Le Brunnenschacht, fontaine perdue du Mur Païen
Pendant la deuxième guerre mondiale, en 1942-43, le professeur berlinois Reinerth conduit avec un groupe d’ étudiants des recherches sur le Mur Païen. Historien natif d’Haguenau, membre de l’équipe, Fritz Eyer, participe à ces travaux. Il découvre la porte à couloir qui porte aujourd’hui son nom.
Bien des années plus tard, en 1978, Eyer publie un bref résumé de ces activités sur le Mont. (Nous reviendrons sur ce texte dans un prochain article). Aujourd’hui nous nous intéressons simplement à une fontaine mentionnée par Eyer, perdue aux confins nord du Mur Païen
Voici les quelques lignes concernant notre fontaine :
‘…. Puisque nous parlons du secteur de l’Elsberg, je voudrais attirer l’attention sur deux points, qui à mon avis devraient être étudiés plus avant. Tout d’abord, il s’agit d’un puisard de citerne (Brunnenschacht) qui est situé environ à 100 mètres au nord-nord-est de la Porte de l’Elsberg, sur la pente et qui devrait être dégagé avant que les racines des arbres n’en détruisent les parois. La présence de ce point d’eau amène à cette question : la porte n’aurait-elle pas été construite pour mener les animaux à boire, mais alors pourquoi la construire dans de telles dimensions ? Pensons à la porte Koeberle qui était bien suffisante pour mener les bêtes à la source de la Badstub.’
Fritz Eyer, die Heidenmauer, bulletin de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Dambach-Barr-Obernai, 1978, page 46
Dans son texte, Fritz utilise pour décrire sa découverte le terme ‘Brunnenschacht’ qui signifie mot à mot ‘puisard de fontaine’. Nous avons décidé de garder ce nom pour identifier cette fontaine.
Le texte mentionne une position fort précise, qui comporte malencontreusement une erreur. Ce n’est pas au nord-nord-est de la porte de l’Elsberg qu’il faut chercher. On se trouverait alors presque au sommet de la crête, là où personne ne songerait à creuser un puits ! Mais si nous nous dirigeons plutôt au nord-nord-ouest, comme mentionné sur le plan d’Eyer, alors là, c’est plus crédible. On trouve !
Allez, juste pour faire plaisir à notre Etienne, la même carte, mais en trois dimensions : vous planez au dessus de l’Hexenplatz !
La dite fontaine est située sous le Mur Nord du Stollberg, sur un ressaut à mi-pente, en aval, à l’extrémité du vallon du Hageltal. L’endroit est isolé, désert, le rare promeneur égaré qui y passerait, ne discernerait rien qui puisse l’intéresser. Un petit tertre, quelques pierres, pas une goutte d'eau… le tout recouvert d’humus et de feuilles mortes. Voici, après un simple déblaiement manuel des branchages et mousses, quelques images de notre fontaine.
Deux cercles de pierres sèches, rapportées. Le premier cercle présente un diamètre de 5,50 mètres environ. Le cercle central mesure 2,20 mètres de diamètre. Le tout est recouvert de pierres et de débris végétaux.
En l’état, nous ne distinguons malheureusement plus rien du puisard décrit par Fritz, juste les pierres superficielles. Le site est, comme mentionné, menacé par la croissance de trois arbres conséquents. (Circonférences de 170 cm, 95 cm et 70 cm). Nous n’avons pas le droit d’intervenir, par contre, nous pouvons faire quelques remarques intéressantes.
La présence des deux cercles bien distincts nous fait pencher pour une citerne à filtration, proche de celles de nos châteaux forts plutôt que d’une fontaine.
Voici deux images de blocs encore en place sur le cercle extérieur.
Vous distinguez comme nous des pierres présentant les encoches en queue d’hirondelle du Mur Païen, distant d’une centaine de mètres. Contrairement à l’assertion de Fritz, la citerne n’est pas contemporaine du mur puisqu’elle se base sur des pierres de réemploi de celui-ci.
Pierres avec les encoches en queue d'aronde
Certains blocs sont fort proprement équarris. Ceci confirme notre intuition, la citerne est bien postérieure à la construction du Mur Païen.
blocs equarris
Une pierre portant deux encoches attire plus particulièrement notre attention. Une des faces a été retaillée pour présenter un bossage comme on en voit sur les murs boucliers et les donjons des forteresses médiévales. Il semble fort crédible que notre citerne ait été creusée après la construction de nos châteaux du Mont Sainte-Odile. Nous voici pour le moins au XIIème ou XIIIème siècle.
Enfin, Étienne et moi avons découvert de multiples fragments de tuiles (anciennes) et de briques à proximité directe du Brunnenschacht. Cette citerne à filtration nous semble plus proche de nos châteaux forts médiévaux que de la construction du mur.
Désolés de contredire notre Ami Fritz, mais cette citerne ne nous semble pas contemporaine du Mur Païen. Et la Porte de l’Elsberg n’a pas été aménagée pour mener boire les troupeaux de nos ancêtres... Ces deux constructions ne sont pas liées.
Mais, alors, qui a bien pu construire cette citerne à un tel endroit ? Et surtout pourquoi ?
Sans doute le vallon du Hageltal était il à cette époque moins en déshérence, sans doute c’était un lieu où on emmenait paître les troupeaux ? On aura voulu y maintenir un point d’eau.
Mais alors, pourquoi aussi haut dans le vallon, en pleine pente ? C’était tellement plus simple, une centaine de mètres plus bas.
L’hypothèse d’une construction tardive par des forestiers, comme pour la Heidenbrunnen, à proximité du Maennelstein, pour combattre les feux de forêts, n’est pas à écarter.
Le Brunnenschacht reste cependant un mystère.
- Fritz Eyer, die Heidenmauer, Bulletin de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Dambach-Barr-Obernai, 1978
- Photographies, Etienne
- Cartes tirées de la Carte Interactive du Mur Païen de notre ami Étienne