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Autour du Mont-Sainte-Odile, le Mur Païen

Le Mur Païen et le denier d' Elagabal

30 Octobre 2023 , Rédigé par PiP vélodidacte

En 1995, Stephan Fichtl conduit une campagne de fouilles sur le Mur Païen, non loin de la grotte d’ Etichon. A cette occasion, un denier d’Elagabal est découvert à proximité du Mur. Avant de nous pencher sur cette trouvaille, faisons le point sur les nombreuses monnaies romaines découvertes sur le Mont Sainte-Odile.

Les monnaies romaines du Mont Sainte-Odile dans les textes anciens

Hugo Peltre (1719) nous apprend que parmi les monnaies romaines détenues par le couvent du Mont se trouvait un ‘As de Nîmes’. Cette pièce présentait un crocodile sur une de ses faces. Elle aurait été frappée sous les règnes d’Auguste et Agrippa. Les spécialistes disent que cet as a été émis de 26 avant J.C. à 14 après J.C.

As de Nîmes (exemple)

As de Nîmes (exemple)

Son successeur à la direction du couvent ne mentionne plus cette monnaie mais parle de nombreuses pièces de cuivre, d’or et d’argent. Dionysus Albrecht, en 1751, cite Trajan et Hadrien (début du II ème siècle) puis, Claude, Dioclétien, Constantin le Grand et Constance (III ème siècle).

Dionysus nous dit que les pièces ont été découvertes par des carriers ‘Steingräberdans les ‘Grundmauren. Les monnaies seraient trouvées dans les fondations…. Or le Mur Païen n’a pas de fondations, il est posé à même le rocher ! Les pièces découvertes du temps de Dyonisus Albrecht n’ont pu l’être que lors des travaux de réfection du couvent lui-même.

La même année 1751, Schoepflin insiste sur le grand nombre de monnaies romaines retrouvées sur le site ‘plurima numismata. Outre les empereurs déjà cités par Dionysus Albrecht, Jean Daniel décrit une agrafe d’or avec un denier représentant l’empereur Valentinien II qui reçoit le globe impérial des mains de son père Valentinien Ier. (375-392)

Les autres auteurs anciens, Grandidier, Silbermann ne font que reprendre les noms des empereurs déjà cités.

Robert Forrer n’attache pas une grande importance aux monnaies romaines trouvées sur le Mont. ‘Où ne trouve-t-on pas de monnaies romaines ?’ nous dit-il plaisamment.

Hans Zumstein ne semble pas, lors de ses nombreuses campagnes de fouilles avoir trouvé de monnaies romaines. Par contre, lors des fouilles de 1967, lors de la création de la citerne située devant le couvent, Hans découvre un potin gaulois. Le recto représente un cheval filiforme. Cette monnaie date du premier siècle avant J.C..

Potin gaulois publié par H. Zumstein, et autre monnaie

Potin gaulois publié par H. Zumstein, et autre monnaie

Les monnaies romaines conservées au couvent du Mont Sainte Odile

En 1968, Jacques Schwartz fait un relevé et une étude précise des monnaies encore présentes au Couvent du Mont Sainte-Odile. En effet, certaines pièces décrites par nos anciens ont disparu, elles peuvent avoir été dérobées ou, plus simplement, offertes à des visiteurs importants.
Jacques complète la collection présente au couvent par quatre pièces détenues par des habitants d’Ottrott et de Saint-Nabor.

Voici une retranscription du tableau récapitulatif publié par Jacques

1er siècle

Auguste

Claude

1 exemplaire

1

don d’un pèlerin

1904 – potager du couvent

1er et 2ème siècle

?

1

 

2ème siècle

L.Verus ou Commode

Commode

1

1

 

3ème siècle

Gordien

Philippe

Claude II

?

1

1

2

1

 

4ème siècle

Constance Chlore

Lucinius père

Lucinius fils

Constantin

Hélène

Crispus

Constantin II

Constant

Constance II

Magnence

Julien (?)

Valens

Gratien

Théodose

?

1

1

1

6

1

1

3

5

7

7

1

4

2

1

1

1899 – jardin ‘Fremdengarten’

 

 

 

1899 – sortie du cloître

 

 

 

1899 - Grossmatt

 

Total

55 monnaies

 


 

Pour la plupart des monnaies, on ne connaît pas la date de la découverte. Pas plus, et c’est dommage, que le lieu et le contexte de leur mise au jour. Il semble alors difficile de tirer la moindre conclusion : les monnaies romaines ont été utilisées bien longtemps après leur frappe, jusque sous le règne des mérovingiens ! Lors d’une marche le long du Mur, le duc Adalric aurait pu perdre une des pièces exposées au Couvent !

La forte concentration de découvertes du quatrième siècle peut tout au plus indiquer une présence accrue de romains sur le Mont à cette période. Sans certitude.

Voici les images proposées par Jacques Schwartz des monnaies les plus intéressantes du couvent.

Avers de pièces du Mont Sainte-Odile, publiés par J. Schwartz

Avers de pièces du Mont Sainte-Odile, publiés par J. Schwartz

Revers de pièces du Mont Sainte-Odile, publiés par J. Schwartz

Revers de pièces du Mont Sainte-Odile, publiés par J. Schwartz

Note : l’article de Jacques comporte moult détails notamment sur les ateliers où les pièces ont été frappées. Le lecteur intéressé ne manquera pas de s’y reporter.

Venons en maintenant aux deux monnaies découvertes par l’équipe de Stephan Fichtl lors des fouilles de 1994-1995.

L’Antoninien de Victorinus

La première monnaie trouvée le fut au pied du Mur Transversal Nord. Selon Stephan, elle se trouvait au pied du mur, versant nord,dans une couche de sable clair, qui pourrait être ‘la trace d’une tranchée de fondation’.
Sans être une preuve à proprement parlé que le Mur Transversal Nord ait été construit ou remanié à l’époque romaine ou postérieurement, il s’agit de la première monnaie romaine trouvée dans un contexte stratigraphique connu.

La monnaie retrouvée est en fort piteux état, je vous propose une image d’un Antoninien de meilleure facture.

Antoninien de Victorinus (exemple)

Antoninien de Victorinus (exemple)

Les Antoniniens de Victorinus ont été frappés dans le bronze en 269 et 270 de notre ère. L’avers présente Victorinus, radié et cuirassé. Le revers variait sous les ateliers.

Le Denier d’ Elagabal

Venons-en (enfin) au Denier d’ Elagabal.

Denier d' Elagabal (exemple)

Denier d' Elagabal (exemple)

Nous avons abordé dans nos articles précédents les travaux de l’équipe de Fichtl dans le secteur de la porte Zumstein et le long du Mur Transversal Nord. La troisième fouille a été menée dans le secteur de la grotte d’Etichon.

Schéma de situation, extrait de notre carte interactive

Schéma de situation, extrait de notre carte interactive

La Grotte d’Etichon est un bel abri sous roche. Selon la légende, à la fin de sa vie, le duc Adalric, père d’ Odile, avait coutume de se rendre dans cet endroit isolé pour se recueillir. (Note : Adalric est appelé Etichon dans de nombreux textes, d’où le nom actuel de la grotte.)
L’abri est situé à la base des énormes rochers de poudingue qui portent le Mur Païen, juste au dessus de l’ouverture de la grotte.

Grotte d'Etichon
Grotte d'Etichon

Grotte d'Etichon

Quelques dizaines de mètres au nord de la grotte, une immense faille s’ouvre entre les rochers colossaux. Sa hauteur approche les quinze mètres pour une largeur de cinq à six mètres. Les bâtisseurs du Mur Païen ont comblé cette faille pour assurer la continuité du Mur.
A cet endroit abrupt, isolé, l’ouvrage ne semble pas avoir été remanié et Stephan Fitchl avait toutes les chances d’étudier une section originelle du Mur.

La grande faille de la grotte d'Etichon
La grande faille de la grotte d'Etichon
La grande faille de la grotte d'Etichon

La grande faille de la grotte d'Etichon

Comme dans d’autres sections étudiées, la base du mur est essentiellement en très gros blocs. Sur la partie encore en place, Stephan ne trouve pas d’encoches, par contre dans les éboulis en bas du mur, huit blocs présentent ces encoches pour mortaises. Stephan suppose que la partie haute du Mur devait être mieux construit, plus fini. On peut supposer deux assises supplémentaires, reliées par des mortaises, au dessus du niveau actuel.

Bon alors, ce denier ???
C’est à l’intérieur de l’enceinte, à environ quatre mètres du parement intérieur du Mur que Stephan trouve cette monnaie. Le denier se trouvait à une profondeur de plus d’un mètre sous le niveau du sol actuel. Selon Stephan, la pièce était dans la couche de sable juste au dessus des blocs constituant le contrefort interne du Mur. Il en conclut que ce denier est tombé à terre au moment de la construction du Mur. Ceci étaye, en grande partie, l’hypothèse émise par Stephan dans son rapport de 1995 : le Mur serait romain. C’est très crédible. Mais...

Coupe de la fouille, publiée par S. Fichtl

Coupe de la fouille, publiée par S. Fichtl

Non sans raison, Madeleine Châtelet observe premièrement que le denier se trouve hors stratigraphie bien établie du mur lui-même. Certes, il eût été préférable de trouver le denier non pas à quatre mètres du Mur mais bien à l’intérieur de son volume. Pourtant, enfoui si profondément, si proche du rocher du sol . Le raisonnement de Stephan se tient.
La deuxième remarque me semble plus pertinente encore : même si le denier a été perdu lors de la construction, rien ne nous dit que ce n’était pas quelques siècles après sa frappe. Les monnaies romaines ont été utilisées bien longtemps. Si le denier a bien été perdu par un bâtisseur, ce ne peut-être avant l’an 220, certes. Mais ce peut-être un, deux, trois, voire quatre siècles plus tard.

Pas plus que les autres monnaies trouvées sur le Mont,
le denier d’Elagabal n’est un élément tangible
qui permette la datation du Mur Païen.

Comme vous, je suis un peu déçu… la prochaine fois, je parlerai des tenons de bois qui joignaient les blocs du Mur Païen. Nous en saurons, peut-être, un peu plus.

Denier d'Elagabel, exemple

Denier d'Elagabel, exemple

Note : La monnaie trouvée par Stephan est en mauvais état. Les deux images de deniers présentées dans notre article sont celles de monnaies de collection. (Source Internet)

Qui était Elagabal ?

De fait, Elagabal était romain. Il portait donc un nom romain : Varius Avitus Bessianus.
Enfant, Varius vivait à Emèse, actuellement Homs, ville de Syrie. Il était un petit-neveu de Septime Sévère, empereur romain et guerrier.
Emèse était alors une ville vouée au culte d’un Dieu du Soleil, nommé Elagabal. Le jeune Varius, encore enfant, devint grand prêtre de ce culte et prit le nom de son dieu.

Lorsque l’empereur Caracalla, son cousin, est assassiné en 217, Varius est mis en avant par sa mère Julia, femme importante à Rome. Porté par l’armée, il est nommé empereur. Varius a alors quatorze ans.

Si j’en crois le buste exposé au Musée du Capitole à Rome, c’est un bien beau jeune homme.

Buste d' Elagabal, Musée du Capitole, Rome

Buste d' Elagabal, Musée du Capitole, Rome

Le règne d’Elagabal sera de courte durée. Jeune homme extravagant, fort dépensier, Elagabal sera vite détesté des Romains pour ses outrances. Mal conseillé, en peu de temps, il se fera plus d’ennemis que d’amis. Elagabal est assassiné et son corps est jeté dans le Tibre. Il n’avait pas dix-huit ans.

Mais quelles pouvaient bien être ces ‘extravagances’ pour porter les Romains à cet assassinat ?
Vous trouverez dans l’ ‘Histoire Auguste’ des détails inattendus, croustillants voire plus. Certes, l’ Histoire Auguste est un manuscrit fort décrié par les historiens. Je vous fais néanmoins un bref résumé.

  • Dés son arrivée à Rome, Elagabal délégua à sa mère l’essentiel de son pouvoir. Julia alla jusqu’à siéger au Sénat, première et seule femme. Quelle incongruité !

  • A Emèse, le culte du Soleil était basé sur l’adoration d’une ‘pierre noire tombée du ciel’. Elagabal fit amener cette pierre à Rome, où elle fit son entrée sur un char en or, il lui fit construire un temple dont on peut encore voir les ruines aujourd’hui. Il chercha à imposer ce nouveau culte aux romains. (Certains deniers d’Elagabal portent, à l’avers, une représentation de ce bétyle, cette pierre noire.)

  • Après un premier mariage, Elagabal enlève puis épouse la Grande Vestale, prêtresse censée rester une vierge. Il parle alors d’engendrer une race de dieux. Bigre !

  • Elagabal aurait ensuite épousé son cocher Hieroclès, puis un gladiateur Zotikos… et puis d’autres encore.

  • Les derniers mois de son règne, Elagabal aurait passé son temps  d’orgies homosexuelles en visites de bordels, habillé en femme. Il aurait alors féminisé son nom.

    On parle parfois d’Elagabal comme du premier transgenre…
    Il en serait mort.

     

Nous voilà bien loin du Mont Sainte-Odile et du Mur Païen.

Sources
  • H. Peltre, Vie de Sainte Odile, 1719, page 136
  • D. Albrecht, History von Hohenburg oder Sankt-Odilien Berg, 1751, pages 24 et 25
  • J.D. Schoepflin, Alsatia Illustrata, 1751, Tome 1, chapitre XIV, page 532 et suivantes
  • J. Schwartz, Monnaies romaines du Mont Saint-Odile, 1968, SHABDO
  • S. Fichtl, Le Mur païen du Mont Sainte-Odile , 1995
  • M. Châletet- J. Baudoux, le « Mur Païen » du Mont Sainte-Odile, 2015
  • Histoire Auguste, auteurs inconnus, IVème siècle
Illustrations
  • Photographies, Etienne
  • Coupe de la fouille, Stephan Fichtl
  • Les auteurs des images de monnaies sont explicitées dans le texte.
Aureus d'Elagabal, avec, sur le revers, l'arrivée du bétyle à Rome (Par Classical Numismatic Group, Inc. )

Aureus d'Elagabal, avec, sur le revers, l'arrivée du bétyle à Rome (Par Classical Numismatic Group, Inc. )

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F
Un sacré bonhomme (ou bonne femme ?) cet Ergabal !<br /> Avait-il un point de vue sur l'écriture inclusive ?
Répondre
P
A la fin de son règne, Elagabal envisageait de se faire opérer pour représenter les deux sexes.... me dit l' Histoire Auguste. Quant à sa façon d'écrire en inclusif, je ne trouve rien dans les textes.
P
en tous cas, on peut constater que vous êtes au courant de tous les Potins croustillants sur le Mont.
Répondre
P
Remarque fort pertinente..... là, tu me fais rire ! Pomme !
P
Bonjour Mr PIP , merci pour votre article, il faudrait aussi préciser que plus on produit de pièces plus on peut en perdre. Le système monétaire romain était bien plus développé que celui des gaulois. <br /> Ici nous prenons conscience que la datation par les monnaies n'est pas fiable, comme les bourses percées de nos aïeuls.
Répondre
P
juste des indications, des indices, Elagabal étant le plus marquant. mais pas de certitudes.
M
Merci pour ce précieux inventaire des monnaies antiques retrouvées au fil des siècles au Mont St Odile ! je n'avais pas une vision claire des monnaies "disparues" et juste mentionnées dans les textes. 2 remarques me viennent : <br /> -Quand Dyonysus parle de "fondations" du mur, n'est-il pas possible qu'il évoque simplement (par erreur sans doute) les pierre de soutainement du mur, c'est à dire le premier rang directement posé au sol ?<br /> -Les monnaies gauloises retrouvée là-haut sont rarissimes. Je n'en ai vu que 2 références (dont la vôtre). Etonnant pour un secteur où il suffit quasiment de se baisser dans les champs pour en ramasser (les potins Leuques à tête d'Indien notamment sont nombreux dans les champs du Piémont). On sait que les fouilles n'ont permis de ne mettre à jour qu'un habitat très modeste sur le parking devant le couvent pour la période du 1er siècle av J-C. Est-il donc permis de penser que ce lieu n'avait aucun intérêt particulier pour les gaulois, et que le mur Païen n'est définitivement pas attribuable à ce peuple (d'autant que la technique de construction ne correspond pas au Murus Gallicus) ?
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P
Je suis aussi surpris que vous par l'absence de monnaies gauloises. Quant à dire que le mur ne serait 'définitivement' pas gaulois, je ne serai pas aussi péremptoire. Je reviendrai sur cette question dans un prochain article.
P
A mon avis, Albrecht parle des fondations des murs du couvent. A cette époque, pas mal de travaux de reconstruction. Je ne pense pas qu'il s'occupe du Mur lui-même. Vous pouvez lire à ce sujet ce que dit Zumstein de la chapelle Saint Pierre. <br /> https://www.autour-du-mont-sainte-odile.fr/2023/03/les-fouilles-de-hans-zumstein-sur-mont-sainte-odile.html