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Autour du Mont-Sainte-Odile, le Mur Païen

Kleines Biechlin von meinem gantzen Leben

27 Mars 2013 , Rédigé par PiP, vélodidacte Publié dans #personnage

Augustin Güntzer était potier d’étain pendant la Guerre de Trente Ans. Compagnon sur les routes, artisan à Obernai, il connaît les difficultés d’un homme de son siècle, en pleine guerre de religions. Dans un court récit attachant, Augustin raconte l’histoire de sa vie.

Le livre d’Augustin

Le texte d’Augustin est celui d’un homme simple, ayant un bon niveau d’éducation. Très croyant, calviniste, Augustin a semé son histoire de prières, de louanges à Dieu. Il raconte les détails de sa vie, ses maladies, ses achats, ses démêlés continuels avec les ‘papistes’. Ce texte nous apprend énormément sur la vie de tous les jours dans une époque troublée. L’intérêt est soutenu, de par le ton, les anecdotes, et surtout par la variété des sujets abordés. Augustin a eu une vie étonnante et il sait la raconter !


On peut aisément lire la vie d’Augustin Güntzer dans la traduction publiée en 2010 par Monique Debus Kehr.

'A propos de mon enfance et mon apprentissage'
Augustin naît à Obernai en 1596. Ses parents possèdent une maison sur la Place du Marché au centre de la ville. Son père est potier d’étain, il semble prospère. La famille Güntzer est croyante et de confession calviniste, au sein d’une ville majoritairement catholique. Augustin nous raconte sa famille, ses maladies d’enfant, l’éducation sévère qu’il reçoit. Protestant, il ne peut aller fréquenter l’école d’Obernai, et pour le service religieux, il doit se rendre à l’église Saint Jean d’Oberlinden, en dehors des murs de la Ville.
A treize ans, alors qu’il travaille déjà avec son père, celui-ci l’envoie passer un an à Baccarat afin qu’il apprenne le parler des Welches, le français.

'Le petit livre de mes voyages'
Comme tous les artisans de son temps, Augustin entreprend, en tant que compagnon, un long voyage de formation, allant à pied, de ville en ville, d’un maître artisan à l’autre. Il a alors dix-neuf ans et son premier périple durera près de quatre ans. Augustin nous raconte avec forces détails piquants, les auberges, les rencontres, les périls d’un tel voyage dans l’Europe du XVIIème siècle, les difficultés à trouver un emploi dans les villes et états catholiques. Ce premier voyage le mène à l’ Est de l’Empire, en Italie et en Suisse.
A son retour à Obernai, Augustin ne s’entend pas avec son père qui veut le voir marié et l’établir à Obernai alors qu’Augustin ne pense qu’à repartir et rêve d’aller en Inde. Le second voyage sera plus bref, et lui fera découvrir les pays du Nord. Les grands froids l’empêcheront d’aller plus à l’Est, et Augustin fera voile avec l’ Angleterre. Ne pouvant y exercer son métier, il passe en France et cherche à rejoindre la Méditerranée. La guerre l’en empêche, et Augustin rentre en Alsace après un périple de 18 mois. Il a alors 25 ans.
Dans son livre, Augustin nous donne le décompte précis de ses voyages : il a traversé 434 villes et 64 pays. Tous les noms sont cités. Les lieux, où Augustin a trouvé un emploi, sont précisés. Augustin estime qu’il a parcouru en tout 2586 lieues. Près de vingt mille kilomètres !
D’un naturel curieux, Augustin nous décrit ses visites de Londres, Canterbury, la basilique de Saint-Denis, Rome, ses rencontres inattendues avec le roi du Danemark, et le Grand Turenne.

'Le petit livre de mon mariage et de mon ménage'
A son retour, en 1621, les troupes d’ Ernest de Mansfeld s’apprêtent à envahir l’Alsace. Les relations entre les communautés catholiques et protestantes se sont encore envenimées. Augustin ne s’entend toujours pas avec son père, il décide de quitter Obernai, la catholique, pour rejoindre Colmar, protestante, où il pourra travailler sans entraves. Augustin se marie à Colmar le 29 juin 1623 : il épouse une veuve de onze ans son aînée, qui a quatre enfants de son premier mari. Augustin est alors installé, artisan réputé, disposant d’un certain capital, possesseur de vignes sises autour de Colmar. C’est un bourgeois connu et prospère. Il est citoyen de Colmar et exerce diverses fonctions dans sa corporation, se rend aux bains de Plombières en famille. Las, la guerre se rapproche et Colmar tombe aux mains des Impériaux. Le calviniste Güntzer doit quitter la ville, se voit spolier de ses biens et il se réfugie avec sa famille nombreuse à Strasbourg. Ce sera la fin de la période faste, et Augustin devra vivre d’expédients pour nourrir les sept enfants du ménage. Suite aux privations, Augustin perd plusieurs de ses enfants et son épouse Maria. Elle avait 47 ans.

'Le petit livre de mon veuvage'
La fin du livre d’Augustin nous raconte une vie de plus en plus difficile. Guerre, privations, querelles religieuses et maladies. Avatar de la guerre de Trente Ans, Augustin est devenu artificier, il souhaite s’engager dans les troupes suédoises pour participer à la prise d’Obernai aux ‘papistes’. Mais cela ne se fera pas, Augustin servira à Strasbourg, Breisach et Colmar. Son retour à Colmar, après la ‘libération’ de la ville, se passe mal. Augustin se tourne de plus en plus vers la religion et son texte en fait foi. Il abandonne son métier de l’étain faute de fonds pour exercer et se tourne vers la confiserie. Augustin quitte Colmar presque ruiné pour s’installer à Bâle. Le livre d’Augustin se termine en 1657 sans qu’on sache ce qu’il advint de lui par la suite.

Les dessins d’Augustin

Augustin a agrémenté son récit de petites illustrations dans le texte et par six hors-texte relatant les moments clefs de sa vie. Ces dessins ( 19 cm x 16 cm ) sont exécutés à la plume, de style naïf, ils regorgent de détails intéressants.

  • Obernai, la Place du Marché – 1604 ( détaillée ci-après )
  • Augustin, enfant, et la mort – 1610

Lors d’ une grave maladie, Augustin est déclaré mourant et son père fait fabriquer son cercueil. Sur le dessin, on voit l’enfant alité, entouré des siens, et le cercueil au pied du lit.

  • Les bandits de la forêt d’Haguenau – 1615

Premier voyage, Augustin et son compagnon sont attaqués par des bandits, Augustin se défend avec son mousquet.

  • Carte d’Allemagne – 1618

La carte est peu lisible, on distingue le Rhin, le Danube, de nombreuses villes du Sud de l’Empire. La comète de 1618 qui a tant impressionné Augustin est représentée.

  • Le départ d’Obernai – 1620 ( étudié ci-après )
  • Les bandits de la forêt de Stettin – 1621

Lors de son deuxième voyage Augustin est attaqué par des brigands et un faucheur vient à son secours.

La Place du Marché d’Obernai

Voici le texte d’Augustin.

L’année 1604, j’allais sur mes huit ans, je courus un grand danger dans la rivière ; un bourgeois d’Obernai voulut m’y noyer et me tuer. Hans Mosser était un bourgeois et vigneron d’Obernai, ennemi de mon père à cause de la religion. Me voyant gambader avec d’autres jeunes garçons près de la porte de mon père, il me poursuivit et m’attrapa. Dans sa colère, il me précipita dans le courant qui se referma sur moi. Quand il me pensa mort et noyé, il vérifia si je vivais encore : mais par une exceptionnelle grâce divine, plusieurs femmes et hommes vinrent à mon secours. Ensuite, ce malfaisant rentra chez lui tout joyeux, se vanta de son geste, raconta comment il avait jeté à l’eau le garçonnet du potier d’étain , ce huguenot, cet hérétique ; comment il l’avait promptement noyé et même si on avait secouru l’enfant, il pensait qu’il était mort. Mes parents m’emmenèrent à la maison, me mirent la tête en bas et l’eau s’écoula de mon corps. Ils me soignèrent de leur réconfort ; et je retrouvai la santé, grâce à Dieu.

Kleines Biechlin von meinem gantzen Leben

Sur l’image, la scène de la noyade et du sauvetage se trouve en haut du dessin.

L’Ehn traversait alors la place du Marché à Obernai. Partie supérieure, de gauche à droite, on reconnaît : l’ Hôtel de Ville avec ses arcades romanes, l’auberge ‘ à l’Ours’ et la maison des Güntzer, bourgeois aisés, puisqu’ils habitent en si bonne place et possédent un pigeonnier.
Au centre de l’image : le poêle des Vignerons et à droite la Halle aux Blés, qui faisait alors office de douane et d’entrepôt. Le texte nous apprend qu’on y stockait entre autres le sel.
En bas, le poêle des Tonneliers, l’auberge de la Hache et l’auberge de le Couronne.
Augustin s’est amusé à poser une cigogne sur la Halle. Trois canards nagent sur l’Ehn. Un chien mange sa pâtée devant l’auberge de la Hache. Les poules et un coq picorent devant un bouc sur la place.

Départ d’Obernai

Le deuxième dessin que nous proposons représente vraisemblablement le premier départ d’Augustin. On le voit prendre congé de son père au delà de la Bergtor sur la route vers Enzheim et Strasbourg, qui sont dessinées en fond.

- Père, que Dieu vous garde, vous et tout ce qui vous est cher. Je veux partir courir un peu le monde et voir à quoi il ressemble.
- Je te souhaite bonne chance, sois pieux, ne perds pas Dieu de vue et Dieu t’accordera la bonne fortune.


Les villages qui entourent Obernai sont dessinés, certains sont nommés : Boersch et ses remparts, Berschwiller pour Bernardswiller, Entzen pour Enzheim, Inlen pour Innenheim, Niederen pour Niedernai. Bien que l’ensemble soit simplifié, les détails sont intéressants.


A l’Est, Niedernai est cerné de murs, et on distingue le château des Landsberg. A l’entrée du village, se dresse le gibet d’Obernai. Un homme est pendu, cerné de deux roues, des corbeaux survolent la place.
Au Nord, le château d’Oberkirch est dessiné, mais pas l’église Saint Jean Baptiste, pourtant lieu du culte protestant de l’époque.

Trois moulins sont représentés sur l’Ehn. Deux puits à balanciers également. Les vignes complètent le paysage.

La Ville d’Obernai est surmontée de la sentence : ‘ Obernai, tu connaîtras le malheur, car tu pourchasses les chrétiens !’.

L’image est simplifiée, une seule ligne de remparts au lieu de deux, mais Augustin a choisi d’en représenter les points les plus emblématiques. Le Kappelturm est plus grand que nature, il domine la ville. L’Ehn entre et sort d’Obernai par les ‘swals’, ces portes fortifiées munies de herses. Les arcades de l’Hôtel de Ville ornent la place, où un passant désigne la maison des parents d’Augustin. Les deux faubourgs sont dessinés avec leurs murs et portes.

Dans le Selhof, l’église Saints-Pierre-et-Paul et le cimetière sont cernés d’un enclos. Les portes Niedertor et Kirchtor sont crénelées, on y distingue un homme en armes.

Mais quelle est donc cette chapelle dans le faubourg de la Merztgasse ?

Balade

Sur les traces d’Augustin, le promeneur visitera Obernai et situera la maison des Güntzer sur la Place. L’amateur d’étain ira au Musée des Arts Décoratifs à Strasbourg. Il y cherchera le plat d’étain aux trois poissons présenté en illustration. Le poisson est emblème du Christ, et le trois symbolise la Trinité.

Sources
  • Kleines Biechlin von meinem gantzen Leben, Augustin Güntzer, vers 1660
  • L’histoire de toute ma vie, autobiographie d’un potier d’étain calviniste, M. Debus Kehr, 2010
  • Deux dessins d’Augustin Güntzer, C. Müller, SHABDO 1983
  • Das Buch im Schaufenster, J.M. Boehler, SHABDO 2004
Illustrations
  • Dessins d’Augustin Güntzer
  • Plat d’étain d’Augustin Güntzer, Musée des Arts Décoratifs, Strasbourg
  • Divers symboles d’artisans d’Obernai
  • Les voyages d’Augustin,PiP

 

Sculpture du Kappelturm, Obernai

Sculpture du Kappelturm, Obernai

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