Attaque de nuit du château d'Andlau
Joseph Gyss, l’historien de la Ville d’Obernai, nous rapporte une étrange histoire qui s’est déroulée au mois de mai 1438. L’écuyer Antoine Lamprecht était un citoyen de petite noblesse de la Ville d’Obernai. Cette année là, Antoine accepte l’offre des seigneurs d’Andlau de devenir le bailli de leur château du Haut-Andlau. Ceci nous paraît bien banal aujourd’hui, et pourtant… Quitter une ville pour un poste n’était pas chose aisée à cette époque. Antoine se devait d’avertir les autorités, d’obtenir leur aval et de payer les taxes attenantes à son départ. Et il s’en abstint ! Il faisait forfait de son titre de Bourgeoisie ! Après un échange infructueux de missives, la Ville décide de sévir ! Une expédition punitive est lancée contre le rebelle. Une troupe de soldats se dirige nuitamment vers Andlau, et, profitant du brouillard, elle emporte la place par surprise. Mais Antoine Lamprecht réussit à s’enfuir, et la milice des Obernois rentre bredouille !
La réaction des trois frères d’Andlau est vive et procédurière. Les frères, Eberhart, Hans Heinrich et Petermann d’Andlau écrivent au magistrat pour se plaindre des méthodes de la ville!
« sans déclaration de guerre et au moment où ils devaient le moins s’y attendre, ceux d’Obernai surprirent le château nuitamment, à main armée, et s’avisèrent de poignarder l’écuyer Lamprecht et son épouse »
Ils donnent des détails : l’heure, aux environs de minuit, la présence de brouillard… ils insistent sur la tentative d’assassiner Antoine et sa femme. Ils demandent réparation en monnaie sonnante et trébuchante.
Voici un extrait d’une des lettres des frères, signée par Eberhart d’Andlau et datée du 15 mai. ( Archives Municipales d’Obernai ).
Aberhart, Hans Heinrich und Peterman v. Andelo gebrüder an Obernehnheim : weigern sich von ihrer forderung abzustehen und wegen des Überfalles von schloss Andelo, wo der stadtknecht Thenie Lamprecht und sein weib unterstanden haben zu erstechen, vor den bi. zu Strassburg zu kommen, und begehren wandel und kehrung; wenn nicht, sind sie bereit mit der stadt vor M.Jakob zu kommen und dort zu nehmen, « was ir uns der geschichte halb von ehren und rechts wegen schuldig sient ». — Aberhart v. A. siegelt.
La Ville se défend comme elle peut : elle n’a pas de conflit avec les Andlau , mais avec un de ses citoyens. L’avocat Jakob ajoute des éléments habiles pour la défense d’Obernai.
« tout s’était borné au dessein de surprendre un ennemi qui avait déjà pris ses mesures pour exercer des hostilités contre la ville , conjointement avec les auxiliaires qu’il s’était associés, et que loin de vouloir sa mort , on aurait préféré le capturer vivant. »
« Wir hetten dich lieber lebende wann tot gehebt »
Antoine complotait et on ne voulait pas le tuer… A notre avis, Antoine et son épouse ont cependant été bien avisés de déguerpir à l’arrivée des soudards de la Ville. On ne sait jamais.
Le magistrat n’a qu’une volonté : apaiser le conflit ! Ne pas créer de nouvelles difficultés à la Ville : « vu que celle-ci était déjà suffisamment inquiétée par toutes sortes de luttes fastidieuses ». Les Andlau ne menacent pas moins que de saisir l’Évêque de Strasbourg, Guillaume de Diest, et le Margrave de Bade pour régler le conflit…. Les choses semblent cependant en rester là : les archives ne parlent plus de cette affaire. Et, quelques années plus tard, on retrouve notre ami Antoine dans les textes obernois, Antoine était revenu à Obernai et il y termina ses jours.
- Dés 1438, les Andlau n’habitaient plus le Haut-Andlau, mais leur château de plaine dans la Ville d’Andlau ! L’âge d’or des burgs de montagne était déjà passé. Les Landsberg résident à Niedernai, les Rathsamhausen ont quitté le Stein dans leur superbe cour romane à Obernai. Avec l’extension du commerce et de l’industrie, le temps des Villes et leur montée en puissance étaient venus. Les châteaux de montagne n’avaient plus l’importance des siècles précédents.
- Les burgs n’étaient pas des forteresses inexpugnables. Une simple expédition de nuit de la milice communale permet de les enlever. On trouve d’autres exemples, nombreux, sur notre site : Waldsberg en 1406, Kagenfels en 1390, 1393, 1424, Guirbaden en 1475, Spesbourg en 1431. Les garnisons laissées sur place ne représentent que quelques dizaines d’hommes tout au plus. Le commandement est souvent confié à un simple écuyer, comme Antoine. L’armement et les stocks de vivres et munitions peuvent être des plus réduits. Témoin la prise du Spesbourg, déjà citée.
- Les Villes, par contre, étaient fort soucieuses de leurs prérogatives ! Un simple écuyer déserte son poste, et la Ville d’Obernai organise une expédition. On ne plaisante pas avec les impôts et taxes municipales. Cette expédition de 1438 est d’autant plus étonnante que les temps étaient déjà bien troubles !
Les Ecorcheurs du futur Louis XI seront bientôt en Alsace.
La promenade la plus classique se fait à partir de la maison forestière de la Hungerplatz ( ferme auberge de qualité ). Un sentier aisé permet de visiter Haut Andlau et Spesbourg. Le crochet par le Rocher Sainte Richarde est conseillé, surtout au petit matin, lorsque la brume se lève sur Andlau. Au retour, arrêt à Andlau pour visiter l’abbatiale : sa crypte et sa frise romane.
Le château du Haut-Andlau est reconnaissable entre tous : un heptagone , tout en longueur, dominé à ses extrémités par deux hautes tours rondes, légèrement aplanies coté intérieur. Lorsqu’on vient du Nord de l’Alsace, c’est le premier château qui ne soit pas en grès, mais en granite.
Si le site fut occupé bien plus tôt, les ruines que nous admirons datent de la reconstruction de 1250, après la campagne militaire de l’évêque Henri de Stahleck qui avait incendié le burg précédent (1246). L’œil se porte naturellement sur les magnifiques fenêtres en arceaux surbaissés et leur remplage de grès sculptés. L’amateur peut retrouver ce type de baies au Guirbaden et au Landsberg.
Un important chantier est mené actuellement sur le site et la partie haute du burg est fermé à la visite.
- J. Gyss, Histoire de la Ville d’Obernai, 1866
- Golbery, Antiquités d’Alsace, 1828
- Archives Municipales, Oberehnheim. EE. 5. 6691
- Haut-Andlau, Vue d’ensemble
- Armoiries des Andlau, pierre tombale, église de Molsheim
- Baie géminée avec remplage
- Intérieur du logis
- Schéma des ruines, PiP
- Baie géminée
- Haut-Andlau, Façade Est
- Lithographie, Engelmann
La lithographie proposée montre une scierie sur la rivière Andlau. Au fond, le Château avec ses deux tours encore avec leurs toitures.