Les portes du Mur Païen (première partie)
La vaste enceinte qui enserre le Mont Sainte-Odile s’ouvrait vers la plaine par plusieurs portes qui ont été découvertes tardivement. Nous donnons ici un aperçu de leur situation et des ouvrages qui les composaient. Nous commencerons aujourd’hui par les portes extérieures qui permettaient d’entrer dans le périmètre fortifié, puis nous nous pencherons dans un deuxième article sur les portes qui faisaient communiquer les trois camps : Bloss, Grossmatt et Stollberg. Nous dirons alors quelques mots sur les deux portes qui donnaient accès au rocher sommital, là où se trouve aujourd’hui le couvent.
Les quatre grandes portes de l’enceinte du Mur Païen
Quatre portes principales permettaient d’entrer dans l’enceinte du camp.
- la porte Zumstein, au sud, s’ouvrait sur la Bloss à partir du chemin de Barr
- la porte de l’Elsberg, au nord, sur une voie d’accès au départ probable de Klingenthal s’ouvrait sur le plateau du Stollberg
- la porte du Stollhafen, desservie par l’embranchement nord de la ‘voie romaine’ au départ d’Ottrott donnait également accès au plateau du Stollberg
- la porte d’Ottrott, située sur l’embranchement sud de la ‘voie romaine’ permettait d’entrer directement sur le plateau central de la Grossmatt. Ce devait être l’entrée principale du camp.
Outre ces quatre entrées, des accès secondaires sont soit avérés, soit possibles. Nous en ferons une courte description.
Découverte par Hans Zumstein en 1968
La porte Zumstein donne accès au camp sud (la Bloss) à partir de la route de Barr - Heiligenstein.
La voie qui menait à cette porte était autrefois couverte de dalles.
Porte en couloir, largeur de la porte : 2m70 , longueur du couloir : 8m25
La porte a été étudiée par Hans en 1968, restaurée par la suite en 1991 avec l’aide du Club Vosgien.
Voici un aperçu de la porte
Porte Zumstein
Quelques mots des découvertes de Hans Zumstein :
-
Le seuil de la porte présente une feuillure et d’une crapaudine de chaque côté : l’entrée était fermée par une porte de bois à double vantail.
-
Une des pierres à feuillure comporte une encoche en queue d’aronde : il s’agit d’un réemploi. La création de la porte serait postérieure à l’édification du mur. (Remarque : les autre encoches semblent cependant bien en place, voir relevé)
-
Hans découvre cinq claveaux : il en conclut que la porte était surplombée par une voûte. D’après la taille des claveaux, le diamètre (intrados) de l’arc était de 2m50 environ.
-
A l’est du couloir, Hans retrouve les deux premières marches de l’escalier de pierre qui devait mener au sommet du Mur Païen et donner accès à l’arche située au dessus de la porte.
-
Hans découvre un coin de fer : il suppose une exploitation tardive de la porte comme carrière de pierres. (supposition contreversée, suite aux travaux de Fichtl, voir plus avant)
Note : Curieusement Madelaine Chatelet, dans son article qui sera étudié prochainement, dit que ce coin aurait été trouvé près de la grotte d'Etichon. Etrange...
En 1994-95, Stephan Fichtl conduit une campagne de fouilles dans le même secteur. Son compte-rendu parle, pour cette partie de ses travaux, essentiellement de la portion du Mur Païen situé à l’ouest de la porte et non de la porte elle-même. Stephan y mentionne la découverte d’un coin de carrier en fer, de quelques tessons de céramique. Stephan a trouvé ce coin (9 cm de long) à proximité d’une carrière du Mur. Il en a donc une toute autre lecture qu’Hans Zumstein pour le premier coin découvert. Les coins de fer étaient utilisés dans les carrières pour débiter la roche : les hypothèses de construction du Mur Païen dans une période très lointaine tomberaient donc.
Cette porte est la plus accessible et la mieux conservée de l’ensemble du Mur. Merci aux visiteurs de respecter ce site. Voici quelque images de la Porte Zumstein à quelques mètres du sol.
Porte Zumstein
Signalée en 1914 dans un article de F. Stollberg, redécouverte lors de travaux forestiers en 1970.
Étudiée par Hans Zumstein en 1971
La porte de l’Elsberg donne accès au camp nord (le Stollberg) à partir du massif de l’Elsberg.
Porte en couloir, largeur de la porte : 2m10 , longueur du couloir : 7m75
Contrairement aux vœux de Zumstein, la porte n’a pas été restaurée comme la Porte Sud. Elle est à l’abandon. Plusieurs blocs ont été déplacés.
Quelques images de la Porte de l’Elsberg !
Porte de l'Elsberg
Comme pour la Porte Sud, le seuil est bien en place, les jambages portent les feuillures qui accueillaient la porte de bois. Les deux crapaudines sont également présentes, elles attestent d’une porte à deux vantaux. A deux mètres en retrait du seuil, une échancrure bien marquée fait supposer la présence d’une herse, ou d’un système de blocage similaire
Hans indique également la présence de claveaux trouvés au sol. Pour lui, la porte était voûtée. Plusieurs encoches en queue d’hirondelle sont mal placées. Hans en conclut que les portes Nord et Sud sont érigées à la même période, qu’elles étaient comparables et qu’elles sont postérieures à la construction du Mur.
Porte de l'Elsberg (détails)
Regrettons avec notre ami Hans que cette porte ne soit pas mieux mise en valeur et protégée. Une consolidation telle que celle effectuée par les Amis du Mont Sainte-Odile à la Porte Sud est souhaitable et urgente. Une autorisation et quelques heures de travail de nos bénévoles, çà ne coûterait pas grand-chose…. Notre patrimoine serait sauvegardé.
La présence d’une porte à cet endroit était prévisible. L’embranchement nord-ouest de la ‘voie romaine’ ne pouvait conduire qu’à une entrée sur le plateau à l’intérieur du camp.
Signalée en 1821 par Thomassin et Schweighaueser
Mise à jour et étudiée par Hans Zumstein en 1972
La porte du Stollhafen donne accès au camp nord (le Stollberg) à partir de la voie ‘romaine’ d’Ottrott.
Porte en couloir, largeur de la porte : 2m 60 , longueur du couloir : 8m
De nombreux itinéraires pédestres utilisent ce passage qui est aujourd’hui fort érodé et peu lisible. Lors de ses travaux, qui ont consisté en un simple décapage, Hans Zumstein a pu faire les remarques suivantes :
-
Le mur nord du couloir ne conserve que les huit pierres de son parement sud. Les encoches en queue d’aronde ne sont pas en place. Hans en déduit que cette porte, dans la forme constatée aujourd’hui, ainsi que les deux portes précédentes ont été ouvertes dans le Mur postérieurement à la conception de celui-ci.
-
Hans découvre la crapaudine nord de la porte, ainsi que le seuil, avec deux blocs avec feuillure. Le seuil comporte une rainure en son centre, place d’un système de verrouillage. Cette porte comme les deux autres était à deux vantaux de bois.
-
Pas de mobilier archéologique
Le mur sud du couloir de cette porte n’a pas été recherché par Zumstein, faute de temps. Bigre ! Il semble que ce mur sud ait été adossé directement au rocher. Sa base doit encore être en place. Simples amateurs, nous ne nous sommes pas permis de le rechercher. Délaissée, pas même signalée sur les lieux, cette porte mériterait d'être tirée de son oubli.
Porte du Stollhafen
La voie ‘romaine’ qui montait d’Ottrott se partageait en deux tronçons pour aborder l’enceinte. D’où la présence de deux portes : porte du Stollhafen et porte d’Ottrott. Voici un schéma qui vous donne une idée de la configuration des lieux.
Située à l’extrémité de la voie ‘romaine’ d’Ottrott, donnant un accès direct au camp central de la Bloss, cette porte devait être importante. Depuis des siècles, visiteurs et pèlerins accèdent au Mont Sainte-Odile par cette voie : l’emplacement est aujourd’hui extrêmement érodé et bien peu d’indices subsistent encore.
Dès 1783, Silbermann représente sur son plan du Mont Sainte-Odile la ‘voie romaine’ et indique ainsi la position d’une porte au point de rencontre avec le Mur Païen. Schweighaeuser (1825) confirme la présence de cette porte. Et, toujours en référence à ce lieu, Robert Forrer parle déjà de ‘ l’entrée principale’ de l’enceinte en 1899.
La ‘voie romaine’ est le chemin d’accès le plus ‘naturel’ pour monter sur le Mont à partir de la plaine. Elle emprunte le flanc d’un vallon, la situation de la porte se trouve donc dans un creux, contrairement aux trois portes précitées qui se situent sur des terrains moins pentus.
Les premières fouilles sérieuses sont entreprises en 1942 par H. Reinhert pendant la deuxième guerre mondiale. Malheureusement, à ce jour, elles n’ont donné lieu à aucune publication. Quelques éléments nous ont rapportés dans l’article de Fritz Eyer, collaborateur aux chantiers de Reinhert. En quelques mots : la porte d’Ottrott serait de même structure que les trois autres portes extérieures du Mur : il s’agit d’une porte à couloir. La hauteur du Mur à cet endroit aurait atteint les six mètres. Bigre ! La situation au fond du vallon expliquerait une telle hauteur de la muraille. L’ouvrage devait être d’importance !
En 2004, Jacky Koch dirige une nouvelle campagne de fouilles.
Sur ce lieu de passage utilisé de tout temps, remanié à toutes les époques pour les pèlerins, les voyageurs, les visiteurs du Mont, la tâche a du se révéler difficile. Si nous nous référons au plan publié par Jacky, la structure de cette porte se révèle plus complexe que celle des trois portes étudiées précédemment. Si nous retrouvons bien une porte à couloir, celle-ci est accompagnée d’une rampe d’accès et de murs de contreforts.Ces différences s’expliquent par sa situation au creux d’une combe. Jacky parle d’une longueur de couloir de 7 mètres a minima, et ne se prononce pas sur sa largeur. D’après le plan publié, elle devait être plus large que les trois autres portes. Une porte plus large, plus haute que les autres, un monument aujourd’hui disparu.
Nous n’en saurons pas plus… les cinq sondages effectués n’ont pas permis d’extraire de mobilier. Pas d’éléments de datation. L’étude des mortaises confirme un travail ‘à la broche’, effectué sur site, adapté au coup par coup.
Si j’ai bien compris la conclusion de Jacky, les éléments retrouvés de cette porte semblent inscrits dans la phase initiale de construction du Mur et n’ont guère été modifiés par la suite. Ceci contredit les conclusions de Hans Zumstein en ce qui concerne les trois autres portes : Hans les considèrent postérieures à l’édification de l’enceinte.
Nos lecteurs intéressés se reporteront pour plus de détails à l’étude publiée par Jacky.
Le Mur Païen à proximité de l'ancienne Porte d'Ottrott
Les accès secondaires à l’enceinte du Mur Païen
Découverte en 1877 par Eugène Koeberlé.
La porte Koeberlé donne accès au camp nord (Stollberg) à partir du vallon de l’Herztal, au nord-ouest.
Très différente des portes à couloir mentionnées plus haut, de structure plus simple, il semble que cette poterne ait été utilisée pour accéder à la Badstub et aux autres sources de l’Herztal pour ravitailler l’enceinte en eau.
Nous avons consacré un article complet à la Porte Koeberlé (cliquez sur le lien).
A proximité de la porte Koeberlé, mentionnons la porte C3. Déjà mentionnée par Robert Forrer, cette entrée ne se décèle que par deux coups de sabre sur le Mur encore bien en place à cet endroit. Selon Robert, il s’agissait d’une entrée utilisée lors de la construction du mur pour permettre aux travailleurs de passer d’un côté à l’autre du chantier. Elle aurait été obturée, dès la fin de la construction.
A ma connaissance, jamais citée, ni nommée à ce jour, la Porte Fritsch se situe sur le versant occidental du Mur Païen à hauteur des châteaux de Dreistein. Elle semble plus liée à l’histoire des châteaux des Rathsamhausen qu’au Mur Païen lui même. Nous vous en dirons plus sur cette entrée atypique lors d’un article à paraître sur notre site. (très prochainement, promis, juré)
Plusieurs points du Mur Païen présentent des failles dans le rocher. Sans pouvoir parler de portes à proprement dit, il peut s’agir d’entrées ou de sorties de secours où un homme pouvait se glisser. Cependant, il est également possible que ces ouvertures ne soient que l’effet du temps et de l’érosion. Pluies, ruissellement, quelques blocs tombés. La plus spectaculaire de ces failles est connue sous le nom de Felsentor.
Felsentor, Porte du Rocher
Située sur le versant Ouest du Mur Païen, cette ouverture relie le camp central (Grossmatt) avec le vallon du Herztal et ses sources. Cette faille a-t-elle été laissée béante lors de la construction du Mur ou bien les blocs qui l’obturaient ont-ils roulé dans le vallon suite à l’érosion des sols ? Nous laisserons le lecteur se faire une idée personnelle avec ces quelques images.
Felsentor, vue de l'intérieur de l'enceinte
Felsentor, vue de l'extérieur de l'enceinte
Nous avons traité de failles du même type dans notre article consacré au Mur Nord du Stollberg. Les autres possibilités sont indiquées par des ronds gris sur le plan proposé en début de cet article.
L’enceinte du Mur Païen aurait été accessible dés son édification par une porte monumentale: la porte d’Ottrott. Par la suite, selon l'hypohèse d' Hans Zumstein, trois portes à couloir, plus simples auraient été percées dans le mur pré-existant: porte Zumstein, porte de l’Elsberg, porte du Stollhafen.
La porte Koeberlé, de moindres dimensions, aurait été destinée à l’approvisionnement en eau du camp.
Nous traiterons prochainement des portes situées à l'intérieur de l’enceinte du Mur Païen.
- H. Zumstein, Fouille d’une porte dans le Mur Païen de Sainte-Odile, CAAAH, 1963
- F. Eyer, die Heidenmauer, Annuaire SHABDO, 1978
- H. Zumstein, les portes du Mur Païen au Mont Sainte-Odile, 1992
- S. Fichtl, le Mur Païen du Mont Sainte-Odile, 1994-95
- F. Petry, R. Will, Le Mont Sainte-Odile, 1988
- J. Koch, Porte d’Ottrott du Mur Païen, 2004
Nos sources tirées de textes plus anciens sont citées dans nos précédents articles (cliquer sur le lien)
Toutes les photos récentes qui illustrent notre propos ont été effectuées par Etienne.
Les schémas de situation sont extraits de la Carte Interactive du Mur Païen, proposée sur notre site.
Les références des images anciennes et des relevés apparaissent dans le texte.