Les remparts d'Obernai
Une chartre datée de 1240 porte, pour la première fois, le sceau de la Ville d’Obernai avec ces mots : ‘ Sigillum civitatis Ehenheim’. Ce document est cosigné par le prévôt d’Obernai Rudiger, le notaire Otto et le prêtre Rudolfo. Jusqu’alors Obernai était une villa impériale, où les empereurs résidaient à leur passage dans le Burg d’Obernai. En 1240, Obernai devient une ville. A cette époque d’essor et de velléité d’indépendance des cités, la grande différence entre un village et une ville, ce sont les remparts qui protègent cette dernière.
Frédéric II d’Hohenstaufen est un empereur plus italien qu’allemand. Il passe l’essentiel de son règne loin de l’Alsace. Ses démêlés avec les papes sont nombreux et Frédéric est excommunié et déposé par Innocent IV en 1245. C’est le début de l’ Interrègne qui ne prendra fin qu’à l’avènement d’une nouvelle dynastie : les Habsbourg. Dès 1246, l’évêque Henri de Stahleck s’attaque aux cités impériales. Lors d’une de ses campagnes, il détruit le Burg d’Obernai, qui est ‘livré aux flammes’ selon Koenigshoven, et ‘détruit’ selon Specklin. La Ville d’Obernai se trouvait alors sans défense. Il est probable que dés cette date la Ville ait commencé à se fortifier.
En 1260, le nouvel évêque, Walther de Géroldseck, s’intéresse à Obernai. Il permet à ses proches de construire deux châteaux forts à proximité : le Birkenfels aux Beger et le Kagenfels aux Kagen. Cet intérêt de l’évêque sera dramatique pour la Ville. En 1262, les troupes de l’évêque se font proprement étriller à la bataille d’ Hausbergen par les bourgeois de Strasbourg. Par la suite, les Strasbourgeois se vengeront des alliés de l’évêque et Obernai fera partie des victimes. Voici la relation des faits qu’en fit Koenigshoven, une centaine d’années plus tard.
Les bourgeois laissèrent faire jusqu’à ce que la récolte fut rentrée, alors ils sortirent de la ville ( Strasbourg) et attaquèrent Obernai, qui n’était alors pas entourée de murs comme elle l’est aujourd’hui, et ils y mirent le feu entièrement. Ensuite ils marchèrent sur Ingmarsheim, Bischoffsheim et Dorlisheim, et beaucoup d’autres villages aussi, qui appartenaient à l’évêque et ils les détruisirent tous. Quand ils arrivèrent à Molsheim, ceux-ci leur donnèrent une somme d’argent pour ne pas être incendiés. Alors ils hésitèrent, puis ils brûlèrent Dachstein, Ernolsheim, Kolbsheim, Büttenheim, Sulz, Wolfisheim, Holzheim et bien d’autres villages.. Ensuite, ils traversèrent le Rhin, et assiégèrent Willstätt, qui était alors entourée de fossés et de talus. Il s’en suivit de gros dommages pour les assaillants. Mais ils prirent la ville et la détruisirent. Alors ils sont rentrés chez eux avec joie.
Ce texte a été repris par Specklin, dans ses Collectanées, avec de légères modifications qui en ont altéré le sens. Entre autres, les mots ‘ comme elle l’est aujourd’hui’ ont été supprimés ce qui peut donner à penser qu’ Obernai ne disposait d’aucunes fortifications en 1262 ! Ceci est bien peu probable pour une ‘ville’. Koenigshoven dit que la ville n’était pas cernée de murs comme elle l’est aujourd’hui… mais elle devait déjà disposer de défenses moins importantes : fossés, talus, palissades pour le moins.
Quoiqu’il en soit, après ce désastre de 1262, de nouvelles fortifications sont érigées. Dés 1298, la deuxième enceinte est construite. Pour payer ces dépenses importantes, le bois Urlosenholz est vendu à la prévôté de Truttenhausen. Les deux faubourgs sont également protégés de murs dans les années qui suivent. Obernai dispose dès lors d’un système de défense impressionnant, sans commune mesure avec les villes voisines.
La Ville est entourée de deux lignes de remparts et les fossés sont alimentés par les eaux de l’Ehn. La rivière passe alors au centre de la ville. Les deux faubourgs sont ceints d’une seule muraille et d’un fossé sec.
Les entrées de la ville sont au nombre de quatre : quatre doubles portes surmontées de tours, disposant de herses et de ponts-levis. Le faubourg ouest s’appelait alors ‘la Merzgasse’, il était doté d’une porte fortifiée sur le chemin d’Ottrott et d’une poterne à hauteur du canal des moulins. Le faubourg nord, le Selhof, encerclait le cimetière et l’église romane qui dépendait directement du Couvent de Hohenburg et n’était pas dans la Ville. Deux portes s’ouvraient vers Boersch et vers Bischoffsheim.
Les deux remparts de la Ville ont été renforcés au fil du temps par de nombreuses tours. On en compte jusqu’à une bonne quarantaine sur les plans anciens. L’Ehn entrait et sortait de la cité sous deux arches fortifiées, munies de herses, qu’on appelait ‘Swal’. Des tours de garde étaient organisés en haut du Kappelturm et des clochers des églises d’Ingmarsheim, au nord, et de Finhey, au sud, deux villages proches d’Obernai et aujourd’hui disparus.
Ce système de défense avait fière allure et fut longtemps suffisamment dissuasif pour éviter à la Ville les attaques nombreuses dont furent victimes ses voisines. Jugeons-en !
En 1439, le duc de Lorraine à la tête des écorcheurs de Charles VII ravage l’Alsace. Son équipée le mène devant Saverne, Molsheim, Rosheim, Obernai, Barr et Andlau. Mais le Duc ne s’en prend qu’aux villages, les fortifications des Villes joue leur rôle de protection.
En 1444, c’est le futur Louis XI ravage le pays. La situation est plus grave. Barr est prise et son château est détruit, Rosheim doit se rendre, puis Bischoffsheim et Niedernai. Les Français s’installent dans les villes conquises. Quatre mille cavaliers à Rosheim, trois mille à Niedernai, nous rapporte Gyss. Ils resteront six mois à proximité d’Obernai sans oser vraiment attaquer la Ville. Les remparts ont encore été bien utiles !
Cette fois, c’est au tour de Charles le Téméraire d’essayer de conquérir l’Alsace. Obernai se sent menacée, les remparts sont renforcés, une nouvelle tour est construite au niveau du Swal supérieur. La Ville achète trente quatre nouvelles arquebuse à croc, reparties sur les remparts. Mais Obernai ne sera pas attaqué.
Ce furent d’abord les congrégations religieuses qui furent la cible de la révolte du Bundschuh. Près d’Obernai, la Collégiale Saint Léonard, puis la prévôté de Truttenhausen sont occupées par les révoltés. Le prieuré de Feldkirch à Niedernai connaît bientôt le même sort. Les religieux se sont mis à l’abri des murs d’Obernai avec leurs richesses dans les cours seigneuriales de Hohenburg et de Niedermunster. La troupe de Truttenhausen cerne la Ville. Dans le quartier populaire de la Merzgasse, les bourgeois d’Obernai ont déployé la milice municipale de crainte d’une collusion avec les insurgés. Dirigés par Lucien Ziegler, les paysans exigent qu’on livre les religieux et les richesses ‘accaparées’ au peuple. Le siège est mis devant la Ville, le 14 mai 1525. La Troupe de Truttenhausen est renforcée par ceux d’Altorf, l’ensemble représente plus de dix mille hommes. Le 19 mai, un assaut est repoussé à la Porte de l’Eglise. Et le 20 mai, l’armée du Duc de Lorraine arrive de Saverne et met en fuite les insurgés qui seront massacrés quelques heures plus tard à Scherwiller. Une nouvelle fois, les remparts d’Obernai ont assumé leur rôle, la Ville est sauve !
Un siècle plus tard, ce ne sont plus des Paysans révoltés mais une armée véritable qui vient assiéger Obernai.
L’électeur palatin et l’empereur se disputent l’Alsace. Ernest de Mansfeld est à la tête quelques quarante mille hommes des troupes palatines, il installe en 1622 son quartier général à Niedernai et assiège Obernai.
La Ville s’était préparée au siège. Les comptes font apparaître, l’année précédente, l’achat de plusieurs centaines d’arquebuses à croc, de vingt pièces d’artillerie. Le double fossé a été mis en eau, les herses des swals renforcées. La réserve de poudre de la Zollturm près de l’Obertor est pleine. Le général impérial a doté la ville d’une garnison qui quitte la ville des l’approche de Mansfeld. Les bourgeois d’Obernai sont seuls face à l’armée de Mansfeld. La canonnade durera quatre jours, du 4 au 7 juillet 1622. Ce jour, deux brèches sont ouvertes dans les murs à hauteur du Griesstor et du Niedertor. La Ville doit capituler. Mansfeld impose une amende de 10.000 reichsthaler à Obernai, et se retire dés le 10 juillet avec assez d’or, d’argent, de vin et de vivres pour payer et nourrir toute son armée. Ce qui ne l’empêchera pas de piller les villes voisines Rosheim et Boersch.
Dix ans plus tard, les Suédois ont pris la relève de Mansfeld et viennent assiéger la Ville. Les troupes impériales ont à nouveau pris la fuite et la Ville doit capituler le 6 septembre 1632. Il s’en suit une longue occupation. En novembre 1635, les Impériaux entrent dans la Ville par surprise de nuit. Un complice aurait laissé la herse du ‘swal’ supérieur levée. Mais le succès est de courte durée, les Suédois entame un nouveau siège en juin 1635. Après douze jours de canonnades, la Ville tient toujours. L’assaut du 30 juin est repoussé. Début juillet, les Suédois ont accédé par des tranchées au pied des remparts et ont miné le Griesstor qui s’effondre. C’est la reddition d’Obernai. La ville n’est plus que ruines, le faubourg est totalement dévasté.
L’artillerie prend une place prépondérante dans les guerres et les remparts du moyen âge n’ont plus l’efficacité des siècles passés. Ce sera le dernier siège de la Ville.
Le tour des remparts est une des classiques d’ Obernai. La promenade se fait sur le mur extérieur, elle est ombragée par des tilleuls et des marronniers sur une bonne partie des 1500 mètres.
La partie la plus pittoresque correspond pour l’essentiel au mur intérieur oriental. Le ‘swal’ où passait l’Ehn a été transformé en une petite porte qui donne accès au centre ville.
A proximité de l’église, la tour en fer à cheval présente une restauration réussie.
Pour terminer, il est possible de longer le rempart sud du faubourg sur un petit sentier qui longe le mur.
Les portes fortifiées ont malheureusement été démolies dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle. Les nostalgiques pousseront, en vélo, jusqu’à Boersch ( piste cyclable agréable, loin de tout trafic ). La petite cité a gardé trois de ses portes du moyen âge.
- Koenigshoven 1386 ,chapitre IV
- Specklin, 1550, Notule 995
- Schoepflin, 1751, Alsatia illustrata, tome V para 742
- J.Gyss, 1866, Histoire de la Ville d’Obernai.
- J. Braun, 1970, Les fortifications d'Obernai. ( article détaillé , fort intéressant )
- Les remparts, côté Est
- Meurtrière du rempart Sud
- Schéma des remparts – PiP, d’après un dessin de Monsieur Sauter.
- Tour en fer à cheval, rempart Nord
- Tour du Swal Inférieur
- Tour Creuse, rempart Est
- Bouche à feu
- La chanson du guet, sur les remparts d’Obernai.
- Niedertor, aquarelle de J.U.Guérin, 1800
Texte d’une plaque qui ornait le rempart intérieur à hauteur de la Kirchtor
‘Omnia si perdas, verbum coesleste reserva ;
Quo semel amisso ; cuncia perisse puta.MCCCCCXXIX
Geht auch alles hin, wenn sich nur Himmels Wort erhaelt ;
Loescht auch dieses aus, denck dasz mit ihm alles faellt.1529’
Tout passe, seule la parole céleste reste.
Si celle-ci s’éteignait aussi, pense à tout ce qui tomberait avec elle.1529