Les signes lapidaires du Dreistein
Les châteaux du Dreistein sont construits sur un éperon en grès. Cette roche est appelée ‘poudingue de Sainte-Odile’. Elle est friable et comporte des inclusions d’autres roches. Le plus souvent on la considère impropre à la taille du fait de son manque de cohésion. Ici, à Stein, les inclusions sont de taille réduite, et une bonne part des murs qui nous dominent provient bien de l’extraction locale.
Le Mont-Sainte-Odile marque une frontière sur l’emploi des matériaux pour la construction castrale. Au sud du Mont, le granite affleure et bon nombre de châteaux sont taillés dans cette roche : le Haut-Andlau et le Spesbourg sont en granite. Plus au nord, c’est le grès qui l’emporte, mais au poudingue jugé trop fragile, on a souvent préféré le grès de type Bundsandstein, plus compact et moins friable. Le Mont Sainte Odile est à la frontière entre ces deux types de constructions. A quelques kilomètres de Stein, si la partie la plus ancienne du Landsberg est bien construite en grès, elle repose sur des assises de granite.
Les fossés de Stein offrent plus d’un enseignement. L’observateur est surpris par leur ampleur. C’est étonnant comme on a dû creuser à Stein ! Le château initial était posé au flan du Mont-Sainte-Odile. D’amblée, le côté sud a paru trop facile d’accès, alors un premier fossé a été creusé. Par la suite, consécutivement aux premiers sièges, ce fossé a été fortement élargi. Lors de la construction du deuxième Stein, à l’est, la place n’était guère tenable. On a creusé profondément entre le premier château et la tour de siège. Puis, quand le deuxième château a perduré, on a prolongé le fossé sud. On a créé de toutes pièces le fossé situé à l’est, pour détacher la deuxième forteresse de la montagne. La tâche est invraisemblable, colossale. Enfin, pour le Stein Oriental, on a creusé côté nord un dernier fossé. Ce dernier est moins large que les autres, mais tout aussi profond: le versant nord était moins menacé, l’à-pic sur la vallée est plus proche.
Si on veut comparer avec les autres sites du Mont, on doit se rendre à l’évidence. Au Birkenfels, les carriers ont eu peu à faire, un seul fossé a été creusé à l’est du château. Au Landsberg, un ouvrage unique à été creusé à même la roche, sur le flanc est, également. A Ottrott, la plate-forme n’a nécessité que peu de travaux de creusement. Ici, à Stein, le travail a été considérable !
L’ Hortus Deliciarum nous propose un feuillet concernant la construction de la Tour de Babel. Herrade de Landsberg nous donne une idée précise des instruments et du travail des carriers au moyen âge. Combien étaient-ils pour effectuer une tâche d’une telle ampleur ?
A Stein, la plus grosse part des constructions est réalisée en grès provenant des fossés. L’impressionnant reliquat de taille a été déversé sur le versant nord, côté vallée. Le gros œuvre du Dreistein Oriental est réalisé dans cette matière. Dans les deux châteaux occidentaux, on peut cependant discerner deux exceptions : le donjon et la face orientale du mur bouclier sont réalisés avec un grès de grain plus fin. Vraisemblablement, le grès noble provenant de carrières plus lointaines a été réservé à ces éléments, pour une question de prestige, à moins que les carriers aient plus simplement trié les blocs extraits localement en fonction de leur finesse relative.
Deux dernières remarques sur les matériaux utilisés à Stein.
- Dans la partie ruinée du château du milieu, on retrouve de nombreuses pierres comportant les tailles en queues d’aronde du Mur Païen… Et oui, nos ancêtres du moyen âge ont pillé le mur ancestral qui domine le Mont. Juste au dessus de Stein, le vieux mur de la Thène a été détruit sur plusieurs centaines de mètres et les Rathsamhausen ont fait rouler sur le flan de la montagne les pierres ‘païennes’ pour construire leur château…
- Pour les encadrements de portes, de fenêtres, d’archères, pour le remplage des baies, le poudingue de Sainte Odile n’a pas paru un matériau assez noble. On lui a préféré un grès au grain très fin. C’était l’habitude, vraisemblablement aussi bien pour des raisons esthétiques que pour la cohérence de la pierre, que d’utiliser ce matériau pour les sculptures. Même dans les châteaux en granite les remplages de fenêtres sont en grès fin. Il semblerait que pour Stein, ces grès proviennent d’une carrière déjà utilisée pour le Landsberg et située à proximité, sur la montagne de la Bloss.
Les tailleurs de pierre laissaient leur marque sur les châteaux du moyen âge.
Les signes lapidaires de l’époque sont de deux types. Les premiers, les plus courants, sont une forme de signature du travail accompli. Le compagnon a un signe propre qu’il grave sur une pierre d’angle ou sur un emplacement bien en vue. Cette marque rappellera son passage sur le chantier et l’œuvre accomplie.
La deuxième catégorie est plus utilitaire. Les signes gravés sur les pierres permettent de les repérer afin de faciliter le montage des éléments les plus complexes de la construction, essentiellement les voûtes des fenêtres et des portes.
Aux Dreistein, les signes lapidaires sont essentiellement des repères de montage. On les trouve dans les trois châteaux. Utilitaires, les signes sont peu profonds, simples, stylisés. Nous avons préféré présenter un relevé exhaustif, plutôt que nos photos peu réussies.
Château Occidental, la grande baie : Les claveaux de la grande baie devaient être montés avec précision. La largeur du mur nécessite deux pierres différentes pour obtenir la profondeur voulue : chaque paire porte une même marque. Elles sont reportées sur la frise qui précède, remarquez la clef l'équerre et le maillet.
Château du Milieu, le mur bouclier : La voûte en plein cintre qui perce le mur bouclier a été marquée de la même façon. Le parement du mur bouclier offre également quelques signes, que nous reproduisons en fin d'article
.
Château Oriental, la citerne : Dans le château oriental, c’est dans le puisard de la citerne qu’on retrouve les signes lapidaires. Le puisard a été sondé et étudié en 1988 par R. Kill. Il se compose de 28 assises de grès pour une profondeur de 6 mètres 70. Les pierres d’un même niveau portent le même signe. (Le dessin proposé est effectué grâce au relevé de R. Kill). Un article sera prochainement dédié aux citernes des châteaux des Dreistein.
Lisez nos autres articles concernant les Châteaux de Dreistein. ( cliquez sur le lien !)
- A. Lerch, Dreistein, Châteaux du Mont Sainte Odile, 2002
- R. Kill, Fouilles de la citerne du Dreistein, 1992
- T. Biller, Der frühe gotische Burgenbau im Elsass, 1995
- Hortus Deliciarium, la Tour de Babel
- Grande Baie, Mur Bouclier, Citerne, Dreistein, PiP
- Dessins des signes lapidaires, PiP
- Photographies de signes lapidaires situés à Obernai et Molsheim, PiP