Les Strasbourgeois incendient l’église de Bischoffsheim
Toutes les notes de Daniel Specklin sonnent comme de petites énigmes. Que dire de celle-ci ?
Le premier mardi suivant, ils se dirigèrent vers ceux de Lichtenberg, ils brûlèrent Links et plus de sept villages alentour, puis ils vinrent à Bischoffsheim devant la tour de l’église. De nombreux paysans occupaient l’église et le clocher. Ils se moquaient et riaient de ceux de Strasbourg avec des mots honteux, et ils leurs tirèrent dessus et tuèrent un des écuyers.
On leur dit qu’ils devaient descendre et quitter l’église ou alors on y mettrait le feu. Ils prenaient çà pour des blagues et pensaient qu’il n’était pas possible de prendre le clocher. Alors, ceux de Strasbourg mirent le feu à l’église et l’incendie gagna le clocher. Ils prirent tous les biens qui se trouvaient dans l’église. Et le clocher commença à brûler avec force, parce qu’il y avait beaucoup de graisse et de viande à l’intérieur. Alors le feu devint si grand que beaucoup se jetèrent de la tour et en moururent. Une part d’entre eux fut reçue sur les piques des soldats. Plus de soixante paysans brûlèrent dans le clocher !
Le texte de Specklin porte sur l’année 1430. C’est le temps des luttes incessantes et sans réel vainqueur entre la Ville de Strasbourg et l’évêque Guillaume de Diest. Guillaume a été nommé en 1393, mais ne fut sacré que 27 ans plus tard. C’est dire s’il était controversé. Pas même prêtre, extrêmement dépensier, Guillaume de Diest fut, un temps, retenu prisonnier à Dachstein par ses ouailles ! Puis l’évêque fut traduit devant un tribunal, à Constance. Homme de guerre, plus que prélat, Guillaume ne fut jamais accepté par la Ville de Strasbourg.
Nous avons déjà croisé le belliqueux Guillaume de Diest dans notre article sur les Remparts de Boersch.
Le texte de Specklin mentionne le nom de Lichtenberg. Vieille famille alsacienne, héritiers des sires de Hunebourg, les Lichtenberg tirent leur nom du château fort qu’ils possèdent au dessus d’Ingwiller. Ils ont donné trois évêques à la Ville de Strasbourg : Conrad (élu en 1273), puis son frère Frédéric (1299) et enfin Jean de Lichtenberg (1353). La famille, fort riche, possède des terres et seigneuries sur les deux rives du Rhin.
En 1430, le représentant de la famille de Lichtenberg est Louis, frère de l’évêque Jean. Il est le chef de guerre de Guillaume de Diest. En 1428, Louis tente d’emporter Strasbourg par la force et n’est repoussé qu’après avoir pris les ponts sur le Rhin. La lecture de la notule Specklin ne nous surprend donc pas, le contentieux est sérieux entre Louis de Lichtenberg et la Ville. Mais pourquoi Bischoffsheim ?
L’anecdote rapportée par Specklin surprend. Pourquoi diantre les paysans de notre Bischoffsheim se seraient-ils réfugiés dans la tour de l’église ? Ils disposent d’un château fort, l’Oberschloss, alors nommé Wafflerturm ! Ce burg est mentionné dans les textes dès 1328 et sera quelques années plus tard, en 1444, pris par les Ecorcheurs de Louis XI. Pourquoi donc monter dans le clocher de l’église romane, alors que la forteresse est à deux pas ? L’église Sainte-Aurélie vient alors de recevoir sa nouvelle cloche, dédiée aux évangélistes ( datée de 1425).
De plus, les Lichtenberg sont possessionnés près de Bouxwiller et outre Rhin dans le Lichtenau. Alors pourquoi cette rencontre à Bischoffsheim ?
La solution de cette énigme se trouve dans les Chroniques d’Herzog. Les Strasbourgeois, après l’attaque de leur ville en 1428, ont entrepris une campagne de représailles contre les Lichtenberg. Ils ont d’abord traversé le Rhin pour défendre Oberkirch, assiégée par l’évêque depuis 28 semaines ! 10.000 hommes et 900 cavaliers, nous dit Herzog. Le siège est prestement levé et c’est sur le chemin du retour que les Strasbourgeois attaquent les villes et villages des Lichtenberg en Pays de Bade. Bischoffsheim est un village homonyme de celui auquel nous pensions, situé à quelques kilomètres au nord d’Obernai. Ce sont les paysans du village badois qui sont les victimes de cet incendie volontaire raconté par Specklin.
Aujourd’hui, le Bischoffsheim badois se nomme Rheinbischofsheim. Il est situé quelques kilomètres au nord de Kehl, proche du Rhin. Au moyen âge, les paysans badois stockaient donc la viande et le lard dans le clocher de leur église, selon Specklin !
Louis de Lichtenberg sera très éprouvé par la ruine de ses possessions badoises et marqué par l’horreur de l’épisode de Bischoffsheim. Louis abandonne alors son rôle guerrier. Il devient un artisan actif de la paix enfin conclue entre la Ville et son évêque.
Il meurt quelques mois plus tard à Bouxwiller où il s’était retiré.
Signe de la paix retrouvée, son fils Jacques devient prévôt de la ville de Strasbourg. Jacques est surtout connu pour ses amours extraconjugales avec la belle Barbe d'Ottenheim. Les bustes des amants ornaient la Chancellerie de Strasbourg, dit-on. On peut les admirer au Musée de l’ Œuvre Notre Dame à Strasbourg. A ne pas manquer !
Commençons, bien sûr, par suivre les traces des Strasbourgeois Outre-Rhin et par visiter les ruines du Schauenburg au dessus d’Oberkirch. Le lieu est plaisant et doté d’une auberge bien sympathique.
Plus près d’Obernai, on peut rejoindre le Bischoffsheim alsacien par une excellente piste cyclable, dans les vignes. Le village est agréable. A l’arrivée de la piste, les fondations de l’Oberschloss sont facilement discernables. Dans le village, fontaines fleuries, église Sainte Aurélie, et tout en haut, un magnifique point de vue sur Rosheim et sa magnifique église romane. On appuiera sur les pédales, c’est unique !
A Bischoffsheim, le Couvent du Bischenberg présente une belle piéta du quinzième siècle.
- D. Specklin, les Collectanées,1580
- B. Herzog, Chroniques, 1592
- F.E. Sitzmann, Dictionnaire des hommes célèbres d’Alsace, 1910
- J. Schahl, Streiflichter in die Geschichte von Bischoffsheim, 1924
- Blason de Guillaume de Diest, proposé par B. Herzog
- Blason des Lichtenberg
- Schéma des lieux concernés, PiP
- Jacques le Barbu, moulage du buste original, tête conservée au Musée de l’œuvre Notre Dame, Strasbourg
- Oberschloss à Bischoffsheim, reconstitution selon J. Schahl