Le Mur Païen et la Préhistoire sur le Mont Sainte-Odile
Suite logique des vingt-cinq premiers articles que nous avons fait paraître au sujet du Mur Païen du Mont Sainte-Odile, nous abordons, enfin, la datation de l’enceinte. La question n’est pas des plus aisées, elle a été mainte fois débattue et le sera encore. Simple curieux du site, nous aborderons avec humilité les différentes théories avancées. Nous les confronterons aux résultats des travaux des scientifiques et chercheurs.
Au vu de l’ampleur du sujet, cette analyse sera découpée en quatre articles :
- Le Mur Païen et la préhistoire
- Le Mur Païen et les celtes
- Le Mur Païen et les romains
- Le Mur Païen et les mérovingiens
Voici le premier d’entre eux.
La Préhistoire…. C’est long.... L’étude de Madeleine Châtelet et Juliette Baudoux montre que le Mont Sainte-Odile était surtout occupé pendant le néolithique et l’âge du bronze : nous nous concentrerons sur ces deux périodes.
Le Néolithique est une période qui s’étend de 6000 ans à 3200 ans avant notre ère. L’homme se sédentarise, il commence à s’adonner à l’élevage et à l’agriculture. Outils et armes sont en pierre polie. C’est le moment de l’apparition des premières céramiques.
En Alsace, les villages de cette période sont nombreux dans la plaine. Tout proches du Mont Sainte-Odile, les archéologues ont découvert trois sites importants : Rosheim, Obernai et Bischoffsheim. Un peu plus loin, Dachstein, Entzheim et Dambach-la-Ville étaient également des lieux de peuplement dès cette époque .
Le gobelet a été trouvé à Entzheim, la pendeloque à Dambach-la-Ville.
Sans surprise donc, le Mont Sainte-Odile a également connu une occupation importante à cette période. Voici quelques images des objets néolithiques retrouvés sur le Mont.
Déchets de taille en diorite trouvés par Gabriel Schmitt lors des fouilles dans l’ancien potager du couvent en 1968.
Herminettes en serpentine trouvées sur les versants du Mont Sainte-Odile
Herminette découverte par Hans Zumstein lors des fouilles à l’entrée du couvent 1967
Ce petit vase néolithique est exposé dans le petit musée du Mont Sainte-Odile ( malheureusement fermé au public)
Ce tesson fait partie des très nombreux débris de céramique trouvés sur le Mont. Le décor de pastilles est à rapprocher de ceux retrouvés à Entzheim. Fouille de 1968 par H. Zumstein et G. Schmitt.
Les articles de Hans présentent de très nombreux relevés de céramique, le lecteur intéressé s’y reportera. (Cf. Sources)
La flèche de gauche a été trouvée par H. Zumstein, fouille devant le couvent 1971.
La flèche au centre a été trouvée par F. Jaenger, 1928, dans une fente de rocher du jardin du couvent.
La lame de silex mesure 16 centimètres. Selon Bernadette Schnitzler, il s’agirait d’une faucille. Conservée au musée du Mont Sainte-Odile.
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Voici pour les images que j’ai pu collecter.
Selon l’étude de Madeleine Châtelet et Juliette Baudoux, l’occupation du Mont était importante et s’est poursuivie sur cette longue période. Plus de 8.000 tessons de céramique sont datés de la préhistoire, c’est important. Ceci représente 65,5 % des tessons recueillis sur le Mont à ce jour.
Les hommes du néolithique vivaient donc sur le Mont, nombreux. Pourtant, à ce jour, on n’a pas retrouvé de trace d’habitations comme on en trouve tant en plaine. Il est vrai que le sommet du Mont a été tant de fois occupé que de telles traces eussent été fort improbables.
S’ils ont utilisé les abris sous roche qui bordent le plateau, Robert Forrer et ses suivants n’y ont pas découvert d’autres traces que les quelques objets présentés ci-avant. Ces hommes ont vraisemblablement pratiqué leurs cultes sur le Mont. Nous reviendrons dans le prochain article sur la vision de Levrault, Schneider, Schweighaeuser et d’autres…
Juste un mot sur le Heidentempel, le fameux temple païen, que Robert Forrer décrit dans son livre. L’ensemble des spécialistes qui se sont penchés sur le sujet ont conclu que cette construction circulaire attestée par deux dessins anciens était une chapelle romane. Cette Rotonde, citée par Albrecht et Silbermann qui en aurait encore vu la base, a été recherchée, sans succès, par Hans Zumstein en 1965. Voici une tentative de restitution proposée par Robert Will. Nous sommes fort éloignés d’un temple néolithique.
Note : Après la parution de son livre, Robert Forrer a été convaincu et a reconnu son erreur d’interprétation.
La Rotonde, restitution proposée par R. Will
Passons maintenant à l’âge du bronze, deuxième période où l’occupation du Mont est avérée par des trouvailles archéologiques.
L’Âge Bronze couvre une période allant de 2300 à 800 ans avant notre ère. Les populations sédentarisées, éleveurs et cultivateurs, apprennent à travailler cet alliage de cuivre et d’étain qui va leur permettre de réaliser des objets, bijoux, armes, outils de bonne facture.
L’utilisation de ces deux métaux suppose de nombreux échanges entre différentes régions de l’Europe.
Voici les photographies les plus marquantes des objets de l’âge du bronze trouvés sur le Mont Sainte-Odile.
Ce récipient mesure 11,5 cm de hauteur. Il a été trouvé en 1961 dans une faille proche de la station IX du chemin de croix. Exposée au musée du couvent.
Le tesson décoré de triangle est daté du Bronze Final par Hans. Le tesson au décor excisé daterait du Bronze Moyen ou du Bronze Final. Fouilles 1967 devant le couvent.
Poterie trouvée lors des fouilles de 1969 devant le couvent.
Céramiques datant du néolithique et de l’âge du bronze, fouilles de 1963 dans un cône de déjection proche du couvent.
Origine inconnue, cette hache de bronze est exposée au musée du couvent. Hache de type Haguenau.
Ces deux couteaux ont été trouvés lors de la fouille de 1965 dans la cour du couvent. Fouille Zumstein. Ils mesurent respectivement 18,1 cm et 15,2 cm. Notez les fines décorations gravées sur le couteau le plus long.
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Le sommet du Mont Sainte-Odile était bel et bien occupé à l’âge du bronze. Pour autant, personne, à ma connaissance n’avait fait le lien entre cette occupation et la construction du Mur Païen. C’est alors que les fouilles d’ Hans Zumstein vont ouvrir un nouveau débat.
Nous sommes en 1966. Hans Zumstein entreprend une campagne de fouilles à l’entrée du couvent, plus exactement à l’endroit où sont enterrées les citernes modernes du couvent.
Les fouilles dans ce secteur se sont déroulées de 1965 à 1971. Mais c’est bien l’été 1966 qu’elles sont les plus intéressantes.
A une vingtaine de centimètres sous le niveau du sol, Hans Zumstein et Gabriel Schmitt font une découverte : ils mettent à jour une section du Mur Païen. Trouver ensevelie une portion du Mur est une aubaine, la structure est resté protégée, les archéologues trouveront vraisemblablement une stratigraphie qui fera avancer les recherches.
Voici le plan de Hans qui détaille la section du Mur.
Le tronçon est orienté Nord-Sud. Il ne mesure qu’un mètre environ. Au Nord, il est appuyé sur le rocher, au Sud il a disparu. Seules deux assises sont conservées. Le plan de Hans montre les trois mortaises en queue d’hirondelle de l’assise supérieure. Elles sont correctement positionnées.
Lors du dégagement des abords, Gabriel dégage coté extérieur du mur des ossements d’un bovidé et des tessons de l’époque romaine. Mais, plus intéressant, une céramique est trouvée dans le blocage même du Mur.
Photographie H. Zumstein
Ce tesson est daté de l’âge du bronze par nos deux archéologues.
Dessin H. Zumstein
Avançons avec nos amis. Les quatre blocs de l’assise supérieure sont soulevés, et entre les deux assises, une vingtaine de tessons est mise à jour : tous sont datés de l’âge du bronze (Bronze Final II). Pas de tessons d’une autre époque.
Dessin H. Zumstein
Pour la première fois, en 1966, des céramiques permettant une datation sont trouvés dans l’emprise même du mur. Certes, comme le souligne Hans dans son rapport, un seul mètre de Mur ne peut apporter de certitudes sur l’ensemble de la construction.
Hans peut cependant et à raison me semble-t-il émettre l’hypothèse suivante : « Ce mur paraît donc dater de l’âge de bronze final ». Pas de certitudes, pas d’affirmation péremptoire. Prudent, notre ami Hans !
Stratigraphie simplifiée proposée par H. Zumstein
Cette découverte et cette nouvelle hypothèse de datation ont fait grand bruit. Elle a surpris. Le Mur aurait été construit par une population qui ne maîtrisait que le bronze ? Certes, Robert Forrer nous a détaillé le fonctionnement des carrières et montré que les blocs de grès pouvaient être débités sans outils de fer. Mais les mortaises ? Des dizaines de milliers d’encoches précises, taillées dans la pierre. Avec des haches en bronze ?
Les spécialistes étaient perplexes. Alors, en 1970, notre section de mur est, à nouveau, dégagée et ré-étudiée. A cette occasion, en plus de tessons supplémentaires de l’âge de bronze, un fragment de mortier à la chaux est mis à jour et analysé. De la chaux à l'âge du bronze? Il semble bien que notre tronçon de mur ne soit pas dans un état ‘initial’. Cette section du Mur aurait été démontée et remontée…
Si les avis des spécialistes sur la datation restent partagés, le docteur Kaiser, outre le fragment de mortier, se penche sur les traces laissées par les outils sur les blocs du mur. Les marques d’outils sur ces blocs ensevelis sont plus nettes et lisibles que celles du Mur soumis à l’érosion des intempéries. Selon lui, pas de doute, le grès a été travaillé avec des outils en fer !
Jacky Koch, lors de son étude de la porte d’Ottrott (2004) se fait même plus précis. Sur les indications de C.C. Bessac, spécialiste des carrières, il indique que les mortaises sont taillées ‘à la broche’, ainsi que la taille des derniers ajustements de mise en place. Pour les blocs de parement, Jacky note une finition de certains blocs à l’aide d’un ciseau plat, largeur moyenne 3 à 4 centimètres.
Ajoutons à ces études, la découverte de deux coins de carriers en fer. (H. Zumstein, 1968, Porte de Barr et S. Fichtl, 1996, carrière proche de la même porte.).
L’hypothèse de la construction du Mur Païen avant l’Âge du Fer peut être oubliée.
Coin de carrier trouvé par H. Zumstein, 1968, photographie Musées de Strasbourg
Nous restent donc trois hypothèses, les Celtes, les Romains et le Mérovingiens.
Nous y reviendrons prochainement.
Bigre, nous ne sommes pas au bout de nos surprises !
Terminons en souriant avec un dessin quelque peu prémonitoire de Touchemolin, publié vers 1900 !
(à suivre)
- Hans Zumstein, Fouille d’un cône de déjection, CAAAH, 1963
- Gabriel Schmitt et Hans Zumstein, Fouille d’un cône de déjection, CAAAH, 1990
- Hans Zumstein, Deux campagnes de fouilles en 1965, CAAAH, 1993
- Hans Zumstein, Campagne de fouilles en 1966, CAAAH, 1994
- Hans Zumstein, Campagne de fouilles en 1967, CAAAH, 1995
- Hans Zumstein, Fouilles au Mont Sainte-Odile 1967-1972, CAAAH, 1997
- François Petry et Robert Will, Le Mont Sainte-Odile, 1988
- Musées de Strasbourg, Le Mont Sainte-Odile, haut lieu de l’Alsace, 2002
- Jacky Koch, Porte d’Ottrott, 2004
- Madeleine Châtelet, Juliette Baudoux, Le ‘Mur Païen’ du Mont Sainte-Odile, 2015
- Heiko Steuer, Studien zum Odilienberg im Elsass, 2015