Les portes du Mur Païen (deuxième partie)
Un article récent traitait des portes d’accès à la forteresse du Mur Païen depuis l’extérieur. Nous décrirons aujourd’hui les portes situées à l’intérieur, celles qui reliaient les trois camps de l’enceinte : Stollberg au nord, Grossmatt au centre, Bloss au sud. Ce sera l’occasion de parler des deux murs transversaux qui délimitent ces trois camps.
Nous dirons enfin quelques mots des portes d’accès au sommet du Mont.
Mur Transversal Sud
Le mur transversal sud sépare le camp central (Grossmatt) du camp méridional (Bloss). Il est situé à l’endroit où le plateau est le plus étroit, il ne mesure que 163 mètres de longueur. Aujourd’hui, ce mur est effondré et à peine décelable par endroits. A l’Est, toute proche de sa jonction avec le mur principal, se trouve une porte en couloir : la porte Eyer.
Découverte en 1943 par Fritz Eyer
Porte en couloir, largeur de la porte 1m80 dans le couloir, 2m au niveau du seuil, longueur du couloir 7m (selon les relevés de F. Eyer)
Fritz Eyer, dans son bref article, mentionne quelques détails intéressants :
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La présence des deux crapaudines indique que le portail en bois était à deux vantaux.
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Au niveau du seuil, Fritz ‘croit’ voir sur les dalles des traces de passage de chariots. Il évalue l’entre-roue à 1m60. L’article est écrit en 1978, Fritz n’est pas formel. Sans doute a-t-il alors lu l’étude de Zumstein. (voir plus loin).
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Situées à l’est du seuil, Fritz trouve ‘des’ marches sous un tas de pierres. Il conclut à l’existence d’une tour située à cet endroit.
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Pour Eyer, sans plus d’explication, cette porte a été ouverte dans le Mur postérieurement à l’édification de celui-ci.
Porte Eyer – vues au sol
Réétudiée en 1963 par Hans Zumstein
L’étude menée par Hans Zumstein confirme plusieurs points : le portail à deux vantaux, la présence d’une amorce d’escalier. Par contre, Hans ne relève pas de traces de charroi. Comme Eyer, Hans constate le mauvais agencement des encoches à queue d’aronde : les pierres ont été réemployées. Hans conclut que cette porte a été percée dans un mur préexistant.
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Hans détecte en amont de la porte et au niveau de la ‘tour’ les traces d’un incendie
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Hans cite deux pierres en forme de claveaux. Il pense qu’elles ont été taillées au moyen âge pour la construction de Hohenbourg, la porte servant alors de carrière pour le château ou le couvent. Mais pourquoi ne pas s’en tenir à une explication plus simple : la porte pouvait être couverte d’une arche au niveau du seuil. Selon Hans, les claveaux ne correspondent pas à la portée de 2 mètres nécessaire à cet endroit.
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Au Nord Ouest de la porte, Hans retrouve la couche d’incendie et dans celle-ci deux tessons de céramiques : N°63.22, un pied de vase en terre qu’Hans date de la Tène. N°63.23, un fragment de tubulus romain. (Malheureusement, je n’ai pas trouvé de dessins ou de photographies).
Le schéma d’Hans est précis, il nous indique les lieux fouillés, la localisation des deux claveaux et des tessons mis à jour. Il montre aussi la mauvaise position des encoches dans le couloir de la porte.
Fort de ces découvertes et de ses constatations sur le réemploi de certains blocs, Hans confirme sa théorie de datation : le Mur aurait été créé à la période de la Tène, puis remanié à l’époque romaine (Bas Empire).
Porte Eyer, vues réalisées par drone
Aujourd’hui, la porte Eyer est traversée par un large chemin, très emprunté par les nombreux promeneurs. L’érosion est forte, certains blocs ont été déplacés, comme celui de la crapaudine ‘est’. Quel dommage ! Merci aux marcheurs de respecter les lieux !
La porte Eyer se trouve vraiment à l’extrémité orientale du mur transversal. Par contre, la porte Zumstein (sur l’accès à partir de Barr) est située sur le versant ouest. Au vu de la pente, il est difficile d’imaginer un cheminement entre les deux portes. Comment atteindre le sommet du Mont à partir de la porte de Barr ?
Hans Zumstein, dans son article de 1992, émet l’hypothèse d’une seconde porte pour un accès plus direct et moins pentu entre Barr et le Mont. Cette porte ‘possible’ avait déjà été évoquée par Robert Forrer en 1913. Voici le cheminement proposé.
Selon Robert Will, une carte postale (1912) montre cette porte en couloir d’une longueur estimée de 6 à 7m de longueur. On y distinguerait la feuillure de la porte. Malheureusement je n’ai pu me procurer cette image. (Fonds du Grand Séminaire de Strasbourg). Si un lecteur pouvait me procurer une copie de ce document….
Aujourd’hui, la route goudronnée recouvre le chemin proposé par Hans. Nous n’en saurons pas plus.
Mur Transversal Nord
Le mur transversal nord sépare le camp central (Grossmatt) du camp septentrional (Stollberg). Il est situé à l’endroit où l’enceinte est la plus étroite, il ne mesure que 98 mètres de longueur. Aujourd’hui, ce mur reste aujourd’hui bien tracé, mais il ne subsiste que sa base, juste une ou deux assises. Comme au Mur Transversal Sud, nos amis archéologues ont recherché la trace d’une porte faisant communiquer les deux camps.
Mur Transversal Nord
En 1972, Hans Zumstein part à la recherche de cet accès. Ses travaux, un simple sondage selon ses propres termes, seront peu fructueux : un vague éboulis, sans plus. Hans reste convaincu de l’existence d’une porte à couloir à cet endroit. Selon lui, elle aurait été démontée lors de la restauration du mur transversal à l’époque romaine. Voici le schéma proposé par Hans pour sa localisation.
En 1995, Stephan Fichtel effectue des fouilles plus poussées sur l’ensemble du Mur Transversal Nord : deux sondages aux extrémités du mur, là où il rejoint la muraille principale et un dégagement du pied du mur transversal sur toute sa longueur. C’était une tâche d’envergure qui selon Stephan lui-même n’a laissé que peu d’enseignements.
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Le mobilier archéologique se limite à ‘une monnaie du Bas-Empire, un fragment de récipient en pierre ollaire et quelques tessons’.
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L’extrémité orientale, proche du rocher du Stollhafen, est appuyée sur le mur principal, ce qui suggère que le mur transversal ait été édifié dans un deuxième temps.
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L’autre extrémité (ouest) par contre montrait une interpénétration du mur transversal avec le mur principal. Le lieu est très mal conservé, Stephan nous dit avoir effectué cette constatation dans les assises basses. Les murs transversal et ouest seraient alors contemporains ? Phase initiale ou bien phase de rénovation ? En l’absence d’indices stratigraphiques, Stephan ne peut conclure.
Quant à notre porte, Stephan Fichtel n’en a pas trouvé la moindre trace. Seul l’emplacement déjà cité par Hans Zumstein pourrait être retenu. A cet endroit, au croisement avec le sentier actuel, même les assises basses ont disparu. Le seuil pouvait se trouver à cet endroit et avoir été démonté. Voici quelques images de l’endroit, merci Etienne.
Emplacement putatif de la porte du Mur Transversal Nord
Qu’il y ait eu une nécessité de communiquer, de passer d’un camp à l’autre paraît une évidence. Voici, schématisé, comment nous envisageons cet accès.
Si cette porte n’existait pas, il fallait pour atteindre le camp du Stollberg à partir du Mont sortir de l’enceinte par la porte d’Ottrott, descendre une partie de la ‘voie romaine’ et remonter par la porte du Stollhafen.
Ceci paraît bien compliqué. Non ?
L’ accès au plateau sommital
Nous en venons maintenant aux deux portes qui ouvraient le sommet du Mont. Qu’ils viennent de Barr ou d’Ottrott, de l’Elsberg, tous les visiteurs devaient franchir un dernier obstacle pour atteindre le camp fortifié qui couronnait le Mont. Selon des descriptions du XIXème siècle, deux portes monumentales étaient les dernières défenses. Elles se situaient, l’une sur la voie d’Ottrott, l’autre sur la voie de Barr, dans d’étroits défilés, entre d’énormes rochers de grès. Voici un dessin d’ Emmanuel-Frédéric Imlin qui donne une idée de la grandeur et de la beauté des lieux.
Aujourd’hui, il est bien difficile d’imaginer la forme et l’ampleur de ces fortifications. Elles ont été détruites par nos élus locaux en 1855-56. A cette époque, les édiles ont voulu permettre l’accès en calèche au couvent du Mont Sainte-Odile. Alors, on a arasé les lieux, on a éliminé les restes des portes. Une centaine d’années plus tard, il parut aux responsables que l’accès en automobile était nécessaire. Nouveaux travaux, création de la vaste esplanade qui précède aujourd’hui le couvent, aménagement des deux voies routières, élimination de certains rochers…. Les dernières traces de l’entrée ont disparu presque totalement.
Aujourd’hui, seul souvenir des portes anciennes, ne subsistent que quelques marques d’ancrage sur le rocher à l’est de la route qui donne accès à l’esplanade.
Vues des dernières traces de la porte 'romaine' est
Sourions un peu… Nos élus d’hier ont détruit un monument historique pour la gloire de l’automobile. Nos élus d’aujourd’hui voudraient éliminer cette même automobile au profit d’un téléphérique qui transformerait le Mont en parc d’attraction ! Dérisoire et peu respectueux des lieux !
Un peu de sagesse et le souvenir d’Odile devraient nous amener à plus d’humilité. Il n’était pas plus besoin de calèches en 1850 que d’automobiles en 1950. Le téléphérique de 2023 est un projet agressif , dispendieux et inutile.
Comme Odile qui cheminait chaque jour entre Hohenburg et Niedermunster, marchons sur le Mont Sainte-Odile. Tout simplement. Respectueusement.
Terminons par le superbe dessin de Touchemolin. Joseph devait bien connaître les lieux. Il nous propose une vue impressionnante, quoique très personnelle, de la ‘porte romaine’ du sommet du Mont
- H. Zumstein, Fouille d’une porte dans le Mur Païen de Sainte-Odile, CAAAH, 1963
- F. Eyer, die Heidenmauer, Annuaire SHABDO, 1978
- H. Zumstein, les portes du Mur Païen au Mont Sainte-Odile, 1992
- S. Fichtl, le Mur Païen du Mont Sainte-Odile, 1994-95
- F. Petry, R. Will, Le Mont Sainte-Odile, 1988
Nos sources tirées de textes plus anciens sont citées dans nos précédents articles (cliquer sur le lien)
Toutes les photos qui illustrent notre propos ont été effectuées par Etienne.
Les schémas de situation sont extraits de la Carte Interactive du Mur Païen, proposée sur notre site.
Les références des images anciennes et des relevés apparaissent dans le texte.
La carte postale ancienne de la porte ‘romaine’ a été publiée par A. Troestler dans son livre ‘Album Mont Sainte-Odile’.