Le Mur Païen et le denier d' Elagabal
En 1995, Stephan Fichtl conduit une campagne de fouilles sur le Mur Païen, non loin de la grotte d’ Etichon. A cette occasion, un denier d’Elagabal est découvert à proximité du Mur. Avant de nous pencher sur cette trouvaille, faisons le point sur les nombreuses monnaies romaines découvertes sur le Mont Sainte-Odile.
Hugo Peltre (1719) nous apprend que parmi les monnaies romaines détenues par le couvent du Mont se trouvait un ‘As de Nîmes’. Cette pièce présentait un crocodile sur une de ses faces. Elle aurait été frappée sous les règnes d’Auguste et Agrippa. Les spécialistes disent que cet as a été émis de 26 avant J.C. à 14 après J.C.
Son successeur à la direction du couvent ne mentionne plus cette monnaie mais parle de nombreuses pièces de cuivre, d’or et d’argent. Dionysus Albrecht, en 1751, cite Trajan et Hadrien (début du II ème siècle) puis, Claude, Dioclétien, Constantin le Grand et Constance (III ème siècle).
Dionysus nous dit que les pièces ont été découvertes par des carriers ‘Steingräber’ dans les ‘Grundmauren’. Les monnaies seraient trouvées dans les fondations…. Or le Mur Païen n’a pas de fondations, il est posé à même le rocher ! Les pièces découvertes du temps de Dyonisus Albrecht n’ont pu l’être que lors des travaux de réfection du couvent lui-même.
La même année 1751, Schoepflin insiste sur le grand nombre de monnaies romaines retrouvées sur le site ‘plurima numismata’. Outre les empereurs déjà cités par Dionysus Albrecht, Jean Daniel décrit une agrafe d’or avec un denier représentant l’empereur Valentinien II qui reçoit le globe impérial des mains de son père Valentinien Ier. (375-392)
Les autres auteurs anciens, Grandidier, Silbermann ne font que reprendre les noms des empereurs déjà cités.
Robert Forrer n’attache pas une grande importance aux monnaies romaines trouvées sur le Mont. ‘Où ne trouve-t-on pas de monnaies romaines ?’ nous dit-il plaisamment.
Hans Zumstein ne semble pas, lors de ses nombreuses campagnes de fouilles avoir trouvé de monnaies romaines. Par contre, lors des fouilles de 1967, lors de la création de la citerne située devant le couvent, Hans découvre un potin gaulois. Le recto représente un cheval filiforme. Cette monnaie date du premier siècle avant J.C..
En 1968, Jacques Schwartz fait un relevé et une étude précise des monnaies encore présentes au Couvent du Mont Sainte-Odile. En effet, certaines pièces décrites par nos anciens ont disparu, elles peuvent avoir été dérobées ou, plus simplement, offertes à des visiteurs importants.
Jacques complète la collection présente au couvent par quatre pièces détenues par des habitants d’Ottrott et de Saint-Nabor.
Voici une retranscription du tableau récapitulatif publié par Jacques
1er siècle |
Auguste Claude |
1 exemplaire 1 |
don d’un pèlerin 1904 – potager du couvent |
1er et 2ème siècle |
? |
1 |
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2ème siècle |
L.Verus ou Commode Commode |
1 1 |
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3ème siècle |
Gordien Philippe Claude II ? |
1 1 2 1 |
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4ème siècle |
Constance Chlore Lucinius père Lucinius fils Constantin Hélène Crispus Constantin II Constant Constance II Magnence Julien (?) Valens Gratien Théodose ? |
1 1 1 6 1 1 3 5 7 7 1 4 2 1 1 |
1899 – jardin ‘Fremdengarten’
1899 – sortie du cloître
1899 - Grossmatt |
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Total |
55 monnaies |
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Pour la plupart des monnaies, on ne connaît pas la date de la découverte. Pas plus, et c’est dommage, que le lieu et le contexte de leur mise au jour. Il semble alors difficile de tirer la moindre conclusion : les monnaies romaines ont été utilisées bien longtemps après leur frappe, jusque sous le règne des mérovingiens ! Lors d’une marche le long du Mur, le duc Adalric aurait pu perdre une des pièces exposées au Couvent !
La forte concentration de découvertes du quatrième siècle peut tout au plus indiquer une présence accrue de romains sur le Mont à cette période. Sans certitude.
Voici les images proposées par Jacques Schwartz des monnaies les plus intéressantes du couvent.
Note : l’article de Jacques comporte moult détails notamment sur les ateliers où les pièces ont été frappées. Le lecteur intéressé ne manquera pas de s’y reporter.
Venons en maintenant aux deux monnaies découvertes par l’équipe de Stephan Fichtl lors des fouilles de 1994-1995.
La première monnaie trouvée le fut au pied du Mur Transversal Nord. Selon Stephan, elle se trouvait au pied du mur, versant nord,dans une couche de sable clair, qui pourrait être ‘la trace d’une tranchée de fondation’.
Sans être une preuve à proprement parlé que le Mur Transversal Nord ait été construit ou remanié à l’époque romaine ou postérieurement, il s’agit de la première monnaie romaine trouvée dans un contexte stratigraphique connu.
La monnaie retrouvée est en fort piteux état, je vous propose une image d’un Antoninien de meilleure facture.
Les Antoniniens de Victorinus ont été frappés dans le bronze en 269 et 270 de notre ère. L’avers présente Victorinus, radié et cuirassé. Le revers variait sous les ateliers.
Venons-en (enfin) au Denier d’ Elagabal.
Nous avons abordé dans nos articles précédents les travaux de l’équipe de Fichtl dans le secteur de la porte Zumstein et le long du Mur Transversal Nord. La troisième fouille a été menée dans le secteur de la grotte d’Etichon.
La Grotte d’Etichon est un bel abri sous roche. Selon la légende, à la fin de sa vie, le duc Adalric, père d’ Odile, avait coutume de se rendre dans cet endroit isolé pour se recueillir. (Note : Adalric est appelé Etichon dans de nombreux textes, d’où le nom actuel de la grotte.)
L’abri est situé à la base des énormes rochers de poudingue qui portent le Mur Païen, juste au dessus de l’ouverture de la grotte.
Grotte d'Etichon
Quelques dizaines de mètres au nord de la grotte, une immense faille s’ouvre entre les rochers colossaux. Sa hauteur approche les quinze mètres pour une largeur de cinq à six mètres. Les bâtisseurs du Mur Païen ont comblé cette faille pour assurer la continuité du Mur.
A cet endroit abrupt, isolé, l’ouvrage ne semble pas avoir été remanié et Stephan Fitchl avait toutes les chances d’étudier une section originelle du Mur.
La grande faille de la grotte d'Etichon
Comme dans d’autres sections étudiées, la base du mur est essentiellement en très gros blocs. Sur la partie encore en place, Stephan ne trouve pas d’encoches, par contre dans les éboulis en bas du mur, huit blocs présentent ces encoches pour mortaises. Stephan suppose que la partie haute du Mur devait être mieux construit, plus fini. On peut supposer deux assises supplémentaires, reliées par des mortaises, au dessus du niveau actuel.
Bon alors, ce denier ???
C’est à l’intérieur de l’enceinte, à environ quatre mètres du parement intérieur du Mur que Stephan trouve cette monnaie. Le denier se trouvait à une profondeur de plus d’un mètre sous le niveau du sol actuel. Selon Stephan, la pièce était dans la couche de sable juste au dessus des blocs constituant le contrefort interne du Mur. Il en conclut que ce denier est tombé à terre au moment de la construction du Mur. Ceci étaye, en grande partie, l’hypothèse émise par Stephan dans son rapport de 1995 : le Mur serait romain. C’est très crédible. Mais...
Non sans raison, Madeleine Châtelet observe premièrement que le denier se trouve hors stratigraphie bien établie du mur lui-même. Certes, il eût été préférable de trouver le denier non pas à quatre mètres du Mur mais bien à l’intérieur de son volume. Pourtant, enfoui si profondément, si proche du rocher du sol . Le raisonnement de Stephan se tient.
La deuxième remarque me semble plus pertinente encore : même si le denier a été perdu lors de la construction, rien ne nous dit que ce n’était pas quelques siècles après sa frappe. Les monnaies romaines ont été utilisées bien longtemps. Si le denier a bien été perdu par un bâtisseur, ce ne peut-être avant l’an 220, certes. Mais ce peut-être un, deux, trois, voire quatre siècles plus tard.
Pas plus que les autres monnaies trouvées sur le Mont,
le denier d’Elagabal n’est un élément tangible
qui permette la datation du Mur Païen.
Comme vous, je suis un peu déçu… la prochaine fois, je parlerai des tenons de bois qui joignaient les blocs du Mur Païen. Nous en saurons, peut-être, un peu plus.
Note : La monnaie trouvée par Stephan est en mauvais état. Les deux images de deniers présentées dans notre article sont celles de monnaies de collection. (Source Internet)
De fait, Elagabal était romain. Il portait donc un nom romain : Varius Avitus Bessianus.
Enfant, Varius vivait à Emèse, actuellement Homs, ville de Syrie. Il était un petit-neveu de Septime Sévère, empereur romain et guerrier.
Emèse était alors une ville vouée au culte d’un Dieu du Soleil, nommé Elagabal. Le jeune Varius, encore enfant, devint grand prêtre de ce culte et prit le nom de son dieu.
Lorsque l’empereur Caracalla, son cousin, est assassiné en 217, Varius est mis en avant par sa mère Julia, femme importante à Rome. Porté par l’armée, il est nommé empereur. Varius a alors quatorze ans.
Si j’en crois le buste exposé au Musée du Capitole à Rome, c’est un bien beau jeune homme.
Le règne d’Elagabal sera de courte durée. Jeune homme extravagant, fort dépensier, Elagabal sera vite détesté des Romains pour ses outrances. Mal conseillé, en peu de temps, il se fera plus d’ennemis que d’amis. Elagabal est assassiné et son corps est jeté dans le Tibre. Il n’avait pas dix-huit ans.
Mais quelles pouvaient bien être ces ‘extravagances’ pour porter les Romains à cet assassinat ?
Vous trouverez dans l’ ‘Histoire Auguste’ des détails inattendus, croustillants voire plus. Certes, l’ Histoire Auguste est un manuscrit fort décrié par les historiens. Je vous fais néanmoins un bref résumé.
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Dés son arrivée à Rome, Elagabal délégua à sa mère l’essentiel de son pouvoir. Julia alla jusqu’à siéger au Sénat, première et seule femme. Quelle incongruité !
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A Emèse, le culte du Soleil était basé sur l’adoration d’une ‘pierre noire tombée du ciel’. Elagabal fit amener cette pierre à Rome, où elle fit son entrée sur un char en or, il lui fit construire un temple dont on peut encore voir les ruines aujourd’hui. Il chercha à imposer ce nouveau culte aux romains. (Certains deniers d’Elagabal portent, à l’avers, une représentation de ce bétyle, cette pierre noire.)
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Après un premier mariage, Elagabal enlève puis épouse la Grande Vestale, prêtresse censée rester une vierge. Il parle alors d’engendrer une race de dieux. Bigre !
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Elagabal aurait ensuite épousé son cocher Hieroclès, puis un gladiateur Zotikos… et puis d’autres encore.
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Les derniers mois de son règne, Elagabal aurait passé son temps d’orgies homosexuelles en visites de bordels, habillé en femme. Il aurait alors féminisé son nom.
On parle parfois d’Elagabal comme du premier transgenre…
Il en serait mort.
Nous voilà bien loin du Mont Sainte-Odile et du Mur Païen.
- H. Peltre, Vie de Sainte Odile, 1719, page 136
- D. Albrecht, History von Hohenburg oder Sankt-Odilien Berg, 1751, pages 24 et 25
- J.D. Schoepflin, Alsatia Illustrata, 1751, Tome 1, chapitre XIV, page 532 et suivantes
- J. Schwartz, Monnaies romaines du Mont Saint-Odile, 1968, SHABDO
- S. Fichtl, Le Mur païen du Mont Sainte-Odile , 1995
- M. Châletet- J. Baudoux, le « Mur Païen » du Mont Sainte-Odile, 2015
- Histoire Auguste, auteurs inconnus, IVème siècle
- Photographies, Etienne
- Coupe de la fouille, Stephan Fichtl
- Les auteurs des images de monnaies sont explicitées dans le texte.