Niedermunster, l’abbaye ruinée
Au pied du Mont-Sainte-Odile, juste en dessous des terrasses tant visitées du couvent, perdues et oubliées dans un vallon aux herbes folles, les ruines de l’abbaye de Niedermunster. Le site est attachant, son isolement appelle aux flâneries et aux rêves. Les ruines abandonnées sont celles de l’abbatiale construite sous le règne de Frédéric Barberousse dés 1153 par les abbesses Relinde et Edelinde de Landsberg.
L’ampleur de l’œuvre accomplie par Edelinde est aujourd’hui fort méconnue. Les quelques ruines qui subsistent de Niedermunster ne sont pas mises en valeur comme elles le mériteraient. Le promeneur peut difficilement imaginer ce que fut l’abbaye au temps de sa splendeur.
Revenons quelques instants sur les églises qui ont précédé sur le site l’abbatiale d’Edelinde au XIIème siècle. Selon la ‘Vita Sanctae Odiliae’, l’abbaye de Niedermunster a été fondée par Sainte Odile, abbesse de Hohenburg, au début du VIIIème siècle. La fille d’Adalric, émue par les difficultés des pèlerins âgés ou malades, aurait voulu leur éviter l’ascension du Mont et fondé un deuxième monastère situé au pied de la montagne.
Niedermunster, dès sa création, était doté d’un hôpital. La première église, Niedermunster I, était dédiée à Saint Martin. La date de 707 a été avancée pour la construction de ce premier sanctuaire.
Par la suite, l’histoire de l’abbaye de Niedermunster est liée à l’arrivée de la Croix Reliquaire. Selon la légende, la Croix de Niedermunster a été offerte à l’abbaye par le comte Hugues le Peureux au IXème siècle. Ce reliquaire de grande dimension (deux mètres soixante seize de long ) aurait renfermé, entre autres reliques, une parcelle de la Vraie Croix offerte par Fortunat, patriarche de Jérusalem, à Charlemagne. La Croix de Niedermunster aurait voyagé à dos de dromadaire jusqu’en Alsace. A cette période, une campagne de reconstruction importante fut entreprise sur le site.
Cette deuxième église, Niedermunster II, attestée par les fouilles, est mal connue. Elle fut vraisemblablement détruite, tardivement, comme sa voisine d’Hohenburg, par les troupes de Frédéric le Borgne en 1114, lors de sa campagne contre l’archevêque de Mayence et ses alliés alsaciens.
Les ruines actuellement visibles sur le site sont celles de l’église Niedermunster III construite par Edelinde et consacrée en 1180 par le légat du Pape, l’évêque de Mantoue. Niedermunster III est dédiée à la Vierge. Le chantier entrepris vers 1160 est des plus conséquents. L’abbatiale Niedermunster III mesurait 63 mètres de long, la largeur à hauteur du porche atteignait 24 mètres. Le cloître roman, adossé à l’église, comportait des galeries de 24 mètres de long. L’ensemble de l’abbaye, très homogène, a été construit en une seule campagne, semble-t-il. Les bâtiments étaient en pierres de taille, et l’exécution en fut très soignée. L’église actuelle du Mont Sainte Odile ne mesure qu’une trentaine de mètres environ. Niedermunster III, c’était plus de deux fois plus grand qu’Hohenbourg !
L’abbatiale comportait trois nefs qui reposaient alternativement sur des piliers et des colonnes. On retrouve la même alternance dans l’église Saints Pierre et Paul de Rosheim. Les sculptures retrouvées à Niedermunster ont été également rapprochées de celles de Rosheim. Les deux édifices sont contemporains.
La vaste crypte, rarement égalée dans ses dimensions, était accessible par deux escaliers situés dans les croisillons du transept. Elle se composait de cinq nefs de six travées, qui s’étendaient jusque sous le chœur de l’église. Le circuit ainsi créé permettait de guider le flot des pèlerins à l’intérieur de l’édifice.
Le porche était encadré de deux tours de base carrée comportant deux escaliers hélicoïdaux inversés. Au centre du porche, une vaste tribune dominait la nef de l’église. Cette disposition permettait également la circulation des pèlerins.
Aujourd’hui, le visiteur attentif peut retrouver sur le site de Niedermunster chacun des éléments qui viennent d’être cités. (Ouverture du site au public lors des journées du patrimoine). Mais, l’abbaye était au moyen âge beaucoup plus importante que le peu d’éléments dégagés à ce jour ne le laisse supposer. Cloître rectangulaire, salle capitulaire, logis de l’abbesse, bâtiments conventuels ne sont pas visibles aujourd’hui. La campagne de fouilles entreprise en 1903 a cependant montré l’importance de Niedermunster et révélé l’ensemble du site. Pour plus de clarté, nous vous proposons une copie d’un plan datant de cette époque, ainsi qu’une vue de dessus et une coupe de l’abbatiale reconstituées par des spécialistes, qui permettent de juger de l’ensemble.
Les plus curieux d’entre vous iront au Musée de l’Œuvre Notre Dame à Strasbourg pour admirer une représentation ancienne de Niedermunster. Il s’agit d’une tapisserie datant de 1470 environ, dite ‘Tapisserie de Sainte Odile’. On y voit l’ensemble de l’église Niedermunster III avec les deux tours de chaque côté du porche et le clocher octogonal au-dessus du transept. Le tout est cerné de petits lapins. (Une copie est exposée dans la galerie du cloître de Sainte Odile.)
Malheureusement, les pillages et les incendies se sont succédés à Niedermunster.
Le XVIème siècle verra la fin de l’abbaye :
- 1525 : l’abbaye est dévastée par les Rustauds lors de la Guerre des Paysans.
- 1542 : incendie des bâtiments conventuels
- 1545 : les moniales quittent Niedermunster
- 1572 : incendie de l’église abbatiale
Ensuite, le site a été utilisé comme carrière de pierres dès la renaissance. Les remparts d’Erstein et le clocher de Benfeld doivent beaucoup à Niedermunster. Au XXème siècle même, de nombreux éléments décoratifs ont été déplacés ou réutilisés sans le moindre scrupule. La monumentale vasque de pierre circulaire où coulait une source au centre de la nef de Niedermunster III a été, par exemple, déplacée au Mont Sainte Odile, où elle servait de fontaine. Aujourd’hui elle est ornée de fleurs, au centre des terrasses. Il ne nous reste que peu de chose de l’œuvre magnifique d’Edelinde de Landsberg.
Une consolation, la Chapelle Saint Nicolas, toute voisine, située légèrement en aval dans le vallon, date de la même époque que Niedermunster III. Cette chapelle, à deux chœurs superposés, a été totalement restaurée en 1850. Elle était la chapelle dédiée à l’hospice de Niedermunster. L’hospice, contemporain de l’abbatiale s’étendait au nord est de l’abbaye, légèrement en contre bas.
Il faut imaginer en cette fin du douzième siècle l’abbaye recevant un flot continu de pèlerins dans ses murs. Ces gens venaient faire leur dévotion à Marie et admirer la Croix Reliquaire. Celle-ci était remerciée par les prisonniers libérés ou implorée par les proches qui en attendaient une libération. C’est à ce titre que Niedermunster aurait reçu en 1194 la visite de Richard Cœur de Lion, libéré de sa prison du Trifels. A cette époque, la renommée de Niedermunster égalait celle de Hohenburg.
Le promeneur complétera sa visite de Niedermunster et de la chapelle Saint Nicolas par le site tout proche de Saint Jacques. Le randonneur empruntera les sentiers suivis en 1050 par Léon IX pour rejoindre Sainte Odile.
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Regret : Un tel patrimoine mériterait une mise en valeur, une sécurisation et une ouverture au public.
- L’Abbesse Relinde, extrait de l’Hortus Deliciarum
- La tapisserie de Saint Etienne
- La grande vasque de la nef
- Le bénitier de Niedermunster
- Lithographie de Longini (~1875)