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Autour du Mont-Sainte-Odile, le Mur Païen

Le Mur Païen est il romain ?

26 Mars 2024 , Rédigé par PiP vélodidacte Publié dans #lieu

Après avoir écarté un Mur Païen construit avant l’Âge du Fer, après avoir rejeté la période celtique, nous avons consacré un article à l’hypothèse mérovingienne. L’idée est séduisante, mais les arguments avancés ne nous ont pas totalement convaincus. Nous traiterons aujourd’hui de l’hypothèse d’un Mur Païen construit sous l’occupation romaine. Dans le passé les tenants de cette idée furent nombreux, écoutons les.

Les différentes datations proposées pour l’édification du Mur Païen

I Les arguments proposés en faveur de la thèse romaine

Les arguments utilisés par les différents auteurs sont souvent répétés, repris d’un article à l’autre. Nous nous contenterons de les présenter dans leurs grandes lignes et exprimerons notre sentiment sur leur validité et leur pertinence. Nous verrons que si certains sont discutables, ils n'en forment pas moins un ensemble cohérent et fort intéressant.

Urne funéraire trouvée à Schiltigheim – IIème siècle
Musée Archéologique de Strasbourg – Photographie PiP

I.1 Les textes anciens

Tout a commencé par la ‘Vita Odiliae’. La première vie de Sainte Odile qui nous est parvenue a été écrite entre 900 et 950, soit deux siècles après la mort d’Odile. Le manuscrit est conservé à la Bibliothèque de Saint-Gall.

Le texte nous dit que les serviteurs du Duc Adalric ont trouvé sur le Mont Sainte-Odile des enceintes déjà en place : situ cum nomen ob altitudine urbium hoenburc erat’. Ce que nous pouvons traduire ainsi : A cause de l’altitude des enceintes qui y étaient situées, cet endroit portait le nom de Hoenburc. Il y avait donc selon la Vita des ‘enceintes’ au sommet du Mont avant Adalric.

Dans la Vita, nous trouvons également la précision suivante : ‘constructus tempore Marcelliani regis’. Traduction : ‘ce lieu avait été édifié jadis, au temps du roi Marcellin’. Il s’agissait d’un refuge dans ce temps où les guerres étaient nombreuses. Ce ‘roi Marcellin’ n’a malheureusement pas été identifié par les différents chercheurs.

Notre avis : Fort intéressant, certes, ce texte ne nous apporte que la conviction d’un moine du Xème siècle sur des faits déjà lointains. C’est un élément précieux mais qui ne saurait être décisif.

D’autres textes anciens reprennent et complètent la Vita : bulle du pape Léon IX, charte de l’évêque Conrad… Le lecteur intéressé se reportera à notre article sur le sujet.

Début de la Vita Odiliae, Manuscrit de Saint-Gall,
Paragraphe traitant du choix du Mont Sainte-Odile par Adalric pour y installer sa résidence

I.2 Les monnaies romaines trouvées au Mont Sainte-Odile

De nombreux auteurs ont insisté sur la grande quantité de monnaies romaines trouvées sur le Mont. Hugo Peltre cite, entre autres, un as de Nîmes, monnaie du temps d’Auguste. Dionysus Albrecht parle de monnaies des empereurs Trajan et Hadrien, au début du IIème siècle. Puis de monnaies de Claude, Dioclétien, Constantin le Grand et Constance au IIIème siècle. Schoepflin insiste, lui aussi, sur le grand nombre de monnaies romaines retrouvées sur le site ‘plurima numismata’. Outre les empereurs déjà cités par Dionysus, Schoepflin décrit une agrafe d’or avec un denier représentant l’empereur Valentinien II qui reçoit le globe impérial des mains de son père Valentinien Ier (fin du IVème siècle). Les auteurs suivants n’apportent pas d'éléments nouveaux. Pour plus de détails, se reporter à notre article sur ces textes.

Malheureusement ces monnaies ont pour la plupart disparu aujourd’hui. Jacques Schwarz a dressé en 1968 le bilan des rares exemplaires encore visibles aujourd’hui : 55 monnaies romaines dont 42 datées du IVème siècle.

Monnaies du médaillier du Mont Sainte-Odile, photographie publiée par J. Schwartz

Notre avis :

- Le nombre de monnaies en notre possession est faible. Il ne dénote pas une occupation importante ou continue du Mont à l’époque romaine. On observe néanmoins un pic de présence dans la période du Bas-Empire ce qui confirme l’analyse des céramiques menée par Madeleine Châtelet et Juliette Baudoux.

- La provenance exacte des monnaies est mal connue, hors stratigraphie. Si elles constituent un indice d’occupation du Mont, en aucun cas elles ne sont une preuve pour l’édification d’un Mur Païen romain. Elles restent cependant une indication non négligeable.

(Nous aborderons le cas particulier des deux monnaies trouvées près du Mur par Stefan Fichtl plus avant.)

Trésor monétaire découvert à Strasbourg – enfouissement en 352
Musée Archéologique de Strasbourg – photographie PiP

I.3 Les voies romaines

Si les deux voies dallées qui montaient sur le Mont à partir d’Ottrott et de Barr sont des voies romaines, alors l’occupation du promontoire par les Romains est avérée. Et par suite, le Mur se doit bien d’être romain lui aussi. Tel est le raisonnement suivi par plusieurs auteurs anciens pour qui une voie couverte de dalles ne pouvait qu’être romaine.

Photographie de la voie romaine d’Ottrott prise vers 1930
 Photographie publiée par A. Troestler dans ‘Album du Mont Sainte-Odile’

C’est Philippe André Grandidier (en 1787) sera le plus disert sur cette théorie. Écoutons le parler de la ‘voie romaine’ d’Ottrott.

Ce chemin , dont nous avons examiné attentivement la formation, est composé de trois lits. Le premier, ou le lit inférieur, est de grosses pierres brutes, mises à plat & jointes ensemble sans ciment. Au-dessus du premier, est un second formé de gravier, de petites pierres & de gros sable. Cette couche, dont le massif a deux pieds d'épaisseur, est recouverte d'une troisième qui compose le lit supérieur. Celui-ci consiste en de très grandes pierres carrées, taillées & réunies ensemble. Elles sont de différentes grandeurs. Il y en a d'un pied & demi, de deux, de quatre & même de six. Ces pierres, tirées de la propre roche sur laquelle est construit le chemin , sont exactement taillées à la règle & à l'équerre, placées au niveau & tellement jointes les unes aux autres, qu'elles ne peuvent que difficilement se séparer, ou former des lézardes. Cette façon de paver à triple couche a donné aux chaussées romaines une solidité qui a résisté aux siècles.

L’abbé semble s’être rendu personnellement sur place et avoir examiné avec minutie la voie. Il ajoute un peu plus loin : ‘Ce chemin est large de douze pieds: c'était, selon Hygin , la largeur ordinaire des voies romaines.’. Hygin est un auteur romain qui a vécu entre 67 avant et 17 après J.C. Un pied mesure environ 30 cm et pour 12 pieds, nous obtenons 3 m 60 de largeur de voie, et ce sur la totalité de sa longueur, nous précise Philippe André.
Ceci n’est guère sérieux. Les voies romaines n’avaient pas toute la même largeur, tant s’en faut. Leur mode de construction a également évolué au cours des siècles et s’adaptait bien évidemment à la nature et à la configuration des terrains. Témoin, ce relevé d’une voie romaine située à Strasbourg-Koenigshoffen. Il nous est proposé par Robert Forrer : ici, le pavage s’étale sur dix mètres de largeur. Et le nombre de couches dessinées par Robert est de dix.

Voie romaine de Koenigshofen -Relevé Robert Forrer

Lors de sa campagne de fouilles à la Porte d’Ottrott en 2004, Jacky Koch a effectué un sondage situé quelques mètres devant la porte. Sur ce lieu de passage, tant fréquenté et maint fois bouleversé pour les travaux, aucun élément de datation n’a été mis à jour. (Sondage N°3, longueur de 2,70 m sur 2 m). Voici le commentaire de Jacky.

La surface sondée est scellée par un apport de sable de grès rose incluant des galets, remblayant un creusement et qui forme l’assise d’un hérisson d’éclats et de moellons de grès. Cette couche irrégulière est épaisse de 12 à 30 cm. Aucune trace d’ornière sur le hérisson.’

Jacky Koch ne propose pas de datation de la voie.

Notre avis : Aujourd’hui, aucun chercheur ne se prononce à notre connaissance, sur la romanité de la voie d’Ottrott, ni sur sa datation. Pour ce faire, une étude archéologique serait nécessaire sur le petit tronçon encore bien en place au dessus de Saint-Gorgon. Avant les résultats d'une fouille, les voies restent une interrogation. Si elles se révélaient romaines, l'élément serait de poids pour la construction du Mur à la même époque. 

I.4 Le poste de garde romain proche des tombes mérovingiennes

Déjà en 1899, Robert Forrer indique que les rochers qui surplombent la route de Klingenthal devaient porter une construction. Fritz Eyer dit avoir sondé, pendant les fouilles de la deuxième guerre mondiale, le cône d’éboulis au pied du-dit rocher et y avoir découvert des débris de tuiles romaines (römische Ziegelreste). Notre ami Fritz conclut par la présence d’un poste de garde romain à cet endroit. Le lieu ne semble pas avoir été étudié depuis.

Position du poste de garde romain, selon F. Eyer – carte interactive du Mur Païen EtF

Notre avis : Nous nous sommes portés à cet endroit sans trouver ni indice de construction, ni trace de tuiles. Nous n’avons cependant ni fouillé, ni même sondé. Nous ne sommes que de simples amateurs. Comme le conseillait Christian Wilsdorf, une recherche à cet endroit serait intéressante.

I.5 Les portes à couloir

Fritz Eyer et Hans Zumstein ont étudié les différentes portes du Mur Païen.

Tous deux sont persuadés que les portes, hormis la Porte d’Ottrott, ont été ouvertes dans une deuxième phase, après la construction initiale du Mur. L’élément essentiel de leur argumentation est le réemploi de pierres : sur les portes, les mortaises sont parfois mal positionnées. Le fait est patent sur la Porte Eyer.
Hans était un tenant d’un Mur celtique. Pour lui, lors de l’occupation romaine, les romains ont ouvert ces nouvelles portes dans le Mur préexistant. Cette affirmation est cohérente avec la qualification ‘romaine’ des voies d’accès.

Relevé H. Zumstein de la porte Eyer - 1963
à noter les multiples mortaises mal positionnées. 

Notre avis : La présence de mortaises mal positionnées porte à croire en effet à une deuxième phase de construction. Rien ne prouve avec certitude que cette deuxième phase soit romaine. Rien ne prouve qu'elle ne le soit pas. 

Cependant, lors de la reprise de la fouille de la porte Eyer en 1967, Hans Zumstein confirme la couche d’incendie citée par Eyer et dans celle-ci, il trouve deux tessons de céramiques dont un fragment de tubulus romain. Tubulus ‘à strigilles’ précise Hans. Bigre ! Que vient faire cet objet dans un lieu privé d’eau ?
A ma connaissance, les charbons retrouvés n’ont pas été datés et je ne trouve pas de mention de ce tubulus dans les études des céramiques trouvées sur le Mont. Dommage ! Une datation de ces charbons pourrait se révéler déterminante. 

Porte Zumstein, photographie EtF

I.6 L’antoninien de Victorinus et le denier d’Elagabal

Lors de sa deuxième campagne de fouilles (1995), Stefan Fichtl découvre, entre autres, deux monnaies romaines. Un antoninien de Victorinus (269-270) proche du mur transversal nord, et un denier d’Elagabal (217-220) dans le secteur de la grotte d’Etichon. Ce sont les deux seules monnaies du Mont dont nous connaissions le lieu exact de découverte ainsi que le contexte archéologique.

Stefan Fichtl en conclut que le Mur Païen est romain et date du Bas-Empire (voir le rapport très détaillé de 1995),

En 2015, Madeleine Châtelet réfute cette affirmation par deux arguments :
- les monnaies ont été trouvées, proches du Mur, mais hors stratigraphie du mur lui-même.
- ce type de monnaie est resté en circulation bien après la période de l’Alsace Romaine. Elles ont pu être perdues plus tard, du temps des mérovingiens, par exemple.

Mais, la perte de ces deux monnaies par deux bâtisseurs du duc Adalric n’est pas plus avérée que la thèse inverse. Ces mêmes monnaies seraient alors tombées tout simplement d’une poche romaine. Laquelle des deux propositions vous semble la plus probable ?  

Mur Païen – Secteur où le denier d’Elagabal fut découvert, au niveau du sol, derrière le mur
 Photographie EtF

Notre avis : Si la preuve avancée par Stefan Fichtl n’est pas irréfutable, les lieux de découverte de ces monnaies nous semblent cependant un indice sérieux à prendre en compte en faveur de la thèse romaine. Le denier trouvé au niveau des assises les plus basses du Mur est pour le moins intriguant.

I.7 Le muret romain du Frankenbourg

Reconnaissons à ce point de notre exposé que les arguments avancés forment bien un faisceau d’indices en faveur de la thèse romaine, mais qu’ils ne sauraient constituer une preuve formelle : ils sont question de point de vue et doivent être mieux étudiés .Le muret romain du Frankenbourg est de toute autre nature. Rappelons brièvement les faits déjà abordés dans un article précédent.

Clément Feilu a pu dater un muret construit en élévation sur le Mur Païen du Frankenbourg. Ce muret est romain, il a été construit entre 250 et 350. Le Mur Païen du Frankenbourg est donc plus ancien.

Le site du Frankenbourg – photographie EtF

Notre avis : Si les travaux de Clément Feilu sont confirmés, le Mur Païen du Frankenbourg est romain. La similitude et la technique très particulière des deux enceintes Frankenbourg et Mont Sainte-Odile, nous incitent à penser que les deux ouvrages émanent du même constructeur. Alors le Mur Païen du Mont Sainte-Odile serait lui aussi romain.

Cet élément est le plus sérieux en faveur de la thèse romaine, nous en sommes convaincus. 

II Les arguments qui sont opposés à la thèse romaine

Passons maintenant la parole aux opposants. Pourquoi le Mur ne serait-il pas romain ? Là encore, les arguments sont variés, ils donnent eux aussi à réfléchir sans se montrer vraiment déterminants.

II.1 La nature du Mur Païen

Robert Forrer, partisan de la thèse celtique, avant de nous parler des Celtes, commence par réfuter la possibilité romaine. Les Romains ne construisent pas de places fortes en hauteur : ils fortifient les villes, les forts du ‘limes’. Sur les monts, ils se contentent de postes de guets de dimensions modestes. Les Romains ne construisent pas de refuges perdus dans les forêts, ils se battent.

Le deuxième argument de Robert est la construction elle-même. Les vestiges romains que nous connaissons présentent des lignes parfaitement dessinées, les blocs de pierre sont taillés avec précision, ils s’ajustent. Le Mur Païen est totalement différent : les blocs ne sont pas taillés, ils sont utilisés tels qu’ils sortent de la carrière, sans être équarris.

Notre avis : Certes, le Mur ne ressemble guère à une construction romaine. Mais il ne ressemble pas plus à un oppidum celtique. Pas plus qu’à une construction mérovingienne. En fait, il ne ressemble à rien de connu: avec son petit frère du Frankenbourg, ils sont uniques.

De plus, si l’aspect du Mur n’a rien de romain, l’assemblage par mortaise et tenons est une technique que les Romains ont utilisée partout en Gaule. Témoin proche du Mont, le petit mausolée de Meisenbach, daté du IIème siècle, présente les mêmes mortaises en queue d’aronde. Par contre, les pierres sont parfaitement taillées et ajustées.

Le mausolée de Meisenbach – photographies EtF

L’argumentation de Robert Forrer et de ses adeptes nous paraît faible. Et nous avons, par ailleurs, éliminé la thèse celtique. (Voir notre article).

Rien dans sa structure n'indique que le Mur ne soit pas romain.
Le système mortaises - tenons est par contre un indice bien réel de sa romanité.

II.2 Les textes romains

Autre argument souvent opposé, le silence des auteurs romains sur le Mur. L’histoire romaine est connue. Les historiens romains ont tenu des chroniques sur les évènements qui se sont passés en Gaule. César raconte la conquête. Florus écrit les faits d’armes de Drusus et de Varus. C’est lui qui nous apprend la construction des cinquante forts de Drusus sur la rive Rhin. Par la suite, Ammien Marcellin, entre autres, détaille les avancées des peuples germains, batailles gagnées ou perdues, destruction et reconstruction des forts, des villes et du ‘limes germanicus’.
Dans tous ces textes, on ne trouve pas un seul mot sur le Mur Païen. La construction de notre Mur de dix kilomètres de long n’est pas mentionnée. Si un empereur, un préfet, un général a pris une initiative de cette ampleur, pourquoi Ammien et les autres ne nous disent ils rien ? 

Statue de Ammien Marcellin – détail – source Internet

Notre avis : Cet argument est fort, mais il n'est pas déterminant. 
L'explication qui nous vient à l’esprit est la suivante. Le Mur a pu être construit pendant la période romaine, mais pas par l’administration romaine. Il serait passé ainsi ‘sous les radars’ des historiens préoccupés de faits d’armes et de personnages illustres. On peut penser une initiative des gallo-romains civils, habitants d’Argentorate ou propriétaires des riches villas ou ateliers de la plaine, apeurés par les incursions toujours plus nombreuses des Alamans au IIIème et IVème siècles.
Nous expliciterons cette thèse en détail prochainement.

Céramiques alamanes, Musée Archéologique de Strasbourg, Photographie A. Pison

II.3 L’analyse des céramiques

Madeleine Châtelet et Juliette Baudoux ont étudié les quelques 11.000 tessons de céramiques collationnés sur le Mont. Il ressort de leurs travauxque seuls 290 tessons peuvent être attribués à la période gallo-romaine. C’est peu. C’est essentiellement sur ce point et sur la datation des tenons de chêne que les deux chercheurs écartent l’hypothèse romaine pour lui préférer un Mur Païen mérovingien.

Notre avis : 290 tessons romains, certes, c’est peu. Mais 280 tessons mérovingiens, c’est encore moins. Si on ajoute les 565 tessons qui n’ont pu être attribués à une période ou à l’autre, le résultat ‘statistique’ ne paraît guère probant. Il est vrai que la plupart des céramiques provient du sommet du Mont (plateau du couvent) et que ce lieu a connu tant de transformations et de dégâts au cours des siècles que les vestiges sont rares.

Céramiques sigillées – Musée Archéologique de Strasbourg – photographie PiP

Plus intéressante se révèle la répartition des tessons romains à travers les siècles. L’essentiel des fragments (les 3/4) est daté du quatrième siècle. Tout comme les monnaies romaines étudiées par Jacques Schwartz. Ce quatrième siècle où le muret du Frankenbourg est érigé.

Ce faisceau d’indices nous désigne le Bas-Empire comme une période clef de l’énigme du Mur Païen.

II.4 La datation des tenons de chêne

La solidité du Mur était assurée par un système de mortaises taillées dans la pierre et de tenons en chêne qui reliaient les blocs. L’équipe d’ Auguste Schneegans part à la recherche de tenons entre 1871 et 1875. Sur la section Fontaine Saint-Jean – Hagelschloss 65 tenons de chêne sont sortis du Mur Païen.
Ces tenons et les quelques autres disponibles ont été analysés par
Willy Tegel et Bernardh Muigg. Les résultats sont formels : les tenons étudiés ont été élaborés pour un chantier entre l’an 675 et l’an 681. Cette datation précise est l’argument tangible sur lequel repose la thèse d’un Mur mérovingien.

Tenons du Mur Païen – Musée de Strasbourg – Photographie PiP

Notre avis : Cette analyse prouve qu’un chantier s’est tenu au temps du Duc Adalric sur une section du Mur Païen. Rien ne prouve qu’il s’agissait de la construction du Mur. Le Duc faisait construire sa résidence sur le promontoire, il a pu également relever une partie des murs qui existaient auparavant, comme nous le dit la Vita Odiliae, ou bien a posteriori pour protéger le couvent offert à sa fille Odile.

Conclusion

Les arguments présentés en faveur ou en défaveur d’un Mur Païen romain sont tous opposables. Rien de définitif. Les tenons datés du VIIème siècle nous attirent vers la thèse mérovingienne. Le muret romain du Frankenbourg nous fait pencher pour une construction romaine.
A ce stade de nos connaissances, il nous est impossible de nous prononcer avec une totale certitude.

Pour trancher il faudrait en savoir plus. Une campagne de fouilles de grande ampleur ne paraît pas se profiler et c’est bien dommage. En attendant, il serait possible, à faible coût, de lever quelques points d’ombre.

  • A la porte Eyer, Fritz Eyer d’abord, Hans Zumstein ensuite, nous disent avoir trouvé les traces d’un incendie sous les premières marches de l’escalier de la tour. Hans nous dit que les charbons sont nombreux. Pourquoi ne pas les faire analyser ? Et en profiter pour élargir le secteur déjà étudié.
  • A la carrière C12 (voir sa localisation sur notre carte interactive), Robert Forrer a également détecté une couche d’incendie au niveau du pied du rocher. Pourquoi ne pas analyser les traces de charbons ?
    D’une manière plus générale, les carrières sont connues, localisées. Mais aucune fouille sérieuse n’y a été menée. Outils, charbons de bois, monnaies, céramiques reposent sans doute sous nos pieds. La carrière C2 nous paraît suffisamment isolée, hors des chemins, pour être candidate à ce type d’investigations.
  • Certains points très spécifiques du Mur nous sont encore inconnus. Pour le moins, la voie romaine d’Ottrott et le poste de garde cité par Eyer devraient attirer l’attention des chercheurs.

Mais, tout ceci est de la responsabilité des autorités compétentes.

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Pour notre part, reconnaissons que sans certitude absolue,
sur la base des résultats des fouilles du Frankenbourg
nous penchons aujourd’hui pour un mur construit à la fin de la période romaine.


Dans un prochain article, nous étudierons en détail cette hypothèse.

Si le Mur Païen est bien romain, qui l’a construit ?
A quelles fins ? Dans quelles circonstances ?

                                                                                                    (à suivre)

Quatre des bas-reliefs représentant Mercure – Temple du Donon – IIIème siècle
Musée Archéologique de Strasbourg – photographies PiP

Sources
  • L. Laguille, Histoire de la Province d’Alsace, depuis Jules César jusqu’au mariage de Louis XV, 1726, Tome I, Septième Livre, page 80 et suivantes
  • J.D. Schoepflin, Alsatia Illustrata, 1751, Tome 1, chapitre XIV, page 532 et suivantes
  • J.A. Silbermann, Beschreibung von Hohenburg oder dem Sankt Odilienberg, 1783, page 14 et suivantes
  • P. A. Grandidier, Histoire de la Province d’Alsace, 1787, pages 84-95
  • J. Pfeffinger, Hohenburg oder der Odilien-Berg samt seinen Umgebungen, 1812, chapitre 1
  • J.G. Schweighaeuser, Explication du plan topographique de l’enceinte antique appelée le Mur Païen, 1825
  • J. Schneider, Beiträge zur Geschichte des römischen Besfestigungswesen auf der linken Rheinseite, insbesondere der alten Befestigungen in den Vogesen, 1844, chapitre VIII, page 76, puis pages 200 et suivantes
  • L. Ravenez, traduction de l’Alsatia Illustrata de Schoepflin, 1849, Tome III, chapitre XIV, page 99 et suivantes
  • L. Levrault, Sainte Odile et le Heidenmauer, 1855, pages 71-150
  • C. Pfister, Le duché Mérovingien d’Alsace et la Légende de Sainte Odile, suivis d’une étude sur les anciens monuments du Sainte-Odile, 1892, pages 191- 264
  • R. Forrer, die Heidenmauer von St Odilien, ihre praehistorischen Steinbrüche und Besiedlungsreste, 1899
  • A. Rieth, Zur Frage der Bauzeit der Heiden mauer auf dem Odilienberg, 1958
  • H. Zumstein, Fouille d’une porte dans le Mur Païen de Sainte-Odile, 1963
  • S. Fichtl, Le Mur païen du Mont Sainte-Odile, nouveaux éléments de datation, 1995
  • J. Schwartz, Les monnaies romaines du Mont Sainte-Odile, 1968
  • F. Eyer, Die Heidenmauer, 1978
  • H. Zumstein, Les portes du Mur païen au Mont Sainte-Odile, 1992
  • J. Koch, Porte d’Ottrott, 2004
  • C. Wilsdorf, L’Alsace des Mérovingiens à Léon IX, 2011
  • H. Steuer, Studien zum Odilienberg im Elsass, 2012
  • W. Tegel, B. Muigg, Dendrochronologische Datierung der Holzklammers aus der « Heidenmauer » auf dem Odilienberg, ZAM 2015, 2015
  • M. Châtelet et J. Baudoux, Le « Mur Païen » du Mont Sainte-Odile en Alsace, 2015
  • C. Féliu, Les fortifications du Frankenbourg à Neubois, 2022
  • - ​​​

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Commenter cet article
T
Pip en Sherlock Holmes, Etienne F. en Dr Watson !<br /> Vous faites un duo de détectives très réussi. Merci de nous tenir en haleine avec cette enquête, en la partageant.
Répondre
P
on arrive bientôt à la conclusion !!!! encore un peu de patience<br />
R
Bravo pour cet article très complet vivement la conclusion!<br /> J’ai constaté que Véro a fourni la vaisselle pour illustrer votre énoncé.
Répondre
P
Oui, oui, tout vient de la sa cuisine ! Merci Véro !
C
Merci Pierre de nous tenir en haleine avec le mystère de l'édification du mur païen. Un feuilleton à rebondissements. Cette enquête très étayée est passionnante ; bravo de nous partager ce travail de recherche et tes conclusions !
Répondre
P
Merci de vos encouragements. Dans le prochain article, je donnerai mes conclusions, après deux ans de recherches.
N
Merci pour cet approfondissement sérieux.
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P
Merci, il te faudra lire la suite, Jean-Marie. Comment va le Hugstein ? PiP
B
Au sainte Odile,le mur paîen. <br /> A ce grand mystère,<br /> La réponse enfin.<br /> Ni de l'âge de fer,<br /> Ni celtique ou romain, <br /> Guère plus merovingien.<br /> Nom de PiP, tiens-toi bien,<br /> Il est alsacien ..!
Répondre
P
Merci, Bernard, pour tes vers rimés. C'est tout toi, attentionné et délicat.<br /> Tu noteras tout de même que je suis aujourd'hui convaincu que le Mur a été construit sous l'occupation romaine. (presque certain).<br /> Je raconterai cette histoire prochainement. Peut-être lors d'une prochaine balade - conférence sur le Mur.