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Autour du Mont-Sainte-Odile, le Mur Païen

Emprisonnée au château de Bernstein

1 Juillet 2013 , Rédigé par PiP, vélodidacte Publié dans #chateau, #anecdote

Saledia était la fille de l’évêque de Toul. Situation inconfortable, certes. Mais être fille de prélat, est-ce une raison suffisante pour mériter la captivité dans une forteresse ? Le moine Richer de Senones nous raconte une bien curieuse histoire. L’intrigue se noue en 1217 sur le versant lorrain des Vosges, et se répercute jusqu’au château de Bernstein.

Les protagonistes

Thibault est duc de Lorraine. De par son mariage avec Gertrude de Dabo, il est le maître de plusieurs châteaux des Eguisheim en Alsace : Guirbaden, Bilstein, et Bernstein, entre autres.

C’est un seigneur guerrier, un rien emporté, que nous avons déjà rencontré lors de l’épisode de la Guerre des Caves à Rosheim.

Opposé aux Hohenstaufen, Thibault est en lutte continuelle avec Frédéric II et ses représentants en Alsace.


Maheu, son oncle, est l’évêque de Toul.
Saledia est la fille que Maheu a eu avec une moniale de l’abbaye d’Estival.

Le moine Richer de Senones

Richer nous a laissé les chroniques de son temps. Toujours fort bien informé, Richer écrit dans un style personnel les histoires de la Lorraine du début du XIIIème siècle.

Dans le Livre III des ‘Choses Mémorables’, Richer nous raconte l’histoire édifiante de l’évêque Maheu et de sa fille Saledia. La narration court sur quatre chapitres avec moult détails savoureux. En voici les grandes lignes.

La vie scandaleuse de Maheu de Lorraine

Né vers 1170, fils cadet du duc Ferry de Lorraine, Maheu est destiné à la prêtrise. C’est un beau jeune homme, peu porté à la vie religieuse. Enfant, il devient chanoine de Saint-Dié. Jeune homme, il séduit une moniale et en a une fille Saledia. Nommé évêque de Toul, Maheu mène grand train et dissipe les biens du diocèse. Sur dénonciation, Maheu est convoqué à Rome par Innocent III. Il est destitué et remplacé par Regnault de Senlis à l’évêché de Toul. Maheu regagne alors Saint-Dié où il s’installe alors bourgeoisement avec sa fille. Ils vivent maritalement au grand jour et au plus grand scandale des administrés. Averti par la rumeur, le Duc Ferry, son frère, est indigné : ‘N’avez vous donc pas cognue la mère, et voulez tant impudiquement avoir affaire à la mère et à la fille ?’. Ferry intervient, il fait enlever Saledia, qui est enfermée au château de Bernstein, fief de son fils Thibault.

Maheu, brigand puis assassin.

Destitué, déchu, Maheu s’installe alors à Clermont, petit château qu’il a fait ériger non loin de Saint-Dié, sur la Montagne de la Magdeleine. Il est accompagné de ‘chasseurs et de chiens’ nous dit le frère Richer. En fait, Maheu dirige une véritable troupe de brigands et vit de pillages. Ferry doit de nouveau intervenir et attaquer le château de son frère.
Maheu se replie alors plus amont dans les Vosges, il habite le château de Bilstein, près d’Urbeis. Richer nous déclare y avoir vu de ses yeux les ciboires, coffrets et autres vases précieux, les ornements épiscopaux, volés par Maheu. Saledia semble avoir alors rejoint son père….
Au printemps 1217 Regnault, le nouvel évêque, décide de visiter les abbayes de son diocèse. Richer nous décrit précisément son périple. Senones, où il rencontre notre moine chroniqueur et où il passe la nuit, puis Moyen Moutier, Estival. Le 2 mars, Regnault se dirige vers l’abbaye d’ Autrey, à l’ouest de Saint-Dié. Ce choix se révéla fort imprudent. Trop proche de Clermont, où Maheu est revenu. A la métairie de Burgance ( aujourd’hui, village de La Bourgonce), Regnault est assailli par Maheu et ses hommes. L’évêque est désarçonné, frappé par trois fois à l’aide d’un coutelas et jeté nu dans un étang. Maheu vient lui-même s’assurer de la mort de l’évêque ! Défroqué, incestueux, brigand, Maheu est devenu un assassin !

La vengeance de Thibaut de Lorraine

Mai 1217, Thibault, devenu duc à la mort de son père Ferry, décide de mener une expédition pour venger l’évêque Regnault et faire cesser le scandale. Maheu a vent de l’affaire et décide de rencontrer son neveu, il espère encore obtenir son pardon. Thibault passe les fêtes de Pentecôte à Saint-Dié, puis se dirige vers Rambervillers. La rencontre des deux hommes a lieu près de Norpateglise ( aujourd’hui, Nompatelize ). Les gens du duc se refusent à porter la main sur un ‘homme d’église’. Et le duc se précipite avec une lance sur son oncle. Il le transperce. C’était le 2 juin1217. Le corps de Maheu est porté jusqu’à Clermont. Il est conservé dans la petite église de Magdeleine, ‘dans un vase en bois’, nous dit curieusement Richer. Enfin, il sera jeté dans une fosse, et recouvert de pierres et de bois mort.
Saledia , la fille de Maheu, est mariée à un archer du village de Thillebert, et le couple part s’installer du côté de ‘Cronebergh’. Il doit s’agir du château de Kronenburg qui dominait le Krontal à cette époque. Saledia meurt quelques temps après, et Richer y voit une juste punition de ses crimes. Laissons conclure le vieux moine de Senones : ‘…à peine eut-elle aucune sépulture ecclésiastique. Et ainsy le père Maheu et sa fille, coopérateurs de la mort de l’evesque, par le jugement de Dieu reçurent le mérite de leur labeur.’

Nous possédons une deuxième version de cette anecdote. Errard, valet de chambre de Thibault de Lorraine, donne sa version des faits, en termes moins châtiés que Richer.

Maheu, grand paillardeux et violenteur de garces que fut en son temps… Le duc Thiebault jura que le coupable n’auroit grâce ; luy fit quette et courir sus et fait ordonnance à un sien gentilhomme qu’avoit nom Simon de Joinville et qu’était en sienne compagnie es chasses tout proche de Rambieller ( quand fut appris que le Maheu étoit en certain lieu prochain, qui pourchassoit certaine ménagère d’un moitrieux de céant) de le deffaire de cestuy scandaleux Maheu, encore que fut sien oncle et prêtre. Mais avenant que ledit Joinville fait refus d’occir ledit prêtre par cas fortuit trouvé en la traversée de certain chemin qu’était dans le bois, n’eut recours qu’en sien courrier qui n’avoit allure, ce qu’oyant Monsignor, piquant le sien et pourtant lance en arrêt, ferrit son dit oncle Maheu de deux grands coups qui percèrent de part et autre, et lui fait rendre sa sale âme en lieu que fut trouvé.

Cité par Jean Cayon, 1842

Visite du Château de Bernstein

Sis à mi hauteur des Vosges, le château de Bernstein domine la ville de Dambach. Les ruines que nous visitons aujourd’hui ne sont pas celles du burg où fut enfermée Saledia. En effet, en 1227, à la mort de Gertrude, femme de Thibault, le château fut assiégé pendant un mois par l’évêque Berthold de Teck. Il ne restait vraisemblablement plus grand chose de la forteresse des Eguisheim. Devenu fief de l’évêché, le Bernstein fut reconstruit par Berthold. Les ruines que nous admirons aujourd’hui datent de cette période romane.
Le château est construit en granite, et, détail peu courant, même les remplages des baies sont taillés dans cette pierre.
Les ruines sont magnifiques. On s’attardera à admirer les baies du palas et on montera en haut du donjon pour la vue sur la plaine d’Alsace.

Le château disposait d’un puits alimenté par une source, chose assez rare dans les châteaux de montagne. Ce système très élaboré a été étudié par J.M. Gall. (Les personnes intéressées se  doivent de lire son article dans la revue de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Dambach).

Balade

Les cyclistes ( VTT ) atteindront assez facilement les ruines par la route forestière bien entretenue. ( départ au dessus de Blienschwiller). Ils pourront alors compléter leur promenade par la visite de l’Ortenberg.
Les marcheurs partiront de la chapelle Sainte Sébastien au dessus de Dambach la Ville. La visite de la chapelle s’impose, ainsi que le tour des remparts de Dambach. (nombreux viticulteurs de talent dans la ville)

Quelques dates de l’histoire du Bernstein
  • 1009 - Première citation du château alors possession des Eguisheim
  • 1211 - Mort du dernier comte de Dabo. La forteresse passe aux ducs de Lorraine.
  • 1227 - Siège du Bernstein par l’évêque Berthold de Teck. Le château devient propriété de l’évêché de Strasbourg.
  • 1354- 1365 – Résidence de l’évêque Jean de Lichtenberg
  • 1421 – Siège par les Strasbourgeois
  • 1525 – Occupation par les Rustauds lors du Bundschuh, la Guerre des Paysans
  • 1632 – Pillage et incendie par les Suédois. Le château restera en ruines.
Illustrations
  • Photos des ruines du Bernstein, PiP
  • Blason de l’abbaye de Senones
  • Reconstitution du château de Bernstein, Lithographie de Winckler, 1878
  • Soldat assis, Saint-Sépulcre, église d’Obernai
  • Carte de localisation des faits racontés, PiP
  • Plan schématique du château de Bernstein, PiP
  • Lithographie de Imlin, 1813
Sources

 

  • Richer de Senones, Choses Mémorables, livre III, chapitres 2, 3 & 4, ~1260
  • J. Cayon, Traduction de la Chronique de Richer de Senones, 1842
  • J.M. Gall, Le Bernstein, Analyse d’un site, SHADO 1970

 

Château de Bernstein

Château de Bernstein

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C
Reste-il encore des châteaux dont tu n'aies parler ???
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P
Oh!!! en cherchant un peu, je vais encore trouver de belles anecdotes, les ruines ne manquent pas, par chez nous.... As-tu aimé le Bilstein et son histoire de bras cassés?
O
Magnifique château que je ne connaissais pas, merci pour le partage.
Répondre
P
Le Bernstein est un des rares châteaux de la période romane avec autant de baies. Le donjon est accessible. Le site, en pleine forêt, ajoute à son charme.