Le duc Adalric portait-il des tresses ?
Sur le Mont Sainte Odile, dans le couvent de la patronne de l’Alsace, vous trouverez nombreuses représentations du duc d’Alsace Adalric, le père de Sainte Odile, mort dans les années 690. Sur la plupart des tableaux et des fresques, le duc est représenté avec la chevelure habituelle des rois mérovingiens, coupe ronde, cheveux tombant sur les épaules. Seule la fresque de Spindler (~ 1920) représente le duc, sévère, accompagné de son épouse, la pieuse Bereswinde, avec des superbes tresses. Alors ? qu’en penser ?
En fait, l’observateur attentif trouvera sur le Mont une deuxième représentation des tresses d’ Adalric. Dans la galerie du cloître, une stèle romane représente le Duc avec cet attribut capillaire.
Intéressons nous à cette stèle. Ce bloc de grès parallélépipédique présente trois faces sculptées. Sans doute s’agissait-il d’un meneau de baie géminée bordant le cloître roman, la quatrième face n’était alors pas visible du cloître et n’a pas reçu de sculpture.
- La première face représente le duc, cheveux nattés, donnant un livre à sa fille Odile. Symbole du don du couvent de Hohenburg à Odile. Le duc est assis sur un trône, la main gauche étrangement placée derrière son dos.
- La deuxième face montre Saint Léger l’évêque d’Autun, qui était, selon certaines sources, le neveu du duc Adalric. Saint Léger porte un livre, vraisemblablement la Bible.
- La troisième sculpture représente les dévotions de Relinde et d’ Herrade de Landsberg à la Vierge. Sous le trône de la Vierge, les abbesses tiennent un troisième livre, qui pourrait être l’ Hortus Deliciarum d’Herrade, dédié symboliquement à Marie.
Les personnages sont authentifiés par leurs noms sculptés dans la stèle.
Les visages des sculptures ont été martelés lors de la Révolution en 1793. Fort heureusement, leur tracé avait été relevé à deux reprises. En 1734, Louis Laguille, dans le Livre VII de son Histoire de l’Alsace, nous propose la représentation des faces 1 et 2 de la stèle. En effet, à cette époque, la pierre était, de façon inexpliquée, scellée dans un mur et la face représentant les deux abbesses d’ Hohenburg aux pieds de la Vierge était dissimulée. Le tracé des vêtements et du trône sont suffisamment proches de la réalité pour que les visages le soient également.
La troisième face a été dégagée en 1747, lors de travaux effectués par les Prémontrés qui rebâtissaient le couvent dans sa forme actuelle. C’est ainsi que le relevé de Silbermann, effectué en 1781, nous montre l’ensemble de la stèle romane, avant les mutilations.
Le style des sculptures et leur rendu ont été souvent rapprochés des ‘Gémeaux’ de l’église de Rosheim. La représentation et les vêtements de Saint Léger, sa chasuble en pointe, sont proches de ceux de la dalle funéraire de Mittelbergheim. La forme des caractères des noms des personnages, la présence d’Herrade, l’utilisation du nom d’Etichon pour nommer le duc, tous ces éléments permettent de proposer la fin du XIIème siècle comme date de réalisation. La stèle a été sculptée lors de la reconstruction de Hohenburg sous Frédéric Barberousse.
Mais revenons à la chevelure d’Adalric et à ses nattes. Nous ne connaissons pas de sculptures de cette époque en Alsace présentant cette singularité.( appel aux lecteurs connaisseurs ). Par contre, à Paris, l’église Saint Germain des Prés présente une suite de mérovingiens, sculptée au XIIème siècle. D'un côté du portail, Saint Rémi, Clovis, Clotilde et Clodomir sont représentés avec la chevelure sur les épaules. De l'autre, le roi Clotaire porte des nattes, ainsi que la reine Ultragote, femme de Childéric, qui régnait au temps d’Adalric. Dans la basilique de Saint Denis, seule la statue de Dagobert présente cette particularité.
Alors, Adalric portait-il des nattes ? Difficile de trancher ! La stèle a été gravée sous les directives d’ Herrade de Landsberg près de 500 ans après la mort du duc… et puis, la même Herrade représente Adalric dans son manuscrit de l’ Hortus Deliciarum avec une coupe de cheveux fort différente ! Nous ne pourrons conclure.
Terminons, dans le doute, par une dernière image ancienne de la chevelure du duc d’Alsace, tirée, celle-ci de la tapisserie de Sainte Odile (Musée de l’Œuvre Notre Dame à Strasbourg). Adalric porte les cheveux sur les épaules. La tapisserie a été tissée en 1470 environ, on a représenté le duc mérovingien, selon la mode de l'époque, plus proche de la Renaissance.
Dernière remarque : Odile est également représentée avec des tresses descendant jusqu’à ses genoux. Etonnant pour une nonne ? Et bien non. En effet, ce n’est en 743, au Concile de Leptines, réuni par Carloman, que fut décidé que les religieuses se devaient d’être rasées. Odile était morte depuis vingt ans. Cette image de la Sainte est vraisemblablement la plus réaliste que nous possédions.
La Vierge, elle-même, porte de longues nattes. Figuration inhabituelle de Marie, mais là, faute d’éléments, nous ne nous prononcerons pas.
- La stèle romane du Mont Sainte Odile
- La gravure de Louis Laguille 1734
- Le relevé de Silbermann 1781
- Adalric dans l'Hortus, fresque de Robert Gall
- Adalric dans la Tapisserie de Sainte Odile
- La fresque de Spindler : Adalric et Bereswinde