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Autour du Mont-Sainte-Odile, le Mur Païen

Augmentation des taxes à Obernai !

26 Septembre 2025 , Rédigé par PiP vélodidacte

Les droits de pontonage à Obernai en juillet 1727

‘En 1648, les traités de Westphalie rattachent l’Alsace à la France’. Voilà ce que nous disent nos livres d’histoire. En fait, le rattachement ne fut pas aussi simple et rapide qu’il y paraît. Strasbourg et les Villes de la Décapole restent liées à l’Empire et elles tenteront longtemps de garder ce lien ténu et les privilèges qui y sont attachés. Nous prendrons pour exemple la lutte pour sauvegarder les droits de péage et les taxes sur les Juifs, longuement débattus entre les Magistrats d’Obernai et le Roi de France.

La Guerre de Trente Ans à Obernai

La Guerre de Trente ans est un conflit politique et religieux qui embrasa l’Empire pendant trois décennies. Tout d’abord limité à la lutte entre les princes allemands, le conflit connut l’intervention de puissances étrangères : essentiellement la Suède, les Provinces-Unies (Pays-Bas), puis enfin la France. A la suite de ce conflit seront signés les Traités de Westphalie.

L’Alsace, comme la plupart des régions de l’Empire, a connu le passage des armées avec leur cortège de mercenaires, les ravages et les pillages. La Ville d’Obernai a subi son lot de malheurs. Nous avons longuement détaillé le siège d’Obernai par les troupes de Mansfeld en 1622 et l’occupation en deux temps par les Suédois en 1632 puis en 1635, suite au deuxième siège de la Ville. Les lecteurs intéressés se reporteront à nos deux articles publiés voici quelques années déjà.

Les dernières années de la Guerre porteront l’essentiel des conflits Outre-Rhin : le gros des armées suédoises doit y épauler les princes protestants face aux armées impériales catholiques. C’est le moment que choisit le Cardinal de Richelieu pour entrer dans le conflit et pénétrer en Lorraine puis en Alsace (1634). Paradoxalement, le cardinal soutient en Allemagne les Protestants qu’il combat en France. Ses visées sont purement annexionnistes : il s’agit de conquérir l’Alsace.

Emblème de boulanger

Malgré la baisse de niveau du conflit en Alsace, la Ville d’Obernai doit faire face au troisième siège de cette guerre en 1636. Alors aux mains des Impériaux, elle est assiégée à nouveau par les Suédois. Le siège ne durera pas moins de trois semaines et l’artillerie suédoise emportera la victoire et la reddition de la Ville après avoir ouvert de larges brèches dans les remparts. La Ville n’était plus que ruines et décombres.

Les Suédois tiendront la Ville jusqu’à la fin de la Guerre et même deux années de plus. Ils ne quitteront Obernai qu’en 1650, soit deux ans après la signature des Traités de Westphalie.

Note : Les péripéties de la Guerre de Trente Ans à Obernai sont retracées avec talent, mille détails et force anecdotes dans le livre de Joseph Meinrad Gyss, Histoire de la Ville d’Obernai, disponible à la Médiathèque d’Obernai.

Lion sculpté en bosse ronde, à l'angle de l'ancien restaurant 'Le Bœuf Rouge'

Les Traités de Westphalie

Les négociations des traités ont été longues et complexes. Elles ont débuté en 1643 pour n’aboutir de cinq années plus tard, lorsque l’empereur Ferdinand III a fini par céder et signer les traités. Les négociations ont eu lieu dans deux villes : Osnabrück et Münster, distantes d’une cinquantaine de kilomètres, ce qui n’a pas du faciliter les échanges. L’ Empereur fait des concessions territoriales aux vainqueurs : la Suède, la France et les Provinces-Unies. Les questions des cultes catholiques et protestants sont réglées selon le principe 'cujus regio, cujus religio'. Les habitants doivent adopter la religion de leur prince.

En ce qui concerne la France, voici les territoires annexés : les Trois Évêchés Metz-Toul-Verdun, occupés depuis bien longtemps, la Haute-Alsace, la Décapole (hors Mulhouse), Breisach et Pignerol. Ce résumé peut paraître clair, cependant le statu des villes de la Décapole n’est pas totalement réglé.

Carte de l’Empire, suite aux Traités de Westphalie – on mesure l’éclatement de l’empire


Très appauvries par la guerre, les Villes Impériales Libres d’Alsace (Freie Reichstädte) ne purent envoyer que trois représentants à Osnabrück et ce tardivement (1646). Défendre leur autonomie était une gageure bien difficile ! Cette question ne préoccupait guère les grands du monde d’alors. Les négociations furent difficiles : les Villes devaient être du ressort de la France, mais elles entendaient garder leur lien direct avec l’Empereur, leur statu de Ville d’Empire et les avantages qui y étaient liés. Bigre ! Mazarin qui dirigeait la représentation française ne devait se sentir très concerné.

Dans le traité finalement conclu, ce sont les articles 73-74 et 77 qui traitent de ce point. Ce qu’on y lit est peu clair, voire contradictoire. Chaque parti peut y lire ce qu’il veut entendre… les démêlés juridiques ont de beaux jours devant eux.

L’article 77 est cité in extenso dans le livre de Joseph Gyss.

 

Les démêlés avec le Royaume de France

Comme on pouvait s’y attendre, la lutte pour la sauvegarde de l’autonomie des Villes de la Décapole durera de longues années :

  • 1651 Les Villes se font confirmer leurs droits par l’empereur Ferdinand III.

  • 1651 Une lettre signée de Louis XIV engage Henri de Lorraine, grand-bailli d’Haguenau à respecter le droit des Villes.

  • 1653 Les Villes se plaignent à la Diète du comportement des Français à l’égard de leurs droits.

  • 1658 Monsieur de Colbert, intendant d’Alsace, déclare les Villes ‘assimilées’. Protestation solennelle, et véhémente, de celles-ci.

  • 1662 Recours inefficace à l’empereur Léopold devant la Diète de Ratisbonne.

    …. et bien d’autres démarches encore

Le problème est fort bien résumé dans une phrase du Père Laguille, dans son histoire de l’Alsace.

Les Dix Villes avaient défendu le terrain pas à pas, contesté tous les mots et pesé chaque syllabe, se retranchant toujours dans l’article du traité de Münster, qui leur réservait leur liberté et leur immédiateté, et tâchant d’échapper à la clause de ce même article qui accordait au roi le souverain domaine sur l’Alsace, y compris la préfecture d’Haguenau’.

L. Laguille, Histoire de la Province d’Alsace, depuis Jules César jusqu’au mariage de Louis XV, 1726

Louis Laguille avait bien compris les contradictions de ce fameux article 77du Traité de Münster.

Le combat était perdu d’avance. Toutes les actions et recours des Villes seront sans résultats autres que passagers, peu à peu, la France impose ses méthodes, sa loi, sa gestion à l’ensemble de l’Alsace. La guerre déclarée par Louis XIV en 1673 à l’empire ne fera qu’entériner un état de fait : toute l’Alsace est française.


 

Revenons à nos droits de 'pontonage' en 1727

Près de quatre-vingt ans après la signature des Traités de Westphalie, nous retrouvons la trace des actions du Magistrat d’Obernai pour faire respecter ses derniers droits lui venant de l’Empire. Il s’agit des droits de 'pontonage' et des taxes sur les juifs. (sic)

Nous devons la suite de notre article à un lecteur assidu de notre site, qui nous a communiqué une belle copie de l’ ‘Arrest du Conseil d’Estat du Roy’ en date du 21 juillet 1727. Qu’il en soit grandement remercié.

Entête de l'arrêt royal

En 1727, Louis XV, le Bien-Aimé, a succédé à son arrière-grand-père Louis XIV. Le Royaume s’est consolidé sous son règne à l’Est en annexant le duché de Bar et celui de Lorraine. (Note : La Franche-Comté avait été annexée en 1678.) Le Cardinal de Fleury dirige le gouvernement.

Qu’est-ce que le ‘pontonage’ ? Ce vieux terme oublié correspond aux péages exigés pour entrer dans la Ville d’Obernai. L’étymologie de ‘pontonage’ vient du fait que les entrées d’argent de cette taxe étaient destinées à entretenir les ponts de la Ville. L’arrêté royal confirme les droits d’Obernai à percevoir les taxes, charge à la Ville de continuer à entretenir les ponts et chaussées. Il s’agit d’un beau succès des négociateurs d'Obernai.

 

Contenu de l’ Arrêt du Conseil d’État du Roy

L’ensemble du texte est fort intéressant. Nous y apprenons moult détails sur la Ville.

  • Le droit de ‘pontonage’ est fort ancien. En date du 8 novembre 1570, l’empereur Maximilien accorde par lettre patente au Magistrat d’Obernai le droit d’augmenter le montant des taxes déjà perçues. Le ‘pontonage’ était donc plus ancien que 1570.

  • Avant 1570, les montants des droits étaient les suivants : un pfennig par chariot et un demi-pfennig par charrette pénétrant dans la Ville. Ce droit était perçu à la journée nonobstant le nombre de passages. Les droits devaient être utilisés pour entretenir les vingt-quatre ponts, les chemins et chaussées de la Ville. Vingt-quatre ponts dans le district d’Obernai ? Je m’interroge.

  • L’arrêt royal de 1727 porte le montant des taxes à quatre pfennigs le chariot et deux pfennigs la charrette. C’est à dire que les taxes sont multipliées par quatre. Bigre, on connaissait déjà l’explosion des taxes en 1727 !

  • Depuis un décret daté du 21 janvier 1507 et signé de l’empereur Maximilien, il était interdit aux Juifs d’habiter dans la Ville. Il leur était possible de s’y rendre moyennant une taxe journalière de deux pfennigs, montant augmenté à six pfennigs les jours de marché. L’antisémitisme sévissait déjà, je ne peux que le déplorer.

  • Ces taxes sur les Juifs étaient tombées en désuétude, elles sont rétablies et augmentées : deux sols pour les jours de marché et foires ; et huit deniers les autres jours.

  • L’arrêt royal de 1727 atteste que les ponts et les chaussées d'Obernai sont en bon état. C’est sur cette qualité des voiries municipales que se base le Conseil pour confirmer la Ville dans les droits et devoirs. Le Roi Louis XV était présent lors de la prise de décision.

  • L’original de cet arrêt était signé de la main de Louis XV et de son secrétaire Le Blanc. Claude Le Blanc était alors intendant et secrétaire d'État de la Guerre. En 1727, il était également en charge de la maréchaussée et la police sur tout le royaume.

Fin de l’arrêt royal, avec la mention ‘Car Tel est Notre Plaisir’

  •  

Ces droits de pontonage sont le sujet d’un des derniers recours d’Obernai pour garder un minimum d’autonomie vis à vis du royaume. Notons cependant deux autres litiges plus tardifs encore où l’action des Obernois fut couronné de succès.

  • 1748 – Par lettres patentes du Roi, la Ville conserve son droit de débit exclusif du fer sur son district.
    Ainsi, Obernai exploitait le minerai de fer jusqu’au XVIIème siècle. Je me demande bien où était le gisement et les hauts-fourneaux.

  • 1774 – Par lettres patentes du Roi, la Ville conserve son droit de justice sur les affaires de police et les différents entre particuliers dans la limite de montants inférieurs à cent livres. Ce sera le dernier succès des obernois.

Nous sommes à la veille de la Révolution Française.


Dans la tourmente de réformes de la Révolution, les droits et prérogatives de la Ville Impériale Libre d’Obernai seront balayés et bien vite oubliés.

 

Puits aux six seaux

Sources
  • L. Laguille, Histoire de la Province d’Alsace, depuis Jules César jusqu’au mariage de Louis XV, 1726

  • C. Le Blanc, Arrest du Conseil d’Estat du Roy, 1727

  • J.M. Gyss. Histoire de la Ville d’Obernai, 1866

  • R. Oberlé, L’Alsace en 1700, 1975

    Canonnière de la Tour du Schwal

 

Illustrations
  • Photographies,  pierres sculptées d'Obernai, PiP

  • Extraits de la copie de l’arrêt du Roi de 1727

  • Carte de l’Empire après les traités de Westphalie, source Wikipédia

  • Image d’un Stettmeister en costume, extraite du livre de Monsieur Oberlé

    • Magistrat au XVIIIème siècle

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Commenter cet article
B
Les Obernois-ses devaient souvent faire le pont avec 14 ouvrages enjambant l'Ehn
Répondre
P
en tout cas, Louis XV savait que les ponts d'Obernai étaient bien entretenus...