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Autour du Mont-Sainte-Odile, le Mur Païen

Le Sire de Coucy en Alsace

22 Juin 2013 , Rédigé par PiP, vélodidacte Publié dans #personnage

Enguerrand VII de Coucy est le dernier d’une longue lignée de seigneurs de l’Aisne. Grands serviteurs des rois de France, les Coucy sont réputés pour l’énorme forteresse qu’ils ont bâtie et pour leur fière devise.


Je ne suis roy, ne prince, ne comte aussy
Je suis le sire de Coucy !


En 1375, Enguerrand viendra guerroyer en Alsace. Dans quel but ? Et quels furent les résultats de cette chevauchée ?

Enguerrand VII de Coucy


Son père, Enguerrand VI, était marié à Catherine d’Autriche, il meurt en 1347 à la bataille de Crécy, alors qu’Enguerrand est encore un enfant. Le petit Enguerrand grandit à Coucy, entouré des meilleurs précepteurs et formé à l’art de la guerre. Tout jeune homme, il participe à la bataille de Poitiers qui fut un nouveau désastre pour les armes françaises. Pour obtenir la libération du roi Jean, Enguerrand se porte caution et doit s’exiler à Londres. Sa captivité ne dut pas être trop difficile, puisqu’il vécut à la cour du roi Edouard III d’Angleterre et que celui-ci lui accorda la main de sa fille Isabelle. Riche seigneur, possessionné des deux côtés de la Manche, le sieur de Coucy est un personnage important de son temps.
Se tenant volontairement à l’écart des conflits franco-anglais, il guerroie aux côtés du pape Urbain V en Italie et en Savoie, où il se couvre de gloire.

Pourquoi l’Alsace ?

A son retour de Savoie, Enguerrand ne se contente plus de ses vastes domaines français et anglais. Il lorgne sur l’Autriche. Sa mère était princesse autrichienne et avait été écartée de la succession d’Autriche au profit de ses frères puînés. Enguerrand entend prendre possession de son héritage. L’Autriche est son but, et l’Alsace a le tort de se trouver sur son chemin.
Comme Arnault de Cervole, dix années auparavant, Enguerrand fera appel aux Grandes Compagnies et c’est une armée de soudards qui va déferler à nouveau sur l’Alsace. Le roi Charles VI est ravi d’éloigner de France ces mercenaires incontrôlables qui dévastent le pays.
Comme en 1365, lors de la première campagne des Compagnies, l’ Empereur Charles IV se désintéresse complètement de la question. Charles réside à Prague et les demandes des Villes Alsaciennes restent sans réponse. Coucy en veut à l’Autriche, c’est au duc Léopold de se charger de la question ! Charles ne bougera pas.

Le Sire de Coucy en Alsace

L’armée levée par Enguerrand est considérable. De 60.000 à 100.000 hommes selon les chroniqueurs de l’époque. Les Compagnies, certes, mais aussi une part importante de la noblesse, le comte de Meaux, Pierre de Bar, le Baron de Péronne... Comme leurs prédécesseurs, les ‘Engenlender’, les Anglais ainsi que les nomme notre chroniqueur le bon Koenigshoven, passeront par le Col de Saverne pour atteindre Strasbourg.
L’empereur Charles absent, le duc Léopold d’Autriche retranché derrière les murs de Breisach, les Villes Alsaciennes sont sans ressources devant une telle armée. Le souvenir du passage de Cervole est bien présent : les paysans, les villageois se réfugient au plus vite derrière les remparts des Villes, emmenant tout ce qu’ils peuvent et délaissant leurs villages. Les portes sont fermées et les Alsaciens attendent. Les Compagnies ne devraient que passer.
Las ! Pillages, viols, meurtres, incendies… la campagne alsacienne connaît le retour des Grandes Compagnies.
Koenigshoven raconte le siège et la prise de Wangen. La tentative d’emporter Brumath de part la trahison de deux paysans qui seront suppliciés sur la roue. Les intimidations sans succès devant les murs de Strasbourg. Altorf, Erstein, Marlenheim, Mundolsheim, Schaeffolsheim et Hausbergen sont citées par Koenigshoven. Le chroniqueur alsacien donne des détails. Près du Mont-Sainte-Odile, Truttenhausen, sans défense, subit les exactions des ‘Anglais’.
J. Gyss affirme, lui, que les couvents d’Hohenburg et de Niedermunster ont été dévastés, mais curieusement Koenigshoven n’en parle pas. Pas plus que Specklin, d’ailleurs. ( Que conclure ? Si un lecteur peut nous éclairer…d’avance, merci !)

Cette première vague ne dure que quelques semaines. Enguerrand, avec sa cavalerie, rejoint alors ses troupes qui l’avaient devancé et les entraîne au delà du Rhin, vers son but réel, l’Autriche. (Selon Gyss, qui ne cite pas ses sources, les Villes et l’Evêque ont fini par céder et ont payé un tribu pour le départ des Compagnies. Specklin confirme et parle de 3000 florins).

Dans ses chroniques, Koenigshoven orthographie Coucy : 'Kussu’. Outre les exactions cruelles, l’ harnachement des ‘Engenlender’ semble l’avoir surpris, comme en témoigne ce court extrait des Chroniques.

 

On les aurait pris pour les bandits ou des meurtriers, et c’est ce qu’ils étaient ! Ils assassinaient tous les gens qui étaient pris et qui n’avaient rien à leur donner. Parfois, ils laissaient partir des gens, puis ensuite, ils les rattrapaient et les étranglaient. Leurs vêtements étaient longs et précieux. Leurs chapeaux ronds portaient comme un bouton et ils avaient de grandes capuches à pointe qui étaient bien larges. Leur vaisselle et leurs gobelets étaient en argent. Mais les pauvres, eux, ils allaient pieds nus et mal vêtus . Et quand ils attrapaient de jeunes garçons, ils les gardaient auprès d’eux pour les servir.
Traduction PiP

Chroniques de Koenigshoven

La fin de la campagne du Sire de Coucy.

Enguerrand ne s’intéresse pas aux villages alsaciens, il passe donc rapidement le Rhin pour attaquer les Autrichiens. Le Duc Léopold ne tient pas à se mesurer à une telle armée, il choisit, au début de l’hiver, la tactique de la terre brûlée. Les villages du Pays de Bade sont vidés de leurs réserves, le bétail est mis à l’abri, le fourrage est brûlé sur place. Les troupes d’Enguerrand avanceront jusqu’au Danube sont rencontrer la moindre résistance, mais sans pouvoir se ravitailler. La campagne d’ Enguerrand de Coucy tourne au désastre. L’ordre de repli est donné, mais les Villes Suisses, alliées de Bâle, entrent dans le conflit, et les français essuient revers sur revers. Ils sont assiégés dans un couvent, Frauenbrunn, qui est incendié par les Suisses. C’est la fin, Enguerrand a subi d’énormes pertes et doit se replier en Lorraine. Il rentre avec les débris de son armée et la confusion de son échec.

C’est sans doute en pensant à cette chevauchée infructueuse qu’ Enguerrand de Coucy fondera quelques années plus tard l’Ordre de la Couronne, un ordre de chevalerie dont le symbole sera une couronne renversée. Image réaliste de son rêve autrichien.

Malgré cette campagne calamiteuse, le Sire de Coucy reste un homme de guerre reconnu à la cour de France. A la mort de Du Guesclin, le roi de France lui propose le poste de connétable. Enguerrand décline l’offre au profit d’ Olivier de Clisson. Sans doute, son attachement à l’Angleterre…
Quelques années plus tard, auprès de Jean sans Peur, c’est Enguerrand qui conduira la dernière croisade contre les Turcs. L’armée croisée est défaite par Bayezid lors de la bataille de Nicopolis. Enguerrand fait partie des nombreux prisonniers. Il meurt de ses blessures lors de sa captivité, avant que le montant de l’énorme rançon demandée par le Sultan ait été réunie. C’était le dernier Sire de Coucy.

L’équipée d’ Enguerrand, vue de France

Contemporain d’Enguerrand, Jean Froissart est le chroniqueur attitré de la cour de France. Dans les chapitres 386 et 388 de ses chroniques, Jean nous rapporte l’expédition du Sire de Coucy. Cette lecture est fort instructive, bien différente des textes alsaciens, autrichiens ou suisses. Voici les points qui nous ont marqués.

  • Tout d’abord, Froissart confirme que le but du Roi était bien d’éloigner les Compagnies. La succession d’Autriche n’est qu’un prétexte.
  • La méconnaissance de l’Empire est patente. L’Alsace, appelée Aussay, et l’ Autriche sont des contrées lointaines, mal connues, un rien exotiques. Froissart connaît les buts visés, mais ne sait rien des réalités et des faits de terrain. Aucune ville alsacienne n’est citée dans ses pages. Alors que les considérations politiques et le récit des préparatifs et négociations sont fort complets, le passage en Alsace tient en une phrase :

Toutes fois au passer et à l’entrer en Aussay ils furent assez courtois .

Les habitants de Wangen apprécieront !

  • La déroute de Coucy est expliquée d’une façon étonnante. Les capitaines des Compagnies l’auraient trahi, déçus de la pauvreté des pays traversés. Citons ces capitaines, propos rapportés par Froissart.

'Et comment ! disent-ils, est telle chose la duché de Osteriche ? Le Sire de Coucy nous avoit donné à entendre que c’étoit l’un des gras pays du monde et nous le trouvons le plus povre : il nous a déçu laidement. Si nous étions de là cette rivière du Rhin, jamais nous le pourrions repasser que nous fussions tous morts et pris, et en la volonté des Allemands, qui sont gens sans pitié. Retournons, retournons en France, se sont mieux nos marches ; mal-de-hait ait qui ira plus avant !’

  • La fin de la chronique n’est guère glorieuse pour le Seigneur de Coucy… Enguerrand craint d’être livré au duc d’Autriche par les Capitaines, il quitte l’armée en grand secret. De nuit, déguisé, avec seulement deux compagnons, il part sans même prévenir les chefs de l’armée. Le Sire de Coucy ne devait vraiment plus se sentir en sécurité au milieu des routiers. Ceci ressemble fort à une fuite éperdue, voire à une désertion…. Coucy chevauche jusqu’en France. Arrivé à la Cour, Enguerrand raconte sa version des faits… un pays trop pauvre pour lui, la trahison des capitaines, les dangers pour sa personne….

Le chroniqueur rapporte fidèlement le récit d’Enguerrand. Il ne semble pas connaître la défaite infligée par les Suisses et les Autrichiens aux Français au couvent de Frauenbrunn.

Ou alors, en bon courtisan, le Sire Froissart préfère pêcher par omission.

 

Sources
  • Koenigshoven, Chroniques, ~1390
  • J. Froissart, Chroniques du Sire Jean Froissart, ~ 1380
  • Specklin, Les Collectanées, notules 1621-1628, ~1590
  • Toussaint du Plessis, Histoire de la ville et des seigneurs de Coucy, 1728
  • J. Ulauss, les sires de Coucy 1862
  • J. Gyss, Histoire de la Ville d’Obernai, 1866
Illustrations
  • Le château de Coucy, lithographie ancienne tirée du recueil de J. Ulauss
  • Les armes d’Enguerrand VII de Coucy
  • Enluminure tirée de ‘Li roumans dou chastelain de Couci et de lai dame dou Fael’, 1228
  • Enluminure tirée des Chroniques de Froissart, pillage d’une abbaye, ~1395
  • Sceau d’Enguerrand de Coucy

 

Sac d"une abbaye, chroniques de Froissart, 1395

Sac d"une abbaye, chroniques de Froissart, 1395

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