Le Mur Païen, un ancien sanctuaire romain ?
Plusieurs auteurs anciens ont attribué au Mont Sainte-Odile et à son enceinte le rôle de sanctuaire. Qu’en est-il ? Avant d’accueillir le couvent édifié par Odile, le Mont a-t-il été un lieu de culte dédié aux divinités romaines ? Nous allons vous présenter divers temples romains édifiés en Alsace et ainsi tenter de répondre à cette question.
Les Romains et les Gallo-romains étaient des croyants. Toutes les étapes de leur vie, tous les instants de leurs journées étaient marqués par la religion. Partout en Alsace, nous retrouvons les preuves de cette inclination à suivre les dieux.
Appliques de Junon et de Bacchus, Musée Archéologique de Strasbourg
Témoins ces appliques représentant Junon et Bacchus, ces petits objets retrouvés à Strasbourg ornaient la demeure des romains dans l’ancienne Argentorate. Tout aussi courantes, les statuettes de dieux romains ne manquent pas dans les objets retrouvés dans les fouilles. Voici celles qui ont retenu notre attention.
Statuettes romaines, publiées par R. Forrer
- Mercure, Saverne, Musée de Strasbourg
- Neptune, Seltz, Musée de Haguenau
Partout dans la ville, au bord des chemins se dressaient des stèles votives, où les romains et gallo-romains venaient faire leurs dévotions. Nous vous proposons quelques images, les musées des environs offrent maint exemplaires.
Stèles votives, Musée Archéologique de Strasbourg
- Mercure et Romerta, Châtenois, IVème siècle
- Mars et un taureau, Haguenau, IIIème siècle
- Hercule, IIIème siècle
- Minerve, entourée d’Apollon et Mercure, Lauterbourg, IVème siècle
Les croisées de chemins étaient ornées de colonnes également dédiées aux dieux. Voici l’une d’elles.
Stèle aux quatre dieux, Musée Archéologique de Strasbourg
Cette stèle se présentait sous la forme d’une colonne située à la croisée de deux rues d’Argentorate. Au sommet, une statue de Jupiter à cheval représentait le roi des dieux terrassant un monstre. La colonne était posée sur un socle parallélépipédique dont les quatre faces portaient des bas-reliefs. Ce type de stèle se retrouve sur plusieurs sites en Alsace.
Chaque sculpture, chaque objet faisait preuve d’une qualité indiscutable. Chaque étape de la vie était marquée par la volonté de rendre hommage aux dieux. Tous les lieux de quelque importance étaient marqués de la sorte.
Pourtant sur le Mont Sainte-Odile, à ce jour, les archéologues n’ont jamais rien trouvé qui puisse s’approcher.
- Mausolée des Valerius Rufus, Musée de Strasbourg
- Sarcophage de Florentina, Koenigshoffen, Musée de Strasbourg
- Dédicace aux déesses du carrefour des quatre routes, Ier siècle, Musée de Strasbourg, photographie Bertola
Alors, bigre, que penser ? Nous allons maintenant tenter de comparer la structure des temples romains d’Alsace avec l’enceinte du Mur Païen.
La ville de Niederbronn est surtout connue pour ses thermes. Selon l’étude de Pascal Prévost-Bouré, la source est exploitée dès Vespasien (69), et les thermes sont édifiées sous Antonin(138). Elles sont agrandies sous Gallien (253).
A notre connaissance, un seul temple a été mis au jour sur le site de la ville romaine. Il s’agit d’une construction octogonale inscrite dans un cercle de rayon de dix mètres. Le temple de dimension modeste présentait quatre portes d’un mètre soixante de large. (fouille Charles Mathis, publiée en 1926).
A proximité de la source romaine, les archéologues ont découvert une stèle aux quatre dieux représentant Mercure, Minerve, Hercule et Apollon. Mentionnons également : un autel de Diane, une stèle de Minerve et un petit autel dédié à un dieu portant maillet.
Statue de Mercure, Musée de Niederbronn
Cette statue de Mercure est une des stèles découvertes dans un deuxième temple situé en altitude à proximité du château de Wasenbourg qui domine Niederbronn. Le sanctuaire aujourd’hui détruit est mentionné sur le rocher Wachtfels par une inscription en latin. Les fouilles de 1899 avaient permis de dégager les bases de la porte d’entrée du temple et aussi un camp de l’armée romaine de petites dimensions (60 mètres sur 15). Une pierre gravée attestait la présence en ce lieu de la Légion VIII Augusta.
Rocher du Wachtfels, photographie EtF
Perdu dans la forêt au dessus de Sparsbach, les ruines du petit temple romain de Meisenbach nous intéressent à plus d’un titre. Construit au début du IIème siècle, le temple aurait été abandonné, puis transformé en chapelle paléochrétienne au cours du IVème siècle. (confer : étude de Pascal Prévost-Bouré.)
Temple de Meisenbach, vue de dessus, photographie EtF
Temple de Meisenbach, vue de dessus avec cotes, relevé EtF et PiP
De dimensions modestes, 13,4 mètres sur 7,5, soit moins de 100 m2 , l’ensemble est élégant. Il ne subsiste que deux lits de pierres au maximum, taillées dans le grès rose des carrières avoisinantes.
Abside du temple de Meisenbach, photographie EtF
Abside du temple de Meisenbach, photographie EtF
Les blocs ont été taillés avec précision. Chaque bloc était relié au bloc voisin de la même assise par un système de tenons et mortaises. Nous retrouvons ici une technique analogue à celle utilisée au Mur Païen du Mont Sainte-Odile. Analogue, mais pas identique, penchons nous plus avant sur ces mortaises.
Mortaise du temple de Meisenbach, photographie EtF
Mortaise du temple de Meisenbach, photographie EtF
Nous retrouvons bien la forme en queue d’hirondelle, mais observez la forme des cavités verticales qui accompagnent les mortaises : les tenons ne pouvaient être de bois comme sur le Mont. Les tenons étaient des agrafes métalliques, soit de fer, soit plus probablement de plomb. Lorsque le temple a été ‘démonté’, le métal a vraisemblablement été récupéré par les ‘pillards’.
Nous avons, dans notre dernier article, décrit les camps de l’armée romaine à Biesheim. Biesheim était alors une ville importante : Argentaria. Les fouilles menées par l’équipe de M. Reddé y ont mis à jour les bases de plusieurs temples.
Plan du quartier des temples de Biesheim, iconographie du Musée de Biesheim
Selon les études archéologiques, ce secteur a beaucoup évolué pendant l’occupation romaine. Les premiers sanctuaires datent du premier siècle, et les dernières constructions seraient du IVème. Les fouilles ont permis de déceler des bassins de bois alimentés par des sources phréatiques, un puits monumental, un espace thermal et plusieurs temples à déambulatoires.
Voici une restitution des derniers temples. Devant eux, un petit autel votif était dédié à Mercure et Apollon.
Restitution de deux temples et d’un autel votif, iconographie du Musée de Biesheim
C’est sur cet autel que fut découverte cette dalle calcaire gravée. Le texte confirme que cet autel a été édifié suite à un vœu. Vous lisez : « à Mercure et Apollon, de la part de Tiberius Silius Lucusta, qui s’est volontiers acquitté de son voeu »
Dalle gravée dédiée à Mercure et Apollon, Musée de Biesheim
Le mobilier cultuel découvert sur place est conséquent. Le musée présente quantité de statuettes en bronze, médailles, amulettes et autres objets votifs. Etienne vous propose quelques images, mais surtout allez voir par vous même !
Statuette représentant Hercule, Musée de Biesheim, photographie EtF
Statuettes votives, Musée de Biesheim, photographie EtF
Offrandes votives, Musée de Biesheim, photographie EtF
A la période romaine, le sommet du Donon était un sanctuaire portant plusieurs édifices religieux. Sur les quelques six hectares du site, les archéologues ont compté de quatre à six constructions. Voici le plan du Donon.
Donon, plan du site, publié par F. Pétry
Il est difficile , même sur les lieux, de se rendre compte de l’importance et de la configuration du site. Les temples étaient de faibles dimensions : 12 m 60 sur 9 m 20 pour le plus important (temple I). Situées de part et d’autre de la voie d’accès au sommet, plusieurs colonnes portaient des statues d’un dieu cavalier terrassant un monstre. Source et ‘puits’ rituel. Nous vous proposons un dessin de restitution publié par François Pétry en 1977.
Restitution du site du Donon, F. Pétry
Sur son dessin, François n’a pas représenté l’enceinte qui enserrait le sanctuaire. Pourtant, les temples gallo-romains ont été construits au troisième siècle à l’intérieur d’un ‘mur gaulois’ préexistant qui courrait autour du sommet du Donon. Le Donon avait été fortifié avant l’occupation romaine. Les gallo-romains ont vraisemblablement réutilisé un lieu de culte médiomatrique.
Voici une vue d’ensemble des restes du temple I. Merci Etienne !
Ruines du temple I, photographie EtF
Nous nous intéresserons surtout à la technique employée. Les blocs de grès ont été taillés avec précision et ils ont été reliés par un assemblage tenons-mortaises. Nous retrouvons les mortaises en queue d’aronde du Mur Païen du Mont Sainte-Odile pour relier les pierres adjacentes d’un même lit. Par contre, d’autres mortaises indiquent au centre de la face supérieure des blocs que ceux-ci étaient solidarisés verticalement. Les techniques du Donon et du Mont sont certes à rapprocher, mais elles sont différentes.
- Pierres taillées avec précision au Donon, blocs bruts et juxtaposés sur le Mont.
- Tenons et mortaises de même facture sur les deux sites, mais on ne trouve que des liens horizontaux sur le Mont alors qu’ils sont horizontaux et verticaux au Donon.
Les techniques sont proches, mais différentes.
Mortaise en queue d’aronde du temple I du Donon, photographie EtF
Mortaises du temple I du Donon, photographie EtF
Donon, restitution du temple III, Musée archéologique de Strasbourg, photographie EtF
Les stèles votives retrouvées sur le Donon sont nombreuses. Plusieurs copies sont exposées au sommet du Donon, elles sont fort érodées et peu représentatives. Nous conseillons aux amateurs de se rendre au Musée Archéologique de Strasbourg où deux salles sont dédiées au Donon. Les stèles y sont d'origine, de qualité et parfaitement mises en valeur.
Stèles votives du Donon, photographies EtF
Jupiter terrassant un monstre anguipède, photographies EtF
Stèles dédiée à Mercure, photographies EtF
D’autres stèles sont conservées au Musée d’Épinal malheureusement toujours fermé au public. Le rocher sommital du Donon portait une sculpture représentant le combat d’un Lion et d’un Sanglier. Une pâle copie l’a remplacée. L’original est dans les collections d’Épinal. En voici le relevé effectué par Robert Forrer.
Rocher taillé du Donon, relevé de R. Forrer
Nous terminerons par les lieux dédiés au dieu Mithra. Le culte de Mithra est plutôt atypique. Mithra est une divinité d’origine perse et son culte s’est développé dans le monde romain au deuxième siècle. Ce culte était réservé à des initiés et se pratiquait le plus souvent dans des temples obscurs et semi enterrés : les ‘mitraeum’.
Le plus représentatif de ces lieux en Alsace est celui situé à Koenigshoffen décrit par Robert Forrer. Escalier pour descendre dans le temple, éclairé par des torches, chauffé, muni de bassins pour les ablutions, découverte d’un trésor de monnaies en bronze (IIème siècle), ce temple possédait un bas relief représentant la mise à mort d’un taureau par Mithra.
Bas- relief de Mithra, Koenigshoffen, Musée Archéologique de Strasbourg, photographie PiP
Restitution du bas-relief de Mithra, Koenigshoffen, Musée Archéologique de Strasbourg, photographie PiP
Lion de Mithra, musée de Saverne
Stèles de Médru, Musée de Haguenau et de Strasbourg
Proches, deux autres mithraeum sont nous connus à Mackwiller (Lorraine) et à Biesheim.
Les temples romains et gallo-romains présents en Alsace sont des monuments aux murs rectilignes et de dimensions modestes. Ils étaient construits avec soin : les pierres étaient parfaitement taillées et adaptées les unes aux autres.
Sur le Mont Sainte-Odile, on ne trouve pas de telles constructions. Même sur le plateau sommital, les fouilles de Hans Zumstein n’ont pas dégagé de traces de tels éléments. Pas de stèles votives, pas de statues de divinités, rien. De même, l’étude des tessons menée par Madeleine Châtelet ne mentionne que des objets de la vie quotidienne, aucun tesson provenant d’urnes, de calices ou d’autres objets religieux. Pas une petite statuette votive comme on a en trouvé tant sur les autres sites.
A ce jour, aucun indice ne nous indique un lieu de culte romain sur le Mont Sainte-Odile. S'il y a eu un temple sur le Mont, tout a été détruit et effacé. Il n'en est rien resté.
Quant au Mur lui-même, il n'a rien de commun avec les lieux de cultes romains.
Le seul élément qui puisse interpeler dans notre petit recensement des temples romains, c’est la présence des mortaises sur le site du Donon et celui de Meisenbach. Nous avons noté cependant de grandes différences de technique entre ces deux sites et notre enceinte du Mur Païen. (voir notre article sur les tenons et mortaises)
Outre l’énorme différence de dimensions, dix kilomètres pour notre Mur et quelques dizaines de mètres pour le Donon et Meisenbach, la qualité des constructions est bien différente : le Mur Païen est beaucoup plus fruste. Il semble avoir été construit, certes avec la technique ‘romaine’ des tenons et mortaises, mais à la hâte, rapidement… Ce n’est pas ainsi qu’on construit un sanctuaire. Non !
Après deux ans de travail, nous sommes proches aujourd'hui de la conclusion notre étude du Mur Païen du Mont Sainte-Odile. Cet article est le trente et unième de cette série en lien avec le Mur. Durant toutes ces semaines, ces mois, nous avons tenté de suivre toutes les pistes proposées par nos doctes prédécesseurs et avons écarté bien des hypothèses avancées par les uns ou les autres.
Mais, à ce jour, nous ne nous sommes jamais prononcés formellement en faveur d’une théorie définitive.
Dans quelques semaines, nous publierons un ultime article : ‘L’ Histoire du Mur Païen, selon PiP’.
À suivre !
Lien vers nos multiples articles sur le Mur Païen du Mont Sainte-Odile
- R. Forrer, L’Alsace Romaine, 1935
- J.J. Hatt, Histoire de la Gaule Romaine, 1966
- F. Pétry, le Donon, Saisons d’Alsace, 1977
- P. Prévost-Bouré, Sparsbach-Meisenbach, BSR Alsace, 2002
- P. Prévost-Bouré, Une ville thermale gallo-romaine, l’antique Niederbronn, 2007
- M. Reddé, Oedenburg. une agglomération d'époque romaine sur le Rhin, 2018
- Am anderen Flussufer - Sur l’autre rive, 2019
Recueil d’articles dédiés aux découvertes romaines dans la région de Breisach et Biesheim, et dans toute l’Alsace.