan de Johan Peter Müller
- Dessin du manuscrit Ms. Gl. Kgl. Saml. 2280,4, Bibliothèque Royale de Copenhague
- Les photographies couleurs sont extraites du livre ‘Le Mont Sainte-Odile’ de F. Pétry et R. Will
- Les photographies noir et blanc sont extraites des rapports de H. Zumstein
- Schéma de situation, PiP