La curieuse manie de Charles IV
Charles IV était roi de Bohème avant de devenir Empereur du Saint Empire en 1355.
L’élection de ce monarque fut fort controversée. Charles eut en Alsace un comportement étonnant, voire déplacé.
Voici le poème que lui consacre Bernhardt Herzog dans sa chronique alsacienne en 1592.
Carolus Quartus war ein Held,
Zum Teutschen Keyser recht erwöhlt,
Ein Sohn in Böhem des Königs schon,
Keyser Henrici Sohns Sohn,
Viel sprach kündig und wolgelehrt
Er war, und darumb hoch geehrt.
Wiewol Graff Gunther von Schwarzburg,
Das Keyserthumb auch mit versorgt.
So trat er doch für ein gab,
Vom Reich gütlichen ab.
Carolus herschet zwey und dreyssig jahr
Zu Prag starb, und ligt aldar .
‘Charles IV fut un héros, bien élu empereur des Allemands, fils d’un roi de Bohême, fils du fils de l’empereur Henri, il s’exprimait avec compétence et érudition. C’est pourquoi il était honoré. Le comte Gunther de Schwarzburg était alors également candidat au Trône. Mais il se retira à l’amiable, avec contrepartie. Charles a régné 32 ans, il mourut à Prague et il y repose.’
Ce texte est sobre, gageons que les religieux alsaciens de l’époque aient gardé une toute autre image !
Charles commence son séjour à Strasbourg. Il se fait remettre des reliques de Saint Amand, de Saint Arbogast et de Saint Aurélien. Puis, il s’intéresse à la querelle qui oppose les religieux de Saint Thomas à ceux d’ Haslach, au sujet de la dépouille de Saint Florent que les deux communautés déclarent détenir. Lors de son passage à Saint Thomas, Charles se fait remettre une partie des reliques de Saint Florent.
Après une visite à l’évêque Berthold alité à Molsheim, il se rend alors à Haslach, où il fait ouvrir le cercueil couvert d’or et d’argent de Saint Florent. Il se fait remettre un élément du corps. Charles ne se prononce pas sur le conflit entre les deux congrégation mais déclare qu’ayant des reliques des deux églises, il est certain d’en avoir une qui soit authentique.
Charles se rend alors à Andlau où il admire la tombe de Sainte Richarde et le cercueil de Lazare. Il prélève un fragment des reliques de Lazare. Puis, il va à Erstein, où il se recueille devant les tombes de Sainte Irmengarden, Sainte Rugenden et fait ouvrir le cercueil de Saint Urban. Le périple impérial et le pillage se poursuit. Specklin nous donne une liste des couvents visités et des reliques extorquées. Saint Niebold à Ebersheim, Saint Velten à Rouffach, Saint Leodegarde, Saint Damas et Sainte Sophie à Murbach…
Son séjour alsacien terminé, Charles emmène toutes ces reliques en Bohème, où il les fait sertir d’or et de pierreries, dans un magnifique autel où il fait graver ‘Ici reposent les reliques de Saint Florent, évêque de Strasbourg.’ Dixit Specklin.
L’année suivante, Charles repasse le Rhin. Lors de sa visite à Metz, il promulgue la Bulle d’Or qui met enfin de l’ordre dans le processus incertain des élections des empereurs. Sur le chemin du retour, le 3 mai 1354, Charles visite le Couvent de Hohenburg, où repose Sainte Odile depuis plusieurs siècles. Hugo Peltre nous raconte cet épisode.
L’an 1354, Charles quatre Empereur, excité par le concours des peuples qui recouroient au tombeau de S.Odile, eut la dévotion d’y venir luy même, & comme il témoigna souhaiter passionnément de voir le cors de la S. Fondatrice, Jean de Lichtenberg, Evêque de Strasbourg y donna les mains, du consentement de l’Abbesse & de sa Communauté. L’ouverture du tombeau fut faite, en présence de l’Empereur, par l’Evêque de Strasbourg & par Jean Évêque d’Olmus qui l’avoit accompagné. On trouva le corps de S. ODILE entier. La veuë de ce saint dépôt redoublant la vénération & la piété de l’Empereur, il pria l’Abbesse & ses Dames le luy en accorder quelque Relique : elles n’y eurent pas plutôt consenti, que l’un des Prélats détacha la partie antérieure du bras droit, & la remit entre les mains du Prince ; qui le receut avec toute sorte de respect & de reconnoissance. Il fit incontinent refermer le tombeau en sa présence, par les mêmes personnes qui l’avoient ouvert, & comme le cercueil est composé d’une matière extrêmement tendre & délicate, en levant la couverture, elle se fendit au milieu & cet endroit du cercueil fut raccommodé avec du ciment : ce qui s’accorde parfaitement avec ce qu’Albert de Strasbourg en a laissé par escrit : disant , que l’Empereur Charles IV fit un peu ouvrir la tombe qui couvroit le corps de S. ODILE ; d’autant que ladite couverture s’étant rompuë en deux, elle ne fut pas entièrement ostée.
Nous n’avons malheureusement pas la version de l’abbesse. Les nombreux incendies et guerres qui ont ravagé le Mont n’ont pas épargné les archives du Couvent.
L’avant-bras de Sainte Odile, comme les autres reliques collectées par l’empereur, partira vers la Bohème pour enrichir le trésor de la cathédrale Saint-Vit. En effet, Charles construisait alors à Prague , dans l’enceinte du Château Royal, l’immense cathédrale de style gothique que nous pouvons admirer aujourd’hui. Le but de ses larcins était vraisemblablement d’attirer à Prague de nombreux pèlerins dans ces temps où les reliques étaient vénérées par une foule de catholiques.
La relique aurait été déposée dans la chapelle Saint-Venceslas, haut lieu de la cathédrale. Cette chapelle carrée est ornée de fresques étonnantes. Les murs et le tombeau de Saint Venceslas sont sertis de pierres précieuses. Cette chapelle est le seul accès à la salle du Trésor qui renferme la couronne et les joyaux de Bohême. Lors de notre visite de la cathédrale Saint-Vit, nous n’avons pas vu le reliquaire dédié à Sainte Odile, dans aucune des nombreuses chapelles de l’édifice. Le ‘Panneau de Trèves’, exposé avec le Trésor, pourrait être l’autel décrit par Specklin.
L’Abbesse prit soin de faire interdire par l’Empereur qu’on puisse attenter à nouveau au cercueil de Sainte Odile. L’Evêque Jean de Lichtenberg confirma cette interdiction sous peine d’excommunication. Pourtant, Sainte Odile connut encore des déboires avant de reposer en paix.
Si le couvent fut ruiné par la visite des troupes de Mansfeld lors de la Guerre de Trente Ans, il semble que le cercueil de la Sainte fut respecté. Lors de la Révolution Française, en 1793, les ossements sont retirés du sarcophage et emmenés secrètement à Ottrott pour les protéger des révolutionnaires. Ils y resteront, jusqu’en 1800, contenus dans une caisse en fer à la sacristie d'Ottrott-le-Haut. En 1841, les ossements sont placés dans une châsse en verre sur l'autel de Saint Jean. Après 1928, les reliques sont remises en place.
- B. Herzog, Edelsasser Chronik, Livre II, chapitre 60
- Specklin, les Collectanées, années 1353 & 1354, notules 1460 à 1472
- H. Peltre, Vie de Sainte Odile
- G. Poinsot et M. Bardout, Inventaire des Monuments Historiques, 1985
- Armoiries de Charles IV de Luxembourg
- Cercueil de Sainte Odile, photo d’archives des M.H., 1937
- Statue de Sainte Odile, place du marché, Obernai
- Cathédrale Saint-Vit, ou Saint-Guy, à Prague
- L’empereur Charles IV, pont sur la Vitava, à Prague